Le seul tome de l'Histoire de la France rurale qui ne vaille pas tripette (les trois autres étant absolument remarquables). Curieusement, il a été rédigé par des technocrates et non par des historiens. Et je dois avouer que j'ai été consterné de constater avec le recul de 45 ans que les auteurs, très sûrs d'eux-mêmes, n'avaient absolument pas prévu la troisième mondialisation - qui n'a ni centres ni périphéries - et qu'ils en étaient restés à la deuxième mondialisation, celle des Etats en concurrence, protégeant leurs populations à l'intérieur et cherchant à étendre à l'extérieur leurs zones d'influence sur le mode impérialiste à l'ancienne.
Je suppose qu'un train en a caché un autre: la guerre froide qui polarisait l'attention sur l'opposition des deux blocs "soviétique" et "capitaliste" a dissimulé aux Européens la mondialisation néo-libérale, financière et transversale qui a finalement, réellement, ruiné l'agriculture française (notamment à travers les traités de libre-échange qui, pour reprendre la formule chomskyenne, "ne sont ni libres ni ne concernent les échanges").
Mais ce qui est peut-être le plus déroutant, dans ce volume, c'est de constater la totale absence de clairvoyance de gens qui sont en théorie des professionnels de la prévision et se sont avérés incapables de juger de l'avenir des campagnes autrement qu'en termes de darwinisme social à la de Gaulle et d'élimination des moins aptes dans une compétition âpre, mais loyale. Peut-être eût-il mieux valu confier ce quatrième volume à des historiens plutôt qu'à des apprentis énarques et à des ressortissants de Sciences Po? Tout cela donne sérieusement à réfléchir...
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La mise en oeuvre de la législation agricole de la Cinquième République illustre cette évolution. En effet, comment les paysans pourraient-ils protester contre la politique foncière définie dans les lois d'orientation quand son application est confiée directement ou de façon paritaire aux dirigeants syndicaux qu'ils ont élus ? Il en est ainsi des SAFER, de la vulgarisation, de la reconnaissance des GAEC ou des commissions départementales des cumuls. Lorsqu'un prêt est refusé à un agriculteur par sa caisse locale du Crédit Agricole, la décision a été prise au nom du conseil d'administration qui tient son autorité du suffrage des agriculteurs. De même, le groupement de producteurs remplace avantageusement les fonctionnaires de l'agriculture et des finances pour discipliner la production et contraindre les récalcitrants à rentrer dans le rang.
La force des partis conservateurs lorsqu'ils sont au pouvoir tient à leur capacité de s'assurer de tels relais dans les campagnes. Ils peuvent se contenter d'élaborer le cadre réglementaire de la sélection des paysans dans la mesure où ils trouvent spontanément des organisations professionnelles qui revendiquent le droit et considèrent comme un devoir de la mettre en oeuvre. Ils bénéficient ainsi d'un écran protecteur entre eux-mêmes et les couches sociales que menace leur politique. Il est donc logique qu'ils n'accordent leur reconnaissance qu'aux organisations dont les dirigeants partagent leur leur propre vision de l'ordre social. Il ne faut pas que des opposants viennent gripper la machine en refusant les règles du jeu.
A l'occasion de la publication de l'ouvrage : Martine Reid, Félicité de Genlis. La pédagogue des Lumières, Tallandier
Avec Gilles HEURÉ, Michelle PERROT, Martine REID
Michelle Perrot, historienne pionnière de l'histoire des femmes (Histoire des femmes en Occident, avec Georges Duby, 1991 ; Les Femmes ou les silences de l'histoire, 1998 ; George Sand à Nohant : une maison d'artiste, 2018) et Martine Reid, spécialiste de la littérature du XIXe siècle et notamment des femmes en littérature (George Sand, 2013 ; Félicité de Genlis. La pédagogue des Lumières, 2022), vont revenir sur ce champ de recherche qui ne cesse de s'enrichir et questionne de plus en plus la place des femmes dans la société d'aujourd'hui.
Gilles Heuré
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