Un ouvrage précis, sérieux,documenté (et très bien rédigé), chiffré sur l'histoire des prix littéraires et du statut de l'écrivain.
Rare sur ce sujet qui explique les stratégies historiques des éditeurs. Et l'importance des prix littéraires dans l'économie de l'édition.
Publié en 2013, il n'aborde pas le marketing actuel, les liens des influenceurs avec les éditeurs (ou non) ni les techniques de production des livres proprement dit dont l'optimisation a conduit à minimiser les risques de lancement.
Ces nouveaux aspects conduisant à une offre pléthorique, hypersegmentée.
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Dans la Babel des nouveautés, l'auteur primé fait désormais office de label rouge de la littérature. Cette notion de label nous parle d'uneéconomie de distribution où valeurs littéraire et marchande se confondent sans toujours évacuer le débat esthétique, comme on vient de le voir, ni réduire le débat littéraire à la simple manutention de piles de livres au bandeau rouge. Mieux- et l'on oublie trop souvent de le dire: le prix littéraire tient d'un dispositif visant à éviter que la valeur soit désignée par les seuls éditeurs. Bernard Grasset, grand "faiseur" de prix devant l'éternel et père de la corruption des prix, poussa l'audace jusqu'à créer dans les années 1920 le prix Balzac et son jury inféodé, prix téléguidé à son seul profit. Mais son échec suffit à convaincre que les prix ne peuvent être réduits à des instruments zélés du monde éditorial.
L'affrontement entre éditeurs au sein du marché du livre ne se fait donc pas "marque contre marque", mais par le biais de prix littéraires au spectre suffisamment large pour que, dans tous les livres qu'ils mettent en compétition, l'un d'eux décroche une récompense. A la stratégie de marque est donc préférée une stratégie de label à la fois plus lucrative et productrice de capital symbolique: le label supplante la marque et représente le seul cas avéré où l'on fait vendre sur un nom (le Goncourt ou le Livre Inter) qui ne soit pas celui de l'auteur primé (qui saurait dire qui a eu le Goncourt ou l'Interallié 2007?).
Par-delà l'auteur consacré, il s'agit donc de réfléchir au devenir de la littérature et à la responsabilité ou à l'éthique du geste d'écrire qu'il engage quand l'industrie du livre bouleverse les catégories habituelles de la posture auctoriale. Si la littérature a longtemps puisé sa force dans la croyance en un pouvoir de l'écrivain et de sa responsabilité morale révélée par la censure que l'autorité a apposée à ses écrits, l'écrivain consacré montre à quel point il a perdu aujourd'hui de son poids dans l'espace public et l'idée même de pouvoir de la littérature ne semble plus avoir de sens.
Industrialisation du livre et légitimité culturelle, dans leurs noces singulières, contribuent donc à fonder le succès d'un livre ou de son auteur sur des formes de légitimation qui, même si elles substituent de plus en plus au verdict le plébiscite démocratique, sont soumises aux aléas d'une actualité immédiate révélant la plus grande limite de toute industrie culturelle: celle de son incapacité à s'inscrire dans le temps long de l’œuvre.
L'écrivain lauré s'y découvre aliéné à un jeu médiatique où la promotion du livre, dans une rotation de plus en plus rapide des titres et des palmarès, prend le pas sur la reconnaissance littéraire durable de son auteur et de son œuvre.
Peut-on faire confiance aux prix littéraires ? .Pierre Assouline, juré Goncourt, consacre un livre à l'Académie des Dix.Sylvie Ducas, universitaire, publie une histoire des prix littéraires. Nous leur avons demandé si l'on pouvait faire confiance aux prix littéraires...