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EAN : 9782213607023
568 pages
Fayard (26/09/2001)
3.75/5   4 notes
Résumé :
"Molière a immortalisé les précieuses en les ridiculisant. Et si, pour nous faire rire, il nous avait trompés ? Si, au lieu de caricaturer des précieuses, il s'était moqué de ce qu'il y avait de plus moderne dans les façons de penser de ses contemporains ? Réunis dans ce qu'on n'appelait pas encore des salons, dames et cavaliers osent remettre en cause les rapports à la lecture et à l'écriture traditionnellement établis par les savants de profession. Mieux encore, c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
La préciosités, et les femmes censées l'avoir portée, les Précieuses, sont définitivement associées au XVIIe siècle comme une de ses marques les plus distinctives. En reprenant mon Lagarde et Michard (désolée pour les plus jeunes qui n'ont pas connu ce monument aussi incontournable qu'horripilant ) je trouve tout un chapitre qui détaille la préciosité, la littérature précieuse, accompagné de quelques (rares) textes : Voiture, l'Astrée, Mlle de Scudéry… Et la fameuse carte du tendre. C'est à cette représentation officielle que s'attaque Roger Duchêne : qu'est-ce que la préciosité au XVIIe siècle, et surtout qu'est ce que la Précieuse qui l'aurait incarnée ? A-t-elle seulement existé ? N'est-t-elle que ridicule et affectation ? L'auteur est allé chercher à la source, dans les textes de l'époque pour essayer de trouver une définition, cerner son identité et préciser les enjeux qui se cachent derrière cette dénomination.

Précieuse en tant que substantif apparaît uniquement en 1654, c'est à dire tard dans le siècle, bien après la plus grande époque de la chambre bleue de L'Hôtel de Rambouillet, réputée le net plus ultra de la préciosité et des précieuses dans les manuels. Précédemment, utilisé comme adjectif, il est entièrement positif et attribué aux grandes dames que l'on souhaite flatter. Même en tant que substantif, il est régulièrement associé aux dames les plus en vue : nièces de Mazarin, des dames d'honneur de la reine etc. Des personnes influentes, censées être belles, intelligentes, spirituelles et qui donnent le ton à la bonne société. Sans forcément avoir grand-chose de commun entre elles ni avoir particulièrement à faire avec la littérature.

Roger Duchêne pointe une confusion entre la galanterie et la préciosité. La galanterie était surtout un art de vivre, un comportement social parfait dans la société qui l'a vu naître. Il s'exprime avant tout dans la conversation, c'est un art de plaire, qui exclu une approche trop sérieuse, art du brillant et de la distanciation. le galant homme (et la dame galante sans rien de péjoratif) remplace l'honnête homme du XVIe siècle en tant qu'idéal de l'homme social. La galanterie suppose la présence des femmes, mais l'amour n'est pas le seul, ni même le sujet principal. La galanterie s'intéresse à tout, il s'agit d'être plaisant, agréable, non pédant. Les galants sont les tenants d'une nouvelles culture, délivrée de l'emprise des doctes et de leurs règles, ne supposant pas des études poussés des Anciens, acquise par la conversation et la littérature en langue vulgaire, poésie et roman. Une culture accessible aux femmes, qui même issues de la meilleures société ne font pas d'études poussées, en particulier n'apprennent pas le latin. Il y a eu une littérature galante, en réalité, ce que notre vieux Lagarde et Michard classe en littérature précieuse, était appelé en son temps littérature galante. Cette approche galante permettait aux femmes de s'exprimer, de prendre position, de juger des oeuvres littéraires, et des oeuvres de l'esprit en général, puisqu'elle ne nécessitait pas des connaissances qui à l'époque, sauf des rares exceptions, n'étaient pas accessibles aux femmes. Elles en sont les bénéficiaires, mais cette nouvelle culture correspondait aussi à l'aspiration des hommes du monde, qui même mieux éduqués que leurs compagnes, préféraient une culture moins savante et moins rébarbative.

Parmi tous les textes qui évoquent les Précieuses, le plus fouillé et riche, est un roman de l'abbé de Pure, La précieuse ou les mystères des ruelles (les ruelles étant l'équivalent de ce qu'on appellera plus tard les salons). Malgré sa longueur, il n'arrive pas à définir réellement ce qu'est une Précieuse. Plusieurs pistes sont explorées, sans arriver à une conclusion. Les femmes de ce texte expriment une aspiration à une vie de l'esprit, se revendiquent comme êtres de raison et non pas uniquement de sensibilité et passion, et veulent juger dans le domaine de l'art et de la morale pratique. A l'époque du roman, cette revendication n'a rien de novateur, l'humanisme et la Réforme avaient déjà permis à des femmes d'exprimer ce genre d'aspirations, ce n'est pas une caractéristique suffisante de la Précieuse. Dans un tome suivant, l'abbé de Pure passe à d'autres questions, ceux de la condition de la femme, son rapport à l'amour et au mariage. Même si les femmes du roman discutent d'une façon très libre sur ces sujets, en se demandant par exemple s'il faut supprimer le mariage (questions déjà largement débattues par le courant philosophique libertin), elles finissent par une sorte de soumission aux normes sociales même si elles les déplorent. Elles s'émancipent plus dans la dernière partie de l'ouvrage, avec des revendications qu'on pourrait qualifier de féministes, en insistant par exemple sur l'éducation des filles.

Au final, le roman de l'abbé de Pure donne un panorama des questions et débats autour des femmes de son siècle dans leur ensemble, aussi bien critiques à leur égard que celles qui les défendent. Il est difficile de voir en quoi cela peut définir spécifiquement un groupe d'entre elles, les Précieuses. Mais le terme devient dans l'air du temps, et Molière va s'en emparer en 1659. Il y a un avant et un après Les précieuses ridicules ; le succès phénoménal de la pièce fait qu'on se réfère à elle pour dire ce que sont ces mystérieuses Précieuses.

Malgré tout, le vocable de Précieuse va continuer à être attribué à certaines femmes réelles de manière positive (la quintessence de la dame galante). Mais à côté, un aspect négatif va s'attacher au terme : une prétention au savant jusqu'à l'abscons, le refus du mariage voire de la sexualité, un désir de réglementer le langage, un côté affecté et maniéré. A quelques rares exceptions qui sentent le règlement de compte, ces aspects négatifs ne seront pas attribués à des personnes précises, mais à un groupe brumeux supposé, parfois qualifié de « fausses précieuses ». Un certain nombre d'attaques contre ce groupe relève d'une sorte de misogynie de toujours : vieilles filles laides, femmes à la sexualité frustrée, voire lesbiennes, qui cherche à discréditer sans vouloir mettre en discussion les supposées revendications de ces femmes. Les aspirations à une vie de l'esprit et une forme de liberté, y compris dans les rapports hommes-femmes se heurte à un mur de préjugés et un refus de remettre en cause les prérogatives masculines traditionnelles.

Je laisse la conclusion à Roger Duchêne :

« On doit plus généralement affirmer que la vraie précieuse, comme la précieuse ridicule, est une construction de l'esprit, une représentation, favorable ou défavorable, non d'un groupe de femmes défini dans le temps et dans l'espace, mais des questions que posait désormais la présence des femmes dans une société mondaine devenue mixte, où leur loisir et leur curiosité pour des sujets jusqu'alors défendus leur donnait une influence naissante, et même prépondérante ».

Un livre vraiment remarquable d'intelligence, d'érudition et de clarté.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
A vrai dire, quels parents, au XVIIe siècle, auraient songé à préparer leur fille au mariage en leur accordant le droit de croire un moment que le réel peut s'inscrire dans l'imaginaire ? Les conditions que doit remplir le parfait amant des romans sont d'autant plus sévères qu'elles n'ont rien à voir avec celles qui sont nécessaires pour aboutir aux clauses d'un "bon" contrat passé devant notaire en présence des parents, amis et alliés des futurs époux. Le mariage étant une affaire de raison, on demeure persuadé que les intéressés, généralement trop jeunes pour connaître la vie et aveuglé par leurs sentiments, sont les moins capables de bien choisir.
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Des précieuses, vraies et fausses, ont existé aux yeux de leurs contemporains. On se trompe cependant en voulant faire d'elles une réalité sociologique, une sorte de parti cohérent, voire une cabale active. Elles ne sont que l'incarnation, dans quelques personnes disparates, des qualités intellectuelles et de la volonté de liberté que certains attribuent désormais aux femmes, ou, plus souvent, des défauts réputés féminins et des craintes masculines de voir les femmes prendre trop de pouvoir dans le domaine de la culture et du sexe.
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Le savoir, en effet, reste alors fortement lié au célibat. C'est une évidence pour les hommes, car il a été longtemps chez eux l'affaire des clercs. C'est encore plus vrai pour le sexe féminin. On l'a toléré, à la Renaissance, chez plusieurs femmes, dont l'érudition pouvait quasi atteindre celle des hommes. Mais elles ont dû ensuite choisir entre se marier et continuer l'étude et les belles-lettres. Car les activités intellectuelles, pense-t-on généralement, sont incompatibles avec les devoirs d'une épouse, qui doit se montrer entièrement disponible pour son mari et ses enfants.
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Et c'est alors que s'est instaurée, autour des "dames" et des "cavaliers", une autre forme de culture, non plus livresque et scolaire, ou du moins fondée sur une bonne connaissances des Anciens, mais d'origine orale, acquise pour et par la conversation, résolument moderne, centrée sur la poésie et le roman en langue vulgaire. Car les femmes pensent désormais qu'on peut prendre part à la culture en lisant des ouvrages écrits ou traduits en français, ou simplement en conversant avec des gens de lettres. Exclues depuis toujours de la culture traditionnelle, les femmes cessent de vouloir combler de leur mieux, en cultivant coûte que coûte les belles-lettres savantes, ce qu'elles ne considèrent plus comme un handicap, Le savoir qu'elles réclament n'a désormais plus rien de l'ancienne pédanterie. Elles privilégient une culture générale moderne, acquise dans le monde et pour le monde, et adaptée à la nouvelle vie mondaine.
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Eulalie [personnage de La Précieuse de l'abbé de Pure] soutient une idée intelligente et très en avance sur son temps : parce qu'elle est le moyen d'une prise de conscience, la parole des femmes est déjà une amorce de libération.
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