Mon cri pour toi

Entre Dieu et diable, j'ai hurlé mon cri pour toi de toute la ferveur de mon amitié.
À partir de ce jour, j'ai commencé à écrire ton histoire, mon ami,
telle que tu me l'as racontée, en pièces détachées et au fil des années.

Au cours de ces rencontres, il aura retrouvé sa dignité d’homme et une véritable considération de la part de quelqu’un. Il aura appris, surtout, le contentement de soi : lui, le banni, le rejeté, le déchet de la société, peut aussi accomplir de belles choses.

J’ai vu tant de mains de malfaiteurs trembler au-dessus du clavier... Do ré mi, un temps d’évasion, un temps pour oublier. Un temps pour redevenir un être humain normal et à part entière. Un temps pour la fierté.

Mon seul talent consiste à considérer le plus vil des détenus comme un être humain. Un être humain malheureux. Seulement cela. Voilà ma clé ensorcelée pour établir le contact : oublier les crimes et rechercher le filon d’humanité, ce germe souvent enfoui qui ne demande qu’à fleurir. Viser le cœur d’enfant, s’il existe toujours...

Quand un gars, après une quatrième condamnation, jure trop haut et trop fort que la drogue, c’est fini pour lui, même sans thérapie, et qu’en plus une job super payante l’attend dehors, qu’une amoureuse fidèle rêve de lui dans un nid doré, je le laisse dire. Je refuse de jouer son jeu. Je ne veux jouer aucun jeu, d’ailleurs. Je n’ai accès à aucun dossier, je n’évalue personne, je ne dispose d’aucun pouvoir. Je ne possède aucune connaissance spécialisée en criminologie, psychologie ou travail social. Je reste une bénévole sans formation qui vient ici pour écouter, partager, améliorer le sort de malheureux et les aider à passer le temps, rien de plus. Et offrir la musique, cette chère musique qui valorise et console tant ceux qui s’y adonnent. Si mon zèle a des répercussions dans leur avenir, tant mieux, sinon, tant pis ! Il a au moins le mérite d’adoucir leur présent.

La plupart conjuguent sourdement leur histoire au passé composé et définitif, trop accaparés par leur survie à l’indicatif présent et surtout au futur. Des confidences sur leurs blondes, j’en reçois parfois. Leurs appréhensions face à leur remise en liberté, ils m’en parlent abondamment, surtout quand le moment approche. Mais le passé reste en général enrobé de silence, à mon grand soulagement.

Roger n’avait jamais levé la main sur sa femme, mais il ne se gênait plus pour l’assommer de mots blessants. À force de se faire traiter de bonne à rien, Jeanine en était venue à se croire la cause de tous les maux. Pas assez bonne, pas assez généreuse, pas assez belle, pas assez aguichante... Elle s’écrasait comme un animal blessé, suppliant son mari de ne pas les abandonner.

Un enfant, dans sa pureté et sa naïveté, ne peut comprendre la haine...

Il suffisait d’un bon mot, d’un court moment d’attention ou d’une simple caresse sur sa tête, et l’univers de Christian se transformait en un monde heureux et sécurisant. Enfin, il se trouvait là, l’être le plus extraordinaire, le plus grand, le plus fort de la terre!

Mes ridicules petits collants exercent le pouvoir magique de métamorphoser les durs de durs en enfants. Il faut les voir choisir leur collant avec minutie, hésiter entre une étoile et un petit cœur, « quoique l’ange et la rose sont bien jolis aussi... » .