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EAN : 9782841728756
352 pages
L’Atalante (18/10/2018)
3.6/5   109 notes
Résumé :

La chair et la pierre sont de vieilles compagnes. Depuis des millénaires, la chair modèle la pierre, la pierre abrite la chair. Elle prend la forme de ses désirs, protège ses nuits, célèbre ses dieux, accueille ses morts. Toute l'histoire de l'humanité est liée à la pierre.

Quand on a 25 ans, un master en communication, une mère à charge et un père aux abonnés absents, on ne fait pas la difficile quand un boulot se présente.

Myr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (36) Voir plus Ajouter une critique
3,6

sur 109 notes
Cela faisait un moment maintenant que je voulais découvrir Catherine Dufour, cette auteure française qui semble un peu touche à tout en littérature tant sur la forme que sur le fond cette dernière ayant écrit des nouvelles comme des romans, de la fantasy, de la SF, du fantastique de la vulgarisation historique, ainsi qu'au moins une biographie. Une diversité des genres qui m'a rendu curieux et cela d'autant plus qu'à chaque fois ou presque que je lis une chronique sur l'un de ces écrits c'est souvent un ressenti positif.

Fin bref, je me suis donc décidé à me procurer l'un de ces écrits pour me faire une idée de ce que pouvait proposer l'auteure, pour ce faire ne lisant presque jamais de nouvelle c'est vers un roman que mon choix s'est tourné, pour être tout à fait honnête je me suis contenté de choisir celui dont la couverture me plaisait le plus. Je trouve en effet la couverture d'Entends la nuit très jolie et je dois dire la trouvé assez bien pensé une fois le roman terminé.

Cela faisait longtemps que je ne m'étais plus plongé dans un roman sans en lire avant le résumé et j'ai donc été de découverte en découverte avec ce roman qui se laisse lire sans difficulté grâce à la plume agréable de l'auteur et un vocabulaire assez moderne. J'ai d'ailleurs appris quelques mots comme "stabilobosser", un verbe qui m'a fait sortir de ma lecture pour aller faire une rapide recherche sur la dégénérescence de la marque Stabilo. Mais je m'égare quelque peu là ou l'auteur nous emmène dans un récit tout en nuances dans la découverte de Paris et d'une catégorie d'êtres fantastiques issus des croyances de l'antiquité romaine.

Entends la nuit et je dirais une bonne lecture de saison, et d'autant plus en cette approche d'Halloween. On est parfaitement dans le thème et l'ambiance, il est difficile de parler de cette lecture sans en dire trop, c'est un livre qui pose ses bases lentement mais sûrement avec une première partie clairement fantastique avant de tomber dans de la fantasy. Je suis vraiment content de ne pas en avoir lu le résumé avant ma lecture car sinon je me serais arrêté à ce simple mot : romance, je n'aurais jamais lu ce roman.

Entends la nuit est une romance dans un cadre d'urban fantasy, une romance entre une jeune femme et un homme qui vous l'aurez compris n'en est pas vraiment un… Un homme qui n'est d'ailleurs pas n'importe qui pour cette dernière vu qu'il s'agit de son supérieur hiérarchique qui la surveille au travail via le logiciel de surveillance installé dans chaque ordinateur de l'entreprise. Un peu glauque déjà pour un début de relation, vous ne trouvez pas ? D'autant plus que dans ce roman et notamment toute sa première partie Catherine Dufour n'évoque pas le monde de l'entreprenariat sous son meilleur jour mettant en avant l'existence d'une misère sociale, d'une jeune femme sans emploi qui va prendre le premier poste venue pour aider sa mère qui ne parviens plus à payer ses factures même si le poste en question est payé une misère, que son bureau est plus que délabré pour ne pas dire insalubre, les salariés sous surveillances constantes et les supérieurs aussi aimables que des portes de prison et encore.

Il n'en demeure pas moins que c'est dans ce contexte que va se nouer une relation entre Myriam, cette jeune salariée et son supérieur hiérarchique. Une relation assez dérangeante et malsaine et ceux d'autant plus quand la nature fantastique de ce fameux supérieur est révélée après le premier tiers du récit. J'ai vraiment beaucoup aimé la première partie du roman, la mise en place de l'intrigue qui peu à peu glisse vers l'étrange, le fantastique, j'ai aimé très vite le ton, le style de Catherine Dufour qui parsème son histoire d'un humour assez cynique avec un personnage principal qui n'a pas sa langue dans sa poche. La mise en place de la romance est bien faite, j'ai trouvé aussi dérangeante que passionnante le développement de cette dernière. le développement de l'univers de fantasy que nous propose l'auteur est lui aussi très intéressant et j'ai vraiment aimé voire développer cet aspect ne connaissait pas de nom les créatures fantastiques que met en scène ici l'auteure. Je ne désigne pas celle-ci à dessin mais je dirais juste que j'ai trouvé cela vraiment original et très bien réalisé.

Entends la nuit est un roman tout en nuances qui m'a vraiment surpris ou rien n'est tout blanc ou noir et ceux jusqu'à la fin. C'est un roman où tout est assez bien dosé est travaillé que cela soit le décor de la ville de Paris mis astucieusement en valeur tout au long de l'intrigue, l'ambiance que j'ai vraiment bien aimé en cette approche d'Halloween, et l'intrigue en elle-même qui se révèle intéressante et remplie de surprise tout en abordant l'air de rien une belle palette de sujet dans un style agréable et rempli d'un humour parfois corrosif que j'ai vraiment bien aimé.

Loin de ne constituer une romance d'urban fantasy mièvre et mal écrite pour adolescente, Entends la nuit fut vraiment une belle lecture et rencontre la plume de Catherine Dufour que je continuerai à découvrir avec très probablement son roman Au bal des absents sorti l'année dernière.
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Je me terrai dans mes murs pour une indispensable reconstruction. Aussi depuis un temps, je soigne mes priorités : repos, calme, sérénité, d'où mon absence prolongée sur Babelio. Ma dernière chronique date du 15 octobre sur L'amie, la mort, le fils, livre intime dont j'ai beaucoup apprécié l'écriture dans sa simplicité et sa pudeur. Récit plein d'humanité couvrant la mort d'Anne Dufourmantelle. Je n'aurais jamais eu l'occasion de rédiger cette chronique qui me tient tant à coeur n'eût été la masse critique de juin. A quoi bon revenir sur ce passé alors que mon billet autant que le livre de Jean-Philippe Domecq semblent voués à la confidentialité ?


Contraste saisissant qu'offrent les masses critiques dont je remercie Babelio pour l'organisation et les éditeurs. Je me suis aventuré dans celle intitulée mauvais genre et me suis vu attribuer dans ma petite sélection Entends la nuit. Il me reste deux jours pour honorer mon contrat ; voilà pourquoi, alors qu'il eût probablement été préférable que je reste muet comme une tombe, je m'extrais de mon sommeil du juste : dans cette nuit bien des nuages cachent les étoiles. Je n'en repère pour ma part que deux, et encore en cherchant bien.

Ceci ne veut trop rien dire quant au succès potentiel de ce produit parfaitement markété entre Cinquante nuances de Grey, Ange ou Démon et Tous ensembles (ou Ensemble c'est tout, je sais pus). De ma lucarne je peux même prédire, pour peu qu'il soit passablement poussé, un carton tel ses prédécesseurs en tête de gondoles des hyper-marchés. Vous m'excuserez de ne pas les nommer, mais je ne suis pas sponsorisé. Enfin vous trouverez, à défaut en librairie ou alors en vente en ligne, ce sera alors une déception que de ne pas le voir référencé par la grande distribution.


"Est-ce que j'ai 25 ans ou 5 ?"p.330 A cette question que se pose bien tardivement la narratrice, je réponds : 13. Les plus délurées ont leurs premiers ébats diablement jeunes dans les grandes ville comme Paris. Nulle trace de cette poésie propre à l'enfance chez cette post-adolescente immature perverse narcissique jusqu'au bout des seins. Y-a-t-il seulement un hashtag #balancematruie, pour dénoncer ces Bimbos sans foi, ni loi, prêtes à se vautrer dans la luxure et le stupre, le chantage et la trahison afin de devenir reine de Sodome et Gomorrhe ? Auto-apitoiement et adulation béate du luxe accompagnent tout du long cette guimauve déballant les omniprésents fantasmes sexuels d'adolescente attardée.


Si encore un lémure, un démolisseur ou tout simplement une bonne fée, malheureusement absente dans cette capitalistique Fantasy, avait fait disparaître les chapitres 23 à 52 soit 158 pages sur les 357, le récit aurait gagné en mystère et densité. Enfin puisqu'il est aussi question d'architecture, de sauvegarde des bâtiments, vous l'aurez compris aux frivolités alambiquées du style Rococo, je préfère la pureté simple du Roman.
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Cela faisait longtemps qu'on avait pas entendu parler de Catherine Dufour au sein des littératures de l'imaginaire (la dernière sortie SF de l'auteur datait de 2009 et elle s'était depuis consacrée à d'autres écrits comme un guide pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses, ou encore une une vie sexuelle de Lorenzaccio). L'auteur nous revient donc cette année chez l'Atalante avec un roman de fantasy urbaine présenté par l'éditeur comme un « anti-Twilight tout en humour ». C'est à la suite d'un article réalisé pour le monde diplomatique et consacré aux deux phénomènes littéraires que sont « Twilight » et « Cinquante nuances » que Catherine Dufour a eu l'idée d'écrire sa propre romance torturée. Pari risqué, car l'équilibre est souvent difficile à trouver entre la transposition pure et simple et la parodie sans nuances. L'auteur s'en sort cela dit remarquablement bien et nous livre ici un texte qui, quoique bourré d'humour, n'en dépeint pas moins une histoire d'amour tragique, tout en abordant quantité de thèmes en lien avec la société d'aujourd'hui. [Je précise que, même si je vais prendre garde à ne pas trop en révéler sur l'intrigue, je suis néanmoins obligée de mentionner dans le dernier paragraphe deux ou trois éléments qu'on ne découvre qu'un peu tardivement dans le récit.] le roman met en scène Myriam, une jeune femme qui vient d'être embauchée sur Paris par une boîte dans laquelle elle est censée faire de la veille informatique. Là, elle se retrouve confrontée à un homme en particulier, un des grands pontes de l'entreprise, avec lequel elle ne communique que par mails et coups de fil interposés. La relation commence assez mal, pourtant, très vite, Myriam se sent irrésistiblement attirée par cet étrange jeune homme aux manières vieillottes mais impeccables, qui manifeste pour elle un intérêt appuyé. Déjà difficile en raison de leurs positionnements hiérarchiques respectifs, la situation de nos deux tourtereaux va se complexifier encore davantage lorsque notre héroïne va apprendre la véritable nature de son patron...

Le roman reprend tous les codes des romans/films du style « Twilight » ou « Cinquante nuances », notamment en ce qui concerne les personnages. On retrouve en effet un homme au statut « élevé » (parce que plus riche et plus beau que les autres) autour duquel plane une aura de mystère, et une héroïne un peu paumée qui ne s'intéresse que de loin aux choses de l'amour et qui va laisser cet homme charismatique prendre les commandes de sa vie. de ce point de vue là, Catherine Dufour reste fidèle à ses inspirations, ce qui pourra, dans un premier temps, ennuyer ou agacer une partie de son lectorat. Et puis, au fil du récit, l'auteur s'écarte de plus en plus de la trame classiquement adoptée par ce type de romance pour nous délivrer un tout autre message. L'héroïne, d'abord, se révèle rapidement bien plus dégourdie et autonome que les femmes qui l'ont précédé dans ce rôle (même si, étant donné la passivité des donzelles mises en scène par Stephenie Meyer et E. L. James, ce n'était pas franchement difficile). Certes, Myriam tombe bel et bien sous le charme de son irrésistible patron surnaturel, au point de le laisser prendre un certain nombre d'initiatives à sa place, mais elle n'en garde pas moins tout au long du récit un recul qui lui permet de prendre conscience de l'étrangeté et de la nature malsaine de cette relation dont elle tente de reprendre le contrôle. Si l'héroïne se révèle aussi attachante, c'est aussi et surtout grâce à son sens de la répartie qui lui permet de remettre régulièrement à sa place son « prince charmant » au moyen de répliques bien senties dans lesquelles elle ne s'embarrasse d'aucune politesse et ne recule devant aucun tabou. le fait que la narration soit endossée par la jeune femme pendant toute la durée du roman implique inévitablement que le pendant masculin du duo soit plus en retrait (ce qui permet d'ailleurs de renforcer le mystère qui entoure sa personne). Celui-ci remplit pour autant parfaitement son rôle de prince charmant prédateur, se montrant tour à tour vulnérable ou tyrannique, effrayant ou charmant.

L'un des principaux atouts du roman tient cela dit moins à la qualité de l'histoire d'amour dépeinte qu'aux thématiques sociétales mises en avant par l'auteur. Les circonstances dans lesquelles se rencontrent les deux personnages servent ainsi surtout de prétextes pour aborder la situation du monde de l'entreprise aujourd'hui. Catherine Dufour nous dépeint une compagnie dans laquelle tous les employés sont contrôlés et surveillés en permanence par leur hiérarchie et leurs collègues, et où la quête de rentabilité aboutît à des situations complètement absurdes (états lamentable des toilettes pour que les employés y passent le moins de temps possible, logiciel de surveillance installés sur les ordinateurs…). Et le pire dans tout cela, c'est qu'il ne s'agit même pas des délires d'un auteur de SF paranoïaque mais bien de techniques employées dans certaines entreprises aujourd'hui. L'auteur aborde également la précarité dans laquelle ces sociétés maintiennent leur personnel, composé très majoritairement de femmes (évidemment, puisqu'on peut les payer moins cher !). le roman aborde aussi de manière plus subtile un sujet qui n'est jamais traité dans ce type de romance, à savoir les différences en terme de « classes sociales » des deux amants. On a en effet constamment à faire à un homme appartenant à l'élite de la société et qui va tenter de faire entrer la pauvre petite employée/lycéenne/étudiante de base (rayez la mention inutile) dans son monde, dont elle doit bien sûr apprendre les codes. Ce fantasme de l'homme richissime tombant sous le charme d'une femme de « petite » condition n'est évidemment pas nouveau, mais l'auteur lui donne ici une réponse pour le moins inattendue qui m'a, personnellement, beaucoup plus amusée que toutes les versions proposées précédemment (qui finissent quasiment toutes par un happy-end hautement improbable). Cette profondeur, le roman de Catherine Dufour la tient, entre autre, de ses nombreuses influences, parmi lesquels on peut citer, par exemple, Balzac (dont certains vers ont été choisis pour servir de titre au roman) ou encore Shakespeare (et notamment le personnage de Richard III dont on retrouve ici certains répliques).

Parmi les autres points positifs, il convient également de mentionner la qualité du décor qui occupe une place centrale dans le récit. Loin de se limiter au rôle de paysage plaqué en simple fond, la ville de Paris est au contraire très bien utilisée par l'auteur qui nous la fait arpenter d'une manière peu commune. le café de Flore, l'académie française, les catacombes, le toit de l'Opéra Garnier, la tour Saint-Jacques… : c'est qu'on en voit, des monuments de la capitale, au cours des pérégrinations de nos deux héros. ! Des monuments que l'on connaît tous mais que l'auteur nous dévoile ici sous un tout autre jour, faufilant ses personnages dans les rares interstices urbains qui existent encore aujourd'hui. Ces ballades dans les murs de Paris sont évidemment l'occasion de rappeler à la fois quelques uns des épisodes les plus importants de l'histoire de la ville (la Révolution, le siège des Prussiens…), mais aussi des anecdotes plus croustillantes ou plus sanglantes qui participent à rendre le décor vraiment vivant aux yeux du lecteur. Tout cela n'aurait évidemment pas pu être possible si l'auteur n'avait pas fait le choix de mettre en avant une créature surnaturelle dont le sort est intimement lié aux murs et aux pierres, à savoir les lémures. Évoqués dès l'Antiquité par les Romains, les lémures sont les spectres d'hommes et de femmes ne parvenant pas à trouver le repos et hantant par conséquent la demeure dans laquelle ils ont péri. Considérés comme des esprits malfaisants, ils sont souvent assimilés à d'autres créatures horrifiques tels que les fantômes ou encore les vampires, et c'est avec eux que notre héroïne va avoir maille à partir. L'idée est originale, et le traitement qu'en propose l'auteur encore davantage, ce qui donne lieu à des scènes parfois franchement cocasses qui permettent au roman d'adopter de temps à autre un ton plus léger. Cela fournit également à l'auteur l'occasion d'aborder des thèmes eux aussi peu communs, à savoir la préservation du patrimoine ou encore les politiques d'urbanisme (qui trouvent ici une justification pour le moins… étonnante).

Pari réussi pour Catherine Dufour qui nous offre avec « Entends la nuit » un roman qui n'échappe pas à quelques écueils mais qui se révèle dans l'ensemble cohérent et surtout très rafraîchissant. Une histoire d'amour improbable dénuée de toute mièvrerie, une héroïne avec du mordant, des promenades extraordinaires dans les murs de Paris, des problématiques liées au monde de l'entreprise : autant d'ingrédients détonnant que l'auteur est parvenu à arranger de manière surprenante pour un rendu réussi. A noter que la scène finale n'exclue pas une suite, chose que l'auteur ne réfute d'ailleurs pas…
Lien : https://lebibliocosme.fr/201..
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Cela faisait neuf ans qu'on l'attendait : Catherine Dufour revient enfin à la littérature de l'Imaginaire après quelques détours par l'Histoire (L'Histoire de France pour ceux qui n'aiment pas ça), le théâtre (La Vie sexuelle de Lorenzaccio) et les grandes dames (Le Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses). Point de futur post-apocalyptique arôme punk comme avec Outrage et Rébellion mais un retour vers le fantastique à l'humour grinçant et contagieux qu'elle affectionne tant.
Entends la nuit, publié cette fois aux éditions L'Atalante, explore Paris et ses vieilles pierres pour dénicher les lémures, des êtres inquiétants mais aussi étrangement sexy…

C'est le CDD de votre vie !
Tout commence avec l'arrivée de Myriame, une jeune femme au caractère bien trempé, à la Zuidertoren, une société parisienne coincée entre les immeubles grisâtres de Bercy. Joie et bonheur, Myriame accède au rêve capitaliste moderne : le CDD (et peut-être un jour le CDI, soyons fous !). En prime, un bureau qui porte le chiffre 327 avec des murs glacés façon Igloo pleureurs et un logiciel espion nommé Pretty face qui s'assure que vous travaillez comme il faut derrière votre écran. Sur Pretty face, Myriame aperçoit un homme étrangement attirant, un visage trop beau pour être vrai, un Loki peu loquace. Rapidement, elle comprends que derrière Loki se cache Sir Duncan Vane, l'un des dirigeants de la Zuidertoren. Lorsque celui-ci commence ouvertement à lui faire des avances et qu'elle tombe peu à peu dans ses filets, c'est le coup de foudre assuré…littéralement !

Le monde du travail, monstre moderne
Catherine Dufour troque les vampires de Twilight pour des aristocrates suradaptés au monde capitaliste moderne, écrasant leurs employés et les gardant bien sagement dans le pas cadencé du monde de l'entreprise. Dans Entends la nuit, c'est d'abord par la situation peu enviable de nouvelle employée dans une grande boîte lambda que Catherine nous entraîne. Bien vite, elle bascule cependant dans l'étrange et donne aux supérieurs hiérarchiques des atours surnaturels, des bêtes intrigantes et distantes que l'on ne comprend pas et qui effraient autant qu'elles attirent. Dès lors, le roman se focalise sur la romance quasi-sadomasochiste entre Duncan Vane et Myriame, un noble froidement séduisant et une femme ordinaire au caractère revêche. Petit à petit, on comprend que Duncan n'est pas humain et que Myriame vient de mettre le pied dans un nid de serpents.

Mânes and woman
Au lieu de réutiliser directement le mythe du vampire, Catherine Dufour ressuscite celui du lémure, fantôme malfaisant de la mythologie romaine, et celui des mânes, les esprits des ancêtres. Elle transforme momentanément sa romance en une (re)découverte de ces légendes oubliées et tente d'en faire l'ombre tutélaire des mythes plus modernes tels que le vampire, la goule ou le zombie, simples incarnations de ces anciennes divinités. Entends la Nuit reprend ensuite le chemin de la romance et montre le jeu de séduction dangereux qui se joue entre Myriame et Vane. Cette ennuyeuse romance pourrait égarer plus d'un lecteur…s'il n'y avait pas le truculent humour et le franc-parler d'une Catherine Dufour pleinement consciente du potentiel parodique et bouffon de la situation qui permet tout juste à ce cache-cache amoureux de ne pas virer au Twilight-bis faussement rebelle. Myriame n'est pas Bella et reste toujours lucide sur la pulsion de mort qui l'habite et lui fait côtoyer un monstre, un vrai, capable de l'absorber purement et simplement s'il le souhaite. Avec des répliques féroces et un rythme finement calibré, Catherine Dufour se tire de ce mauvais pas pour soutirer des sourires complices au lecteur.

Le sang des pierres
Mais surtout, la vraie originalité d'Entends la nuit, c'est de replacer Paris au centre du jeu. Oubliez la quête du sang, ici la pierre fait la loi. Incarnés dans les murs et les catacombes, les lémures offrent un lustre nouveau au patrimoine parisien, rappel inattendu de la puissance du temps et de ces grandes bâtisses qui nous observent vivre et mourir à travers les siècles. Normal dès lors que les lémures se comportent comme des nobles d'un autre temps, figures déplacées dans un monde moderne qui ne croit plus en eux. Modernité et patrimoine se tirent la bourre à qui mieux mieux et finalement la romance pourrait bien se trouver ailleurs que dans les draps de Myriame. Peut-être qu'Entends la nuit aime davantage Paris qu'elle n'aime ses frivolités amoureuses qui finiront inévitablement dans les flammes. Peut-être.

On frôle la catastrophe ! Catherine Dufour se met en tête d'écrire une romance fantastique avec toutes les scènes langoureuses que cela présuppose mais…non, Catherine Dufour reste Catherine Dufour avec son humour caustique qui emporte finalement le tout. Ajoutez une délectable métaphore sur le monde du travail et un amour de Paris qui flamboie à travers les créatures fantastiques hantant ces pages et vous obtenez un roman addictif et drôle à souhait.

Lien : https://justaword.fr/entends..
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Entends la nuit est le deuxième roman que je lis de Catherine Dufour (le premier étant Au bal des absents), auteure de fantastique contemporain qui brouille les frontières entre les genres dits « de l'imaginaire » et l'histoire de vie à portée sociale, ancrée dans le réel. J'apprécie son écriture agréable, précise et concise. Entends la nuit est un roman taillé comme de la littérature « blanche », sans longueur ni info inutile, qui montre une grande maîtrise du rythme du récit. Elle montre également une grande connaissance des codes du fantastique (tels que théorisés par Todorov), en mettant en scène une héroïne qui se trouve soudain aux prises avec une réalité qui dépasse ce qu'elle connaît : « le fantastique, c'est l'hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un évènement en apparence surnaturel. » : cet évènement est-il une illusion des sens, un signe de folie, une manipulation ? Dans ce roman, le surnaturel s'immisce par petites touches avant d'envahir complètement le quotidien de la protagoniste, dévoilant une société parallèle, qui vit littéralement sous et dans les murs. J'ai trouvé ce traitement littéral de la maison hantée très intéressant.

Dans ce roman, l'auteur rend hommage aux classiques de la maison hantée (le texte est émaillé de références, à commencer par le célèbre La Maison hantée de Shirley Jackson) et propose une « transformation » de codes (les « tropes ») amenés par d'autres oeuvres (dont on présuppose la connaissance).
Myriame, par l'entremise de Vane, va peu à peu découvrir un Paris fantomatique qui coexiste avec le sien : c'est celui des « larves » (comme larvae, les génies de la domus romaine). Ce choix original de créature fantastique pour interagir avec l'héroïne permet de dépasser des tropes trop usités (le vampire, le fantôme…) tout en revenant à des fondamentaux qui autorisent d'en faire l'origine de tous les mythes, que ce soient ceux du vampire ou du fantôme. le roman est souvent comparé à Twilight, car l'auteure l'a décrit justement comme un « anti-twilight ». Mais au-delà du binôme amoureux mortelle/créature immortelle, il n'y a rien de commun : l'héroïne est majeure, elle travaille, etc. La scène de l'élite de la société (surnommée la « Z »...) qui descend parmi les modestes employés lors de la pause déjeuner peut éventuellement rappeler la fameuse scène de la cantine dans l'histoire de Stephenie Meyer, ainsi que les oppositions que rencontre Myriame une fois sa relation avec Vane officialisée. À ce stade de l'histoire, le roman glisse dans l'imaginaire, mais les trois-quarts du récit se déroulent dans un cadre connu et prosaïque, celui de la vie de bureau à Paris : le fantastique, ici, se définit bien « par rapport au réel ».

Certains critiques ont vu dans ce roman une parabole sociale, mettant en scène l'exploitation, puis la fascination et enfin la rébellion d'une employée précaire face à une entreprise internationale fantomatique par sa toute-puissance et l'incapacité qu'à la protagoniste de la saisir (les patrons sont étrangers, ils ne se montrent que quand ils veulent, les employés sont surveillés, etc). Comme la protagoniste du Bal des absents, Myriame est une femme qu'on pourrait croiser dans la vraie vie : elle est précaire, un peu marginale, et forcée par la vie aux plus radicales extrémités. En cela, ce roman brosse un portrait acide de la société urbaine actuelle, qui broie les femmes célibataires et intelligentes, ayant un regard satyrique sur le monde
.
Malheureusement, c'est ce rapport trop évident au réel qui m'a empêché de m'immerger pleinement dans cette histoire. Lorsque je lis de l'imaginaire, que ce soit de la SF ou de fantastique, j'ai besoin de ressentir une certaine dose d'émerveillement, que j'ai eu beaucoup de mal à éprouver avec le ton constamment sarcastique de la protagoniste et l'ancrage de ce roman dans une réalité très parisienne. le mélange de second degré et de codes bit litt retournés semblait parfois cacher une posture bancale qui m'a fait m'interroger sur le message que voulait faire passer l'auteur avec ce roman : est-ce réellement une parodie, ou une romance fantastique mal assumée ? Au final, je n'ai pas cru un instant à l'idylle de Myriame avec Vane. Mais je n'ai pas cru pour autant à une réelle satyre. À cela s'ajoute une certaine confusion lors des scènes d'action/agression (Myriame est agressée plusieurs fois dans le roman), sûrement voulue : certains épisodes importants sont très confus et souvent, je ne savais plus trop où j'en étais ou ce qui venait de se passer. Je me suis même interrogée sur la fin. de même, un élément important du récit, qui apporte un tournant définitif à l'histoire, est amené de manière un peu brutale et tombe comme un cheveu sur la soupe.

Ce roman a été lu dans le cadre du Cold Winter Challenge, menu « cocooning hivernal », dans la catégorie « marrons glacés » (feel good, gourmandise) car je m'attendais à une romance fantastique bien cozy. Si le livre commence effectivement dans cette veine-là, on est loin de la romance feel-good, au final…Je ne doute pas, cependant, qu'il plaira à un certain type de lecteurs, ceux qui recherchent de l'originalité, de l'érudition et du second degré en SFFF.
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
La voix continue, crissant dans les ténèbres. Elle me raconte les gigantesques incendies ravageant les hameaux de paille au pied des châteaux de pierre, vaporisant les taudis pour se débarrasser des pauvres, morts ou vivants. Et plus tard, les bulldozers qui écrasent les places, les rues, les cours, les cimetières, les halles, les docks, les ossuaires et les carrefours, qui gomment les villages, les villes, les lieux et leur mémoire – pour les remplacer par des tours qu'on fait imploser tous les trente ans, ville nouvelle, ville vide, sans histoire et sans esprits – tandis que beaux quartiers, châteaux et palais sont sanctuarisés. Alors c'est ça. Lutte des classes minérale.
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Je grignote quelques pâtes et je vais me coucher. Malheureusement, une fois entre les draps, le sommeil me snobe. Le sentiment qui m’accable se résume en une seule phrase : « Fini de rire ! » Finie la belle vie dans la belle ville du Nord, adieu folle jeunesse, bienvenus âge adulte et travail à plein temps. Je m’endors en comptant les cafards.
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– Alors ? J’espère que tu as dit oui !
Bien sûr que j’ai dit oui. Comme si j’avais le choix. J’ai dit oui à tout, au contrat à durée déterminée et au salaire à trois chiffres. Mes chaussures neuves me font mal jusque dans les gencives.
– J’ai signé le contrat de mon sang, ça te va ? Elle est comment, cette Ikovna, en supérieure hiérarchique ? Je veux dire, au quotidien ? Plutôt carrée, hein ?
Sacha, un nouveau collègue complètement blond, éclate d’un rire énorme.
– Iko ? Elle est pleine de coins, oui ! Mais tu vas vite te rendre compte que le titre « supérieur hiérarchique » n’est pas pour elle, à la Zuidertoren. Ici, on réserve ça aux gens du sixième étage. Tu les verras bientôt, ils descendent souvent à la cafète le lundi et ils ont un look très hiérarchique. Iko, ce n’est qu’une… bah, une cadre, quoi.
Ce que raconte Sacha étant complètement dénué de sens, je me contente de hocher la tête.
– Si tu me montrais l’appli métier ?
– C’est parti ! Assieds-toi.
L’application est simple, je la connais déjà. De toute façon, tous ces logiciels de data mining se ressemblent. Par contre, l’écran de veille qui surgit dès que je lâche le clavier trente secondes est… Je colle mon nez dessus.
– Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
C’est une mosaïque de visages. Qui bougent. Certains téléphonent, d’autres se grattent le menton.
– C’est Pretty face, notre logiciel de flicage maison, ricane Sacha. Ta cam est là.
Son ongle effleure le haut de l’écran.
– Tous les employés de la Zuidertoren sont filmés en continu. Ça permet aux cadres genre Iko de voir d’un seul coup d’oeil quel chargé d’études se cure le nez ou finit sa nuit au lieu de bosser. N’oublie pas de le déconnecter quand tu vas boire un café. Officiellement, « Pretty face permet de faciliter la synergie entre les partners. » Mais moi, j’appelle ça du flicage.
Moi aussi, seulement je n’ai pas assez d’ancienneté pour le dire.
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Le soir, je pourrais faire des semelles avec mon moral : une eau glacée transpire des murs, je suis assaillie par des vents coulis et Vane n’est pas venu sur Pretty face de la journée. Tout à mon auto-apitoiement, je me recroqueville au bord du fauteuil et fixe l’écran avec rancune en soufflant dans mes poings ; Vane est là. Il porte une veste anthracite. Il est beau et sinistre comme mon bureau. D’ailleurs, il a la même couleur cadavérique que les murs. Ses paupières sont noires, sa bouche est violette ; il a l’air concentré. Je suis si contente de le revoir que je tape :
– Bonjour, sir Vane. Encore merci. Vous m’avez sauvé la vie.
Il répond quatre mots :
– Je vous en prie.
Son image disparaît. Ce salaud s’est déconnecté. Encore !

Le lendemain matin, j’ai à peine allumé mon poste que la messagerie miaule.
– Bonjour, mademoiselle.
C’est signé Vane. Je n’ai même pas le temps de commencer à m’indigner que la messagerie miaule à nouveau.
– Me pardonnerez-vous le laconisme dont j’ai fait preuve hier ? Je devais terminer un dossier qui ne souffrait pas de délai.
Son phrasé graisseux me fatigue. Qu’est-ce qui explique cette volte-face aussi brutale que les autres ? Un orage qui approche ? Une étude qui retarde ? Foutu coquet. De toute façon, je n’ai pas le choix : je dois répondre aimablement. Mon CDD en dépend.
– Que puis-je pour votre service ?
J’envoie, je lève les yeux vers l’écran et je plonge dans les siens. Bon, je connais la suite : il va être charmant et, dès que je serai charmée, me renvoyer aux misères de mon néant. J’ouvre un logiciel et Pretty face disparaît. Dix secondes plus tard :
– Aurez-vous le temps de répondre à quelques questions ?
Parce que j’ai le droit de disposer de mon temps ? Je crache deux petits jets de fumée par le nez et j’écris :
– Monsieur.
Je laisse mes mains embrayer – elles ont leur style.
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Pour moi, travailler sert à gagner de quoi manger, point. J’ai bien essayé d’arrêter de manger, une fois, mais ça ne marche pas. Elle ne comprend rien à cette attitude. Elle a mille fois tenté de me montrer les aspects magnifiques du monde du travail. Malheureusement, quand elle dit « carrière », je vois un tas de cailloux.
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Vidéo de Catherine Dufour
Lecture de Catherine Dufour : une création originale inspirée par les collections de la BIS.
Ce cycle est proposé depuis 2017 par la BIS en partenariat avec la Maison des écrivains et de la littérature (MéL). Un mois avant la restitution, l'écrivain est invité à choisir un élément dans les fonds de la BIS. Lors de la rencontre publique, « le livre en question » est dévoilé. Chaque saison donne lieu à la publication d'un livre aux éditions de la Sorbonne "Des écrivains à la bibliothèque de la Sorbonne".
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