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Chère Anne,
Je voudrais démarrer cette lettre par une citation de Platon : « Il y a une admirable énergie dans l'obstination de la douceur. » Et dans votre magnifique essai, Puissance de la douceur, vous avez introduit votre propos par celle-ci de Marc-Aurèle : « La douceur est invincible ».
J'ai commencé à venir vers vous lorsque vous n'étiez déjà plus là, à quelques jours près. Mais ce n'est pas pour cela. Pour des raisons professionnelles je devais effectuer une recherche sur le thème du risque et ainsi j'ai fait votre connaissance par hasard dans votre très bel essai Éloge du risque.
Puis une amie d'ici, Piatka, je lui en suis reconnaissante, m'a pris la main pour franchir la rive du temps et vous rejoindre de l'autre côté où vous étiez peut-être déjà, découvrir ce roman ultime, Souviens-toi de ton avenir, que vous veniez de transmettre par courriel, à votre éditeur, quelques minutes avant de descendre sur cette plage de Méditerranée d'où vous ne remonteriez jamais plus...
Chère Anne, comment parler de douceur après cela ?
Et pourtant c'est possible et je suis sûr que vous le désirez. Je suis sûr que vous allez m'aider un peu. À votre tour, prenez-moi la main pour éviter que je ne tombe dans les pièges qui m'attendent ici à chaque pas que je franchis : ne pas parler de ma vie, de la douceur que je ressens ou celle qui me manque, tout cela n'intéresse personne et l'autre piège : éviter de vous paraphraser, résumer votre magnifique essai en des phrases picorées pêle-mêle et qui n'auraient plus de sens ôtées de leur contenu et de leur contexte...
Allons-y, je me lance, tant pis si je trébuche, je me relèverai avec douceur...
Déjà ne comptez pas sur moi pour écrire ici des béatitudes dignes d'un livre de développement personnel. Je pense que la douceur est subversive. Voilà, c'est dit. C'est peut-être ce que nous dit Platon, Marc-Aurèle, vous aussi. Quant à nous lecteurs, nous sommes impuissants à trouver les mots qu'il faut pour le dire, alors nous avons recours à des philosophes, des poètes, des auteures comme vous, pour comprendre cette chose insaisissable qu'est la douceur.
La douceur est une forme d'anarchie dans notre monde lisse qui expose l'individuel et la performance comme seuls modèles valables d'existence.
Chère Anne, j'ai aimé votre regard pour chercher et visiter cette douceur à travers les âges, à travers la géographie du monde, à travers les arts. Rien ne vous échappe. Vous nous aidez à venir vers elle, à la déceler là où elle se cache, là où on ne veut pas la voir. On n'ose jamais parler de douceur.
La douceur vient sans doute de l'enfance... Est-ce pour cela qu'elle demeure en nous comme une énigme ?
Tiens, un quiz à l'attention des quelques amis qui lisent cette chronique... Combien de fois avez-vous prononcé le mot douceur aujourd'hui ? Pas facile... Ne vous troublez pas, j'élargis le champ pour vous aider : dans la semaine ? Dans le mois ? Dans l'année ? Mais quoi, ce mot est-il si dangereux, plein de soufre pour qu'on n'ose pas le prononcer au risque de paraître mièvre ou mielleux... ?
Chère Anne, vous voyez, personne ne me répond... Vous aviez raison d'écrire ce livre, remettre ce mot, ce concept, ce sentiment, je ne sais pas comment on peut l'appeler, au cœur de nos vies. Nous en avions tellement besoin.
Pourtant, la douceur est partout, aux abords de nos vies, autour, en dedans, et après... Vous dites là où elle se pose, là où elle se terre. Vous nous aidez à avancer pas à pas, dans les méandres de nos vies tourmentées, soulever une pierre, ouvrir une porte, regarder la personne qu'on aime, soulever ses paupières, fermer les yeux à notre tour et sentir enfin cette douceur attendue au fond de nous prête à venir comme une vague, emplir le réceptacle de notre corps, pour peu que nos cœurs l'entendent venir aussi, ça c'est une autre chose merveilleuse, elle viendra aussi à cet endroit.
La douceur est une gourmandise, un geste sensuel offert à l'autre. Une invitation.
Chère Anne, j'ai aimé quand vous m'avez pris la main pour visiter quelques magnifiques classiques que j'ai appréciés par-dessus tout. L'Homme qui rit, de Victor Hugo. Y-a-t-il de la douceur dans le sourire de Gwinplaine, à jamais figé dans une cicatrice que des hommes lui ont infligés ? L'amour et la fidélité de Gwinplaine et de Déa sont aussi des marques de douceur infinie, parmi la brutalité qu'ils doivent affronter. C'est leur force.
Rimbaud, Baudelaire, Flaubert, Tolstoï, Dostoïevski, on ne soupçonnerait pas trouver de la douceur dans leurs phrases, mais vous, il est vous est arrivé de soulever des pages et des mots et de les faire surgir comme des rais de lumière dans le bruissement des arbres.
La douceur est puissante, alors qu'on la croit molle comme une chique ou simplement délicate comme une caresse, ce qui n'enlève rien ni à la caresse, ni à la délicatesse. Elle peut être violente aussi ou provoquer de la violence. Mais oui...
Comment avez-vous fait pour déloger cette douceur là où on ne la soupçonne pas ? Dans l'exil ? Dans la noirceur du jour, du chemin qu'on attend ? Dans l'aube qui traîne ses ramures... ?
La douceur est de passage.
Chère Anne, si la douceur est de passage, pouvons-nous la retenir encore un peu près de nous ? Saisir sans violence, ou peut-être faut-il le faire avec violence, le geste qui la retiendra encore un peu près de nous. Car la douceur prend soin de nous.
Mais la douceur est un chemin aussi. Un chemin qui part, qui revient.
La dernière page du livre parle de paix, du moins d'une forme de paix, une trêve parmi la guerre. Un témoignage beau qui montre que la douceur est possible dans les moments les plus improbables.
La douceur est beauté.
Chère Anne, je referme votre livre et les mots bruissent encore comme des abeilles autour de la ruche. Le miel viendra après comme une douceur...
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Par l'auteur de l'Eloge du risque, un autre aspect de la personnalité à développer selon cette philosophe psychanalyste, la douceur.

Tout aussi intéressant que le premier livre lu. Auteur à découvrir, que je recommande.
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Pas facile de parler de la douceur à notre époque qui fait plutôt l'apologie de la force, du marchandage, du rentable. Où alors, comme le souligne très bien l'auteure, la douceur est instrumentalisée, commercialisée pour finalement être diluée dans la violence du quotidien. La douceur renvoie, à l'enfance, à la régression, au ventre maternel. C'est en philosophe et en psychanalyste que Anne Dufourmantelle nous parle de cette notion galvaudée. Donc ce n'est pas toujours facile à comprendre. Nécessité parfois de relire certains passages, certaines pensées. Et puis, il faut savoir se laisser aller à la poésie des mots, comme on se laisserait aller à une régression assumée. La douceur et envisagée sous différents aspects, à différentes époques. Elle n'a pas représenté la même chose dans l'antiquité grecque ou chinoise. La notion de douceur sera perçue différemment selon notre propre vécu, notre éducation. L'auteure puise aussi largement dans la littérature, notamment russe avec Tolstoï et Dostoïevski, pour en faire surgir des sens différents et élargis.
Comme on le voit, c'est un livre parfois difficile d'accès mais qui propose au lecteur une conscience élargie de soi et du monde, à travers cette notion de "douceur" dont l'humanité, a cruellement besoin de nos jours, que ce soit individuellement ou collectivement.
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Je suis un inconditionnel. J'ai presque lu l'intégralité des écrits de la psychanalyste philosophe.Le titre m'avait intrigué. Et à la réflexion, je n'aurais pas dû l'être. Quoi de plus pénétrant que la douceur ? Anne Dufourmantelle la présente avec sensibilité, érudition et grand talent littéraire.
Ces textes ciselés modèlent l'amplitude de la douceur, exposent les facettes insoupçonnées d'une qualité boudée par les philosophes. Peut-être parce que la majorité des penseurs ont été des hommes. Pourtant la douceur est à la portée de tous, nichée là où on ne pense pas à regarder. Merci à l'âme défunte de nous avoir doucement ouvert les yeux.
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Ce livre redonne ses lettres de noblesses à la douceur.
Vertue oubliée, voir méprisée par notre société élitiste, obsédée par la performance.

Je conseille cette lecture aux doux bien sûr, aux hypersensibles, aux travailleurs sociaux, à toutes personnes qui s'occupe des autres et qui possède une conscience collective. Il prodigue beaucoup de force en ces temps troublés. L'église ayant perdue de son influence, les valeurs humaines ne sont plus prônées (et même si je suis presque Athée, je dois bien reconnaître que la religion a pu façonner notre esprit vers un mieux pour ce qui est de s'occuper un peu des autres)
De nos jours, le Dieu de la consommation ne faisant pas de publicité pour tout cela: il faut bien que des auteurs comme Anne Dufourmantelle nous incite à nous pencher vers le beau, ou la mise en pratique d'un regard d'acceptation et de bienveillance ... même si une telle disposition d'esprit est difficile à avoir dans le monde que nous vision: la compréhension de la petitesse d'autrui , y compris la sienne propre: aide à l'acceptation et au lâché prise. On ne peut pas tout changer dans ce monde, mais on peut au moins tenter de préserver son âme de la noirceur. Et souhaiter qu'un jour les être humains se tournent un peu plus vers leur être : Sa douceur a tant à nous apprendre.
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[...]  
Anne Dufourmantelle n'interpelle pas le lecteur, mais partage avec lui son analyse et sa lecture du concept de douceur, depuis la Grèce antique jusqu'à aujourd'hui. Elle réévalue son sens et aborde sa genèse pour en percevoir son essence, sa richesse et sa portée. Ainsi, l'auteure redonne ses lettres de noblesse à une valeur dépréciée en Occident, à un mot mal compris et mal utilisé. C'est d'ailleurs parce que la douceur n'est pas évènement, mais puissance de métamorphose que l'Occident dévalue autant le terme que les variations qu'il induit. Or, la douceur n'est pas fatalité de l'être.

C'est tout le contraire, bien évidemment, qu'Anne Dufourmantelle remet en lumière. Parce que la douceur est lumineuse et qu'elle est nécessaire à la vie : aucun être vivant ne peut survivre sans en avoir fait l'expérience. Sans s'y confronter. [...]
Lien : https://www.startingbooks.com
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La douceur n'est pas un concept philosophique. Personne n'en a tracé le contour.
Pour Anne Dufourmantelle, cette notion est avant tout une puissance, au sens où l'entendaient les Grecs anciens. Pas question ici « de théories d'amélioration du moi et de recherche du bonheur » qui alimentent le marché du « mieux-être ». L'auteure garde à l'esprit la question essentielle pour elle du passage de la fatalité vers la liberté, malgré nos conditionnements multiples. Elle s'interroge sur la capacité des êtres à se métamorphoser.
Pour illustrer son propos, elle pointe quelques figures littéraires qui ont tout bouleversé sans le vouloir, de « L'homme qui rit » de Victor Hugo aux « Frères Karamazov » de Dostoïevski, en passant par les personnages de Kafka ou de Tolstoï. Elle présente aussi la douceur comme une force révolutionnaire et subversive. « Il n'y a pas de seuil à la douceur, plutôt une continuelle invitation à être contaminée par elle, qui peut se briser en un instant. »
Anne Dufourmantelle nous entraîne sur des chemins de traverse dans cette courte et merveilleuse méditation, écrite en mini chapitres. Cette psychanalyste venue de la philosophie aimait l'idée que l'on puisse flâner dans ses essais, « comme on traverse un jardin. » On peut lire ce livre d'une traite, ou y musarder, selon notre inspiration.
J'avoue avoir ressenti une certaine émotion tout au long de cette lecture, en pensant à la disparition récente de cette belle personne.
« Certains êtres ont la grâce d'avoir l'air de débarquer sur terre pour l'enchanter. », Anne Dufourmantelle, « L'envers du feu », 2015.


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« Puissance de la douceur », Anne Dufourmantelle (Payot, 80p lues sur 140)
Malgré l'intérêt que je porte à la philosophe et psychanalyste, à son oeuvre et aux sujets qu'elle aborde, j'ai eu encore plus de mal à avancer dans celui-ci que dans « La femme et le sacrifice ». Je me suis retrouvé dans un essai fait d'éclats, parfois saisissants, parfois disparates, avec beaucoup de difficulté face à une écriture régulièrement ardue.
Ça part dans tous les sens, entre vérités d'évidences et notions très complexes, et parfois ce qui m'est apparu comme des incohérences, ou en tous cas des assertions qui auraient mérité des explications dont A.D. s'exonère. Par exemple : « - la douceur appelle le corps, c'est-à-dire l'idée d'un corps que la douceur incarnerait et désincarnerait en même temps. On peut imaginer que la brutalité se dissout au contact de l'eau utérine qui protège le bébé, mais pas toujours. La douceur n'appartient pas au seul genre humain. Elle est une qualité dont les registres infinis vont au-delà du règne du vivant. » A mes yeux, si bien sûr une pierre lisse peut être douce, elle ne l'est que dans la sensation qu'en éprouve un être vivant qui la touche ou la regarde.
Bref j'ai lâché au milieu ou un peu après. Dommage ?
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Dans cette éloge de la douceur, Anne Dufourmantelle aborde à la croisée de la psychanalyse et de la philosophie une qualité intrinsèque à toute personne. L'ayant reçu chacun, nous avons en nous cette capacité à la bénévolence et à l'amour tendre. Très inspirant, ce court essai a jeté une lumière sur ma vision de la vie et des gens.
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Une grande joie de lire ce livre. Les chaleureuses intelligences d'Anne Dufourmantelle. '' De l'animalité, elle garde l'instinct, de l'enfance l'énigme, de la prière l'apaisement, de la nature, l'imprévisibilité, de la lumière, la lumière. ''


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