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Critique de pompimpon


Plongée dans un monde de fringues, d'accessoires, de poses, de façon de parler, de manière de bouger.
Plongée surtout dans un monde de personnes qui assument leur identité sexuelle et veulent être acceptées pour ce qu'elles sont, sans hypocrisie, sans dissimulation.
Au début des années 80, même à New York qui nous semblait si avancée par-rapport à Paris, ce n'était pas gagné.

Strike a pose
Strike a pose
Vogue vogue vogue

Come on vogue
Let your body move to the music move to the music
Hey hey hey
Come on vogue

Dix ans plus tard, Madonna reprend ce manifeste des fiertés noires et latinos LGBTet-autres qu'était, qu'est toujours le voguing, pour en faire cette jolie chorégraphie tiède en noir et blanc qui fait frémir les bonnes gens.

Elle sait bien d'où vient le voguing, Madonna, elle sait ce qu'il signifie.
Imiter, détourner, s'approprier les codes des concours de beauté, des balls, tous réservés aux blancs, faits par eux et pour eux, et montrer sa vie en instantanés comme des manequins sur le papier glacé du magazine Vogue.
Strike a pose.

Quoi, de la danse, du spectacle, des kilomètres de tissus, des heures de travail et d'inventivité pour trouver LA pose qui dira exactement ce qui gît au fond du coeur, des discussions de fin de nuit, et des pépiements trop féminins pour l'être "de naissance", ça va nous raconter une page d'histoire de la lutte contre l'homophobie ?

Ca pourrait être un peu l'idée, mais pas que.

Il y a aussi les drag-queens, raillées et dénigrées jusque dans la communauté gay, qui les trouvent excessives, caricaturales, et affirment qu'elles desservent La Cause.
Comment pourraient-elles "desservir" La Cause, elles qui se recréent , se réinventent chaque jour ?

Regardez, voici James Gilmore.
Quand il remplit des formulaires, il indique James Gilmore, et pas Lady Prudence sur la ligne "noms". À la rubrique "profession", il écrit : toupie volante.
Drag-queen, ça ne passerait peut-être pas…

James arrive d'Atlanta, où il était déjà drag queen, tout jeune. 1980, New York vibre et frémit sous les pas de ces générations qui vont casser les codes et faire bouger les lignes, moins qu'elles ne le souhaitent mais davantage que la société ne semble prête à l'accepter sous l'ère Reagan.

Lady Prudence nous prend par la main pour nous faire découvrir ou nous rappeler, c'est selon, ce monde des drag-queens, travestis, trans…

La trajectoire comme une fusée multicolore dans la nuit new-yorkaise, la banalité de noms devenus mythiques, forcément, les clubs, le show, et puis les balls, des battles de voguing, les maisons, les mères de maison devenues mythiques elles aussi…

Comment renforcer son personnage de drag, le travailler, le vêtir, que choisir pour telle ou telle occasion ?
Et où trouver à se produire, parce qu'être drag-queen, ça n'est pas juste pour parader dans son appartement ou pour les copines, c'est être dans le spectacle, chanter, danser, chorégraphier des playbacks, faire le show dans les clubs ?
Affirmer ce qu'on est, montrer sa création...
Le spectacle, le quotidien, la lutte, les nuits, les petits matins, des tissus, des tissus, des tissus, des robes, des accessoires, des voix qui reviennent à la mémoire, des rires, des joies…

La fusée multicolore s'éteint sous les assauts des violences, des amies assassinées, du sida.

Après la voix de Lady Prudence, c'est celle de Victor Santiago qui résonne.
Trente ans plus tard, il cherche à son tour son personnage de drag, se demande comment faire, par où commencer, comment assumer et montrer qui il est, lui dont l'identité sexuelle est et reste hétéro.

James et Victor se parlent, James évoque les années 80, Lady Prudence, les maisons, et la disparition de Venus, Angie, Marsha et tant d'autres.
Sida, meurtres, pseudo-suicides…
Victor dit South Central à LA dans les années 2010, la découverte par hasard du monde des drag-queens, impératrices du show, et l'écho qu'elles trouvent en lui.

Lady Prudence aidera Mia de Guadalajara à venir au monde.

Leurs deux voix s'entremêlent et se répondent.
La cause avance mais étrangement, elle s'enferme aussi dans de multiples cases, sous une étiquette ou une autre, parce qu'il s'agirait de ne pas tout mélanger.

Et ça, ça m'a sauté à la figure. Dans les années 80, je n'ai pas le souvenir qu'on ait eu besoin de tant de précision, il suffisait d'affirmer les droits de tous, l'égalité de traitement pour tous, la fin du jugement à la petite semaine et des regards incendiaires des bien-pensants (mais de quoi se mêlaient-ils, hein ?).

La plongée est double, James racontant à Victor dans la première partie, Victor à James dans la seconde. Elle est portée par une belle écriture. L'évocation est forte, le vocabulaire choisi pour frapper précisément où il doit le faire.
Julien Dufresne-Lamy a le ton juste, les flamboiements dans le verbe qui donnent, redonnent vie à ce moment, cette courte respiration avant le sida.
L'émergence des maisons revit sous nos yeux, et en particulier la Maison Xtravaganza, avec Angie, mère incontournable.
Chaque page rappelle que ce qui semble tellement accepté socialement aujourd'hui a constitué une forme puissante d'affirmation d'un soi "non-conforme".
Dans le vêtement.
Dans le geste.
Dans le mode de vie.

Ce roman m'a bouleversée.
Autant pour la force d'évocation de ce monde si souvent caricaturé et moqué, et dont il dit toutes les rencontres fabuleuses qu'on peut y faire, que pour ce qu'il m'a justement rappelé.
Durant quelques années, j'ai eu la chance de cotoyer cet univers à Paris et d'y faire de merveilleuses connaissances, à partir de 1981.
La gamine hétéro de dix-sept ans que j'étais avait été touchée au coeur par les belles personnes qui créaient ce qu'elles voulaient être et luttaient pour être acceptées telles qu'elles étaient, et choquée par le rejet, l'homophobie, la haine dont elles étaient victimes.

Le sida avait sifflé durement la fin de partie, décimant les rangs.

Ca a été un coup au coeur de retrouver l'écho de leurs voix dans le récit de Lady Prudence, et de lire comme un reflet des discussions sérieuses ou non, des soirées passées, des moments partagés à la même époque de l'autre côté de l'Atlantique. Ce qu'elles m'ont appris n'a pas de prix. La générosité, l'amour, la bonté qu'elles y mettaient non plus.
De si précieux souvenirs…

Merci à #netgalleyFrance de m'avoir fait découvrir ces #jolisjolismonstres
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