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Critique de Root


« Lady Prudence se dirige vers la rampe. James s'est volatilisé sur la moquette de la loge, flaque d'homme en attente. Lady débarque dans le couloir et les deux nouvelles recrues lui disent, T'es si belle en drag-queen. Lady répond merci. Dans les marches, elle vérifie la boucle de ses bottes. Brillantes comme ses mains de taffetas. Lady se sent belle. Cavalière. À la conquête de son territoire. Elle grimpe rapidement l'escalier comme si Lady devait vite retrouver ses rêves au sommet d'une montagne. Les voix s'élèvent depuis la salle. Ça pulse en elle comme du cristal. Lady agrippe la dernière marche et sous les lumières, j'apparais tout entière. »

Il s'appelle James Gilmore. Dans le milieu, on le connaît sous le nom de Lady Prudence. Son drag. Son double, son alter ego, son monstre.

Lorsque sa tante, qui l'élevait, meurt d'une balle perdue, James n'a que quatorze ans. Des connaissances l'hébergent pour la nuit à droite à gauche, mais quand le jour se lève, il est immuablement livré à lui-même dans les rues d'Atlanta, ses souvenirs comme seul bagage. Tandis qu'il arpente la ville, il rencontre les « Cinq L », « des filles au sourire extra » qui lui ouvrent les portes de leur monde. Les Queens le prennent sous leurs ailes pailletées, et lui apprend les ourlets de robes et les ongles à vernir. de stand up en playback, un autre naître en lui.

À dix-sept ans, James commence le tapin. Avec ses passes, il s'offre ses premières robes et ses premiers accessoires de reine. Il débute la scène avec ses amies, mais Atlanta ne lui suffit pas. Il rêve de grand, de brillant, de décadent, et en 1980, il débarque à New York. Impertinent et pétillant, il se mêle au tumulte multicolore et laisse enfin éclore celle qu'il veut être réellement : un joli monstre.

Jolis jolis monstres, c'est trente ans de la vie d'un homme. Trente ans d'extraordinaire et d'extravagance, narrés tantôt de James à Victor, son poulain, tantôt de ce dernier à son mentor, sa « mère ». C'est un voyage dans le temps, dans les mentalités, dans les coulisses du spectacle, et, au sortir des clubs, une plongée dans la solitude, le rejet, la violence qu'on aimerait ne pas voir exister. Avec son habileté à pénétrer les coeurs et l'art du verbe qu'on lui connaît désormais, Julien Dufresne-Lamy a donné à ses personnages fictifs la même envergure, le même charisme qu'aux artistes de renom croisés au Club 57, le place to be de l'underground dans les 80's. J'ai été extrêmement touchée par James et par Victor, par Angie Extravaganza (bien réelle, quant à elle) que l'auteur a su célébrer, par la délicatesse et l'affection avec lesquelles il a su les mettre en scène. Il n'y aurait de terme plus juste : mettre en scène. Ils sont beaux, sensibles, drôles, loufoques, dotés du pouvoir d'exercer une attraction inexplicable sur le lecteur – et spectateur. J'aurais aimé passer ne serait-ce qu'un instant d'effervescence avec eux durant leur heure de gloire et leur rappeler la superbe de leur singularité. J'ai été émue par la découverte d'un monde que je ne connaissais pas, un monde avec ses propres codes (d'honneur), ses coudes serrés. Triste, aussi, de revivre, au fil des chapitres, l'émergence du sida et ses ravages, de rencontrer ses premières victimes montrées du doigt, de les côtoyer intimement.

Ode à l'Homme, à l'Autre, à soi, Jolis jolis monstres est le passage de la chenille au papillon, se jouant du consensuel. le fil de soie qui caresse une joue fardée. La chrysalide sous les projecteurs. Un roman brillant, entre panache et pudeur, euphorisant, intelligent. Une invitation à une fête qu'on garde en mémoire avec un pincement au coeur.
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