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Critique de YvesParis


Le Seuil a réussi un joli « coup » éditorial en publiant à la veille du vingtième anniversaire du génocide de 1994 la thèse soutenue l'an passé par Hélène Dumas à l'EHESS.

Elle ne traite pas de la question de la responsabilité du génocide, refusant de prendre parti dans la querelle qui oppose grosso modo ceux qui, derrière Patrick Saint-Exupéry (et Paul Kagamé), en font porter le poids à la France à ceux qui, derrière Pierre Péan, entendent l'en exonérer.

Représentante d'une nouvelle génération d'historiens qui n'avait pas encore atteint l'âge adulte à l'époque du génocide, elle n'est pas l'otage des controverses dans lesquelles ses aînés, tels Jean-Pierre Chrétien ou Gérard Prunier, sont englués depuis vingt ans. Sans être africaniste de formation, elle intègre le génocide rwandais dans la perspective plus large des violences de masses contemporaines comme le souligne l'historien de la Première guerre mondiale Stéphane Audoin-Rouzeau qui a dirigé sa thèse et préfacé l'ouvrage qui en est issu.

Hélène Dumas se revendique de la microstoria, de ce courant historique attaché aux lieux, aux acteurs et aux faits. Pratiquant l'histoire « au ras du sol » , elle ambitionne de présenter « une modulation locale de la grande histoire » en auscultant une commune « ordinaire », une « colline entre mille » , située à une dizaine de kilomètres au nord de Kigali. C'est le sens du jeu de miroirs où se reflètent le titre de son livre – qui renvoie au célèbre Village des « cannibales » d'Alain Corbin – et son sous-titre. On pourrait pinailler, invoquer le fait qu'il n'existe pas de « village » au Rwanda et regretter qu'Hélène Dumas n'ait pas repris purement et simplement le titre de sa thèse : « Juger le génocide sur les collines ». Mais ce titre aurait été trop réducteur, qui aurait limité l'exposé à la présentation d'un processus judiciaire.

Sans doute, pendant cinq ans, l'auteur a-t-elle suivi les audiences des tribunaux gacaca, cette forme de justice communautaire destinée à juger les « petits » criminels. Mais ce qui l'intéresse n'est pas la procédure judiciaire, aussi innovante soit-elle . Ces procès d'un style particulier, qui se déroulent sur les lieux mêmes des crimes qu'ils jugent et dont les juges en ont été les témoins directs voire les victimes, sont pour elle la « porte d'entrée » (p. VI) vers le génocide qu'elle appréhende avec les outils de l'anthropologie historique. Ces procès rejouent le génocide, caractérisé par « l'intimité sociale voire affective » qui unit ses acteurs.

Telle est la principale caractéristique du « génocide de proximité » rwandais : des voisins se sont entretués. Tel est son principal mystère : comment cette vicinalité pacifique s'est-elle retournée ? Hélène Dumas cherche la réponse à cette question dans l'histoire rwandaise, à partir de la guerre qui éclate en 1990 avec les premières offensives depuis l'Ouganda du Front patriotique rwandais (FPR). C'est à partir de cette date que les imaginaires se construisent, transformant les Tutsi en inyenzi, en « cafards » qui infiltrent le territoire la nuit et qu'il faut exterminer. C'est à partir de cette date aussi que se met en place un programme d'autodéfense « civile » avec distribution d'armes dans les communes et militarisation de la population.

Pour autant, le méticuleux travail de terrain auquel s'est livré Hélène Dumas lui évite le piège de la téléologie. Si la guerre a rendu possible le génocide à partir de 1990, elle ne l'a pas pour autant rendu inévitable. L'approche anthropologique révèle « l'autonomie meurtrière des voisins » (p. 301) dont ne rend compte ni les clichés de l'obéissance passive, ni ceux de la fureur désordonnée. Elle éclaire au contraire l'irréductible responsabilité des tueurs, « petits » et « grands », dans les actes commis à l'égard de leurs voisins, de leurs neveux, de leurs coreligionnaires.
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