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Calmann-Lévy (01/01/1928)
4/5   2 notes
Résumé :
Georgette Garou est une jeune paysanne qui vit avec sa grand-mère à Sublaines, un petit village de Touraine. Elle épouse Didier, le domestique qui travaille à la ferme, un homme fiable et travailleur. Très vite, ils essaient d'avoir un enfant, pour que les terres de la ferme restent dans la famille. Seulement, l'enfant ne vient pas. Georgette se résigne alors à coucher avec un fermier du village, déjà père d'une dizaine d'enfants. Elle y voit la garantie de tomber e... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Étrange personnage que cette Dominique Dunois, de son vrai nom Marguerite Lemesle, soeur du médecin local de Bléré, petite commune rurale d'Indre-et-Loire, et qui apparemment vécut toute sa vie célibataire en compagnie de sa mère. Cette femme discrète, dont il n'existe que deux photographies, s'investit durant dix ans, de 1923 à 1933, dans une oeuvre littéraire visant à décrire les moeurs campagnardes de sa région d'une plume acérée, trempée aux sources même du naturalisme. S'inspirant de personnes réelles, dont elle ne changeait que les noms, plaçant ses romans dans d'authentiques villages, Dominique Dunois nous en a laissé un témoignage fidèle, non seulement d'un grand réalisme mais d'une étonnante finesse psychologique.
« Georgette Garou » est considéré comme son chef d'oeuvre. C'est en tout cas celui de ses romans qui obtint le prix Fémina à sa sortie en 1928. Sur bien des plans, c'est un des derniers grands chefs d'oeuvre du naturalisme, publié à une époque où ce style littéraire était pourtant regardé comme dépassé. L'influence d'Émile Zola et celle des frères Goncourt - le titre même du roman évoque certains romans des Goncourt qui portent des noms de femmes, « Renée Mauperin » ou « Germinie Lacerteux » - est ici particulièrement tangible. C'est un portrait âpre et naturaliste d'un petit village de la région centre, durant les années 1880-1900. C'est d'ailleurs écrit avec une certaine condescendance bourgeoise typique d'un auteur instruit qui pose un regard sans aménité sur les gens rustres du terroir. Mais à la différence du Zola de « La Terre », qui avait évoqué la paysannerie avec une certaine truculence et un humour gras, Dominique Dunois dresse ici un portrait cynique et cruel des petites gens, sans la moindre dose d'humour, bien dans le style glacial et hautain des frères Goncourt.
« Georgette Garou » s'attache au destin réel d'une certaine Charlotte Denoizay, ici rebaptisée Georgette Garou, ayant vécu dans le petit village de Sublaines à la fin du XIXème siècle. Georgette/Charlotte était l'héritière d'une exploitation agricole un peu cossue, appartenant encore à sa grand-mère. Bien que fort jolie femme selon les critères ruraux de son temps, et donc à même de s'unir à un beau parti, Georgette Garou préfère épouser son métayer Didier Rousseau, dont elle apprécie le côté travailleur et opiniâtre. Ce n'est pas un mariage d'amour, même si les deux jeunes gens s'apprécient. Georgette sait qu'en tant que femme, elle ne suffira pas physiquement aux exigences de l'exploitation. Didier, lui, n'est qu'un modeste paysan, qui n'aura jamais les moyens de s'acheter une terre. Ce mariage est donc une bonne association, le jeune homme devenant propriétaire de l'exploitation et Georgette s'assurant un homme taillé pour la travailler.
La grand-mère Garou, elle, n'a qu'une exigence : que le couple ait au plus vite un enfant, et de préférence un garçon, pour que de son vivant elle puisse lui transmettre l'amour de la terre. Mais aussi ardentes que soient les nuits de Georgette et Didier, l'enfant ne vient pas. Des médecins consultés à Bléré ne décèlent aucune anormalité ni chez Georgette, ni chez Didier. La grand-mère Garou leur fait subir alors une lente mais constante pression. Elle finit par laisser entendre que les deux gamins de l'Assistance Publique que la ferme emploie pourraient au final hériter de l'exploitation, car la mère de Georgette, partie à la ville, ne doit surtout pas hériter de la ferme, sans quoi elle sera vendue.
Georgette Garou décide alors de commettre un acte qui, dans sa tête, lui semble dictée par le besoin. L'un des habitants du village de Sublaines est un ouvrier agricole qui a fait à sa femme pas moins de 14 enfants, en majorité des garçons. Georgette va le trouver un dimanche dans son champ et lui propose de lui faire un enfant à elle. Pour Georgette, c'est une affaire comme une autre, elle n'y voit ni plaisir, ni malice. Elle rétribue même en espèces l'ouvrier pour son service. Autant attiré par la femme que par l'argent qu'elle propose, celui-ci prend Georgette en plein milieu de son champ. Mais d'un promontoire voisin, les enfants de la paroisse, guidés par le curé dans une vadrouille dominicale, aperçoivent cet édifiant spectacle. L'homme d'église a beau les écarter rapidement du panorama, les enfants ont tout vu, et ils vont parler.
Dans cette atmosphère de terroir, les langues se délient beaucoup mais jamais ouvertement. On se moque de Georgette, et plus encore de Didier, jugé cocu et impuissant. Néanmoins, quelques mois plus tard, les preuves de la grossesse de Georgette sont visibles et indubitables. Didier a forcément entendu les racontars, mais il ne s'en offusque pas. Lui aussi a pris goût à la terre, et la venue de cet enfant, même d'un autre, lui garantit son statut de propriétaire. En effet, si la stérilité de Didier avait pu être prouvée, ou si aucune autre solution n'avait été faite pour enfanter, un divorce aurait pu être prononcé à sa décharge.
Victorieuse, Georgette reprend alors le pouvoir dans sa ferme, et exige à la naissance de l'enfant que les deux petits de l'Assistance Publique soient renvoyés sur le champ à leur institution. le chagrin des deux enfants donne lieu à une scène d'une extrême cruauté, car au moment de partir, la petite orpheline placée là depuis des années, qui regardait Georgette comme sa mère de substitution, et qui elle-même lui prodiguait une affection de femme en mal d'enfant, éclate en larmes au moment de quitter la ferme, et se jette aux genoux de Georgette, puis de sa grand-mère, puis de Didier pour les supplier de la garder, mais chacun d'entre eux reste indifférent, avec cette dureté d'âme des gens de la campagne qui ne s'embarrassent pas de sentiments. La détresse épouvantable de cette petite fille, sacrifiée par orgueil, s'humiliant face à ceux qui déjà l'ont chassée de leurs coeurs, et dont la description minutieuse s'étale sur plusieurs pages, est le passage le plus douloureux à lire de ce roman, et chaque lecteur ou lectrice doit bien prendre conscience que l'on en sort difficilement indemne et qu'il vaut mieux avoir un mouchoir à portée de main.
Les années qui suivent voient la ferme revenir à une vie normale, même si le jeune fils de Georgette, Jean Rousseau, se fait houspiller à l'école durant des années par ses camarades de classe au sujet de sa paternité. À l'adolescence, il développe contre sa mère une sourde hostilité et se rapproche davantage de Didier. le hasard d'ailleurs fait qu'en devenant un homme, le jeune garçon ressemble incroyablement à Didier Rousseau, physiquement et par ses manières, soit qu'il ait lui-même cultivé un mimétisme pour faire taire les racontars, soit que Georgette était finalement déjà enceinte de Didier quand elle s'est faite engrosser par l'ouvrier agricole.
À la mort de la grand-mère Garou, Georgette et Didier héritent de la ferme, mais Jean est alors suffisamment grand pour prêter main forte à son père. D'un accord tacite, les deux hommes marquent une distance ouverte avec Georgette, motivée par une de ces rancunes muettes et tenaces qui minent les familles rurales pendant des décennies. Devenue progressivement une étrangère dans sa propre maison, regardée avec désapprobation et mépris par tous ses voisins, Georgette prend l'habitude de passer ses après-midis à faire de la bicyclette jusqu'à Bléré. Surprise un jour par une averse, elle se réfugie dans un bistrot et y fait la connaissance de Vanlaert, un fondeur belge, venu à Bléré pour y travailler sur un chantier. Cet homme, travailleur courageux et solide dans sa tête, est sincèrement attiré par Georgette, laquelle voit en Vanlaert une issue inattendue au marasme de son existence. Durant de nombreux mois, Vanlaert et Georgette se retrouvent ponctuellement à Bléré pour y vivre une romance adultère. Bléré ne se trouvant qu'à quelques kilomètres de Sublaines, on apprend vite dans son petit village, où la jeune femme passe ses après-midis et certaines de ses soirées. Cela va bien avec ce que l'on savait déjà d'elle. Didier et Jean Rousseau serrent les dents et ne disent rien. Seule l'exploitation de la ferme les intéresse.
Un jour, cependant, Vanlaert avoue à Georgette que son contrat à Bléré est terminé et qu'il doit retourner en Belgique. Sincèrement épris, il demande à Georgette de tout quitter et de venir vivre avec lui. Après une courte réflexion, Georgette décide de le suivre. Un matin, alors que tout le monde dort, elle quitte pour toujours sa ferme et rejoint Vanlaert à la gare de Bléré, pour démarrer une nouvelle vie. Elle ne reverra jamais plus ni Bléré, ni Sublaines, ni son mari, ni son fils. Après quelques échanges de courriers visant à la renonciation de ses droits sur la ferme, Georgette termine ses jours en Belgique, apparemment heureuse et libérée de cette ferme, de cette terre et de ce village, qui n'ont jamais cessé de l'étouffer.
« Georgette Garou » est donc un magnifique portrait de femme, l'un des plus beaux et les plus injustement méconnus de la littérature française. C'est aussi un roman qui fait le procès d'une certaine avidité paysanne, et des mentalités étriquées des petits villages. C'est même à ma connaissance le premier roman qui souligne le rôle ingrat des femmes dans la paysannerie, non pas dans une perspective féministe, mais simplement pour démontrer que dans ces milieux pauvres, peu instruits, obsédés par l'argent et la possession d'une terre, la femme n'est jamais qu'une machine à pondre que l'on traite à peine mieux que du bétail.
Si Dominique Dunois s'attache véritablement à l'émancipation de Georgette Garou, elle n'en fait pas pour autant un portrait idyllique : Georgette est elle aussi le produit de ce terroir de gens durs et abrutis. En témoigne son rejet des deux gamins de l'Assistance Publique, dont elle se fait un défouloir. Son manque d'empathie envers les autres amène aussi les autres à manquer d'empathie envers elle. Mais ce que Dominique Dunois admire, c'est ce courage de la jeune femme de résoudre ses problèmes par elle-même, sans se préoccuper du regard des autres, sans hésiter à renoncer à tout pour partir en quête du bonheur. C'est cela qu'elle admire, car au final, à ses yeux, Georgette Garou marque la fin d'un monde, celui des traditions éprouvantes et hypocrites de la ruralité. Comme sa mère avant elle, Georgette finit par quitter la campagne pour une existence plus saine, plus tournée vers l'épanouissement. Son exemple annonce le grand exode rural qui va lentement mais sûrement bouleverser la société française au tournant du XXème siècle.
Le succès de ce roman, et l'exposition médiatique que lui valut sa récompense littéraire, rapporta, parait-il, bien des ennuis à Dominique Dunois. Certes, des petits villages du centre de la France se retrouvaient dans un roman de très haute qualité, majoritairement lu par l'élite littéraire française - et souvent parisienne - de son temps. Mais quelle image âpre et impudique en était ainsi donnée ! Il faut peut-être voir dans ce scandale qui atteint l'écrivain dans son entourage immédiat l'explication au fait qu'elle ait mis, cinq ans plus, tard, un terme à sa carrière littéraire.
Ceci dit, « Georgette Garou » est restée depuis presque un siècle un roman régulièrement relu et réimprimé dans la région centre, et en 2012, la municipalité de Bléré a donné le nom de Dominique Dunois à une venelle qui venait d'être inaugurée dans la petite ville, et ce, en présence des deux dernières descendantes de Charlotte Denoizay, celle qui fut le modèle de « Georgette Garou ». Hommage tardif à une enfant du pays, qui fut longtemps une célébrité contestée pour avoir donné de sa région une image par trop naturaliste, mais qui témoigne encore aujourd'hui avec une vérité absolue d'une société rurale désormais révolue.

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