Elle était longue, la liste des causes qui pouvaient transformer un être banal en monstre.
Le temps semble vite très long quand on attend. Surtout si la peur s'en mêle.
Au-dessus du comptoir en zinc, des marionnettes alignées les contemplaient, dont le plus célèbre couple de Liège, Tchantchès et Nanèsse, lui en sarrau bleu du siècle passé, et elle un fichu sur la tête. Des tiesses di bwès qui, d’après la tradition populaire, n’avaient peu de rien.
Mais les bouchons, déjà susceptibles en temps normal de transformer un moine bouddhiste en chien enragé, risquaient bien, s'ils n'agissaient pas d'une manière ou d'une autre, de les rendre fous tous les deux.
A défaut d'appeler Paul, elle essaierait alors au moins de semer des cailloux derrière elle, même
virtuels ; cette tactique ancestrale avait déjà fait ses preuves dans les contes pour enfants. Nul doute qu'elle pourrait encore être utile, même si l'ogre arborait cette fois un accent russe et des tatouages de crânes surmontant une paire de tibias entrecroisés.
Il appartenait à cette ville, en connaissait les moindres recoins et en contrepartie elle l'apaisait, lui procurait un sentiment de sécurité. Tout le contraire de ce que devaient ressentir les réfugiés, surtout les jeunes femmes sans doute, coincées entre un pays d'origine qui niait leurs droits et un pays d'accueil qui refusait de leur donner des papiers.
L'école aussi pouvait tomber dans les pièges de la discrimination et jusqu'où un jeune raciste éconduit par une jolie condisciple pouvait-il aller ?
Clarisse avait beau prétendre qu'elles étaient proches toutes les deux, des amies, il ne pouvait se défendre d'un sentiment de doute à ce sujet. Des amies ? Quand l'une habitait un quartier branché de Liège et l'autre une rue pourrie dans le fond de Seraing ? Quand l'une avait fini ses études de journalisme et l'autre ...?