Tatouages
Abattu par la lettre de rupture de Nathalie, Stanek venait de passer ses deux premiers jours de repos à se lamenter sur son propre sort. Après s'être vidé de toutes les larmes de son corps, il avait fini par se faire violence. Et ce matin, il s'était lancé un défi de taille en s'attaquant à la réhabilitation du garage. Pourtant son épouse n'arrêtait pas de lui rabâcher les oreilles de ce désordre ambiant, mais il n'avait jamais franchi le pas. Il fallait bien reconnaître que, pour une fois, elle n'avait pas tort. Lui-même n'en pouvait plus de chercher indéfiniment ses outils. Les enfants avaient même osé manifester leur mécontentement ; un comble, quand la majeure partie des cartons entreposés regorgeait d'affaires leur appartenant ! Alors il retroussa ses manches et s'y attela de suite, de peur d'être découragé par la vision qui s'offrait à lui. Des cartons remplis de jouets, des affaires de ski, du temps où ils allaient à la montagne l'hiver, et des livres en tous genres, de la cuisine au bricolage en passant par les bandes dessinées, jonchaient le sol. Les vélos, posés sur leurs jantes, les pneus à plat, pas prêts d'être utilisés de sitôt, traînaient, juste pour encombrer un peu plus le passage, au même titre que les outils de jardin et les deux tondeuses à gazon que jamais personne ne se risquerait un jour à redémarrer. Zibanski se refusait à accabler qui que ce soit, mais malgré tout, ses pensées convergeaient naturellement vers Nathalie. Il entendait encore ses paroles résonner dans sa tête : «Ne jette pas, on ne sait jamais, ça peut encore servir !». Et sous prétexte que la machine, la babiole ou l'antiquité, n'était pas complètement obsolète, on la rangeait dans un coin en sachant pertinemment qu'on ne viendrait jamais la rechercher. Mieux, si le besoin s'en faisait ressentir un jour, il était évident que le couple achèterait l'équivalent, en plus sophistiqué. Malgré tout, ils décidaient de garder, comme si c'était dans leurs gènes, pour se donner bonne conscience, histoire de ne pas gâcher. A force de retrouver des choses inutiles, et cette fois-ci de les jeter directement dans le conteneur en vue d'un départ imminent pour la déchetterie municipale, Stanek tomba sur son ancien jeu de fléchettes. Lui, par contre, avait servi. Quand il était jeune, le major adorait s'adonner à cette discipline où, à force de répétition, il excellait. Il avait même participé à des concours, à quelques mois de partir à l'armée. Par la suite, il y avait initié ses enfants en essayant de leur communiquer sa passion. D'ailleurs, dès que Léo avait été en âge de comprendre et de lancer, la famille avait passé de beaux après-midi endiablés devant cette cible trouée de toutes parts. Elle pouvait encore servir, estima-t-il, un rictus forcé à la commissure des lèvres. Stanek la mit de côté et rafistola cinq fléchettes sur les huit ayant survécu au fond d'un carton. Il se mit de suite à les tester dans son garage. Finalement, le rangement prit fin dès cet instant. Il venait de trouver le moyen de s'évader et d'occuper son esprit. Ce jeu avait un tel pouvoir d'apaisement qu'il lui procurait un bien-être considérable. Il ne pouvait pas mieux tomber. Signe de la providence, il décida de l'emmener dans la salle à manger, décrocha un cadre et l'installa illico.