Bien surprenant, ce petit roman.
C'est le vague souvenir du film et la verve explosive de
Roger Hanin dans le rôle de Charles le Téméraire qui m'ont incité à le lire. A la lecture de la 4eme de couverture et de la préface, j'ai rapidement ressenti une inquiétude. Ainsi, nous annonce-t-on, le projet de
Henry Dupuy-Mazuel est de faire contrepoids des Romantiques du 19ème siècle en glorifiant les Grands Personnages de France trop injustement dénaturés par Dumas et consort ; et tant pis si la République justifie la monarchie au passage. Et les quelques phrases qualifiant le duc de Bourgogne sur la 4eme de couv – traité de « perfide » face à Louis XI, on aura tout lu – annonçaient en effet une couleur partisane : le méchant duc contre noble roi.
Mais à la lecture les dégâts ne sont pas si profonds. Certes le clan royal est dépourvu de malice et Louis XI est présenté comme honnête et droit (mais pas idiot) et non dépourvu de défauts désagréables. Et jamais on le définit dans un rôle de puissant envahisseur décidé, par la diplomatie, la ruse et la force s'il le faut, à démolir les autonomies des duchés de Bretagne et de Bourgogne et à les intégrer au domaine royal (cela c'était plus la vision de
Philippe Tourault dans son livre
Les ducs et duchesses de Bretagne). Mais Charles le Téméraire est loin de paraître aussi caricatural que je le craignais. Il est sanguin et un peu brusque, mais lui non plus non montre pas de malice nauséabonde. C'est un grand seigneur sûr de sa force et de sa destinée, mais qui respecte le roi. La méchanceté bourguignonne est octroyée à des seconds rôles particulièrement infâmes.
Il faut bien l'avouer, l'auteur manie à merveille le suspense tragique qui pilote les mésaventures de ce couple d'amoureux et séparé par leurs allégeances. Jeanne Fouquet est filleule de Louis XI et Robert Cortereau porte-étendard du duc de Bourgogne. Qu'il leur est difficile de concrétiser ce coup de foudre qui les terrasse dès les premières pages. L'amour fou les attirent l'un vers l'autre mais le devoir et l'honneur les éloignent comme s'éloignent leurs suzerains. La scène de poursuite qui aboutit au « miracle » est superbe, mais elle n'est rien comparée au siège de Beauvais mené par les bourguignons. Jeanne Fouquet est une leader, presque la réincarnation de Jeanne d'Arc. Ce personnage de femme forte écrit en 1924 est surprenant. J'avoue avoir tremblé pour les deux tourtereaux qui se démènent à Beauvais sans savoir qu'ils sont proches l'un de l'autre.
La langue est travaillée, un peu comme celle des Rois Maudits. Elle entraine la distanciation immédiate du lecteur et l'emporte en vol direct vers le moyen-âge, même si l'on ne parlait pas ainsi à l'époque.
Je le répète : une bonne surprise.