Le cahier de recettes, c'est ce qui reste de ce père cuisinier à Julien, le fils qui aura grandi non pas dans les jupes d'une mère mais dans les casseroles, les épices, la chantilly, les tables pleines d'un monde affamé. Julien se souvient de son père, si absent, si distant, si taiseux. Il se souvient de son enfance où la nourriture était prêchée avec le plus grand respect. Il se souvient de la belle Hélène, agrégée en lettres, de son savoir, de son amour pour les livres. Puis, c'est du vide dont il se souvient. La solitude comme seule amie. Hélène est partie. Faute à cette profession ingrate de cuisinier où il faut travailler de 7h à minuit, où on n'a plus le temps pour vivre ailleurs que dans une cuisine.
Un roman sympathique et léger qui relate sans extravagance l'envie d'un jeune de s'émanciper, de puiser dans l'héritage paternel pour vivre ses envies. On sent combien l'auteur est passionné par la gastronomie. Ce roman transpire de métaphores culinaires, de recettes en tout genre. le tout est néanmoins servi sans cette pincée de sel et de poivre. Je n'ai pas vraiment senti toutes les saveurs décrites dans ce roman. C'est fluide et léger mais aussi plat et creux, sans exaltation culinaire ou émotionnelle à mon humble avis.
#LeCahierDeRecettes #NetGalleyFrance
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Au travers de ce roman on sent la passion, mais aussi cet amour filial et paternel. Cette transmission d'un savoir , d'un amour pour la cuisine. Mais aussi cette envie de protéger et de voir les siens avoir une vie meilleure.
J'ai adoré ce roman qui m'a mise face a certains éléments de ma vie. Au devoir de mémoire que nous avons vis à vis de nos ancêtres . Il y a quelques jours un évènement important est venu frapper à ma porte. Certains membres de ma famille et moi-même avons appris l'existence d'un carnet écrit par mon grand-père maternel. Il avait été conservé et caché par un autre membre de la famille. Nous n'avons, par le biais du net, pu en lire que quelques pages.. mais c'est très émouvant de voir l'écriture d'un ancêtre et surtout ce qu'il a vécu. Mon grand père y notait ses 5 ans de captivité dans un camps lors de la seconde guerre mondiale, ainsi que son arrestation et sa libération.
La vive émotion que nous avons pu ressentir est très certainement ce que Julien a lui aussi du vivre.
Revenons au roman, qui mérite d'être lu et connu. Il est court , sans doute mon seul regret. Une écriture agréable et fluide , prenante. D'ailleurs je l'ai lu d'une traite.
L'auteur maitrise a la perfection les description et les sentiments. En fait on est immergé complètement dans cette histoire... histoire qui se déroule chez moi d'autant plus. Ce qui fait qu'on y retrouve ses marques .. des noms de rues, auxquelles on peut y associer des odeurs, des souvenirs personnels.
Bref un roman qui se lit vite mais qui est une incroyable leçon de vie, ou chacun pourra s'y reconnaître ou tout au moins y reconnaitre quelqu'un qui lui est proche.
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Très beau roman sur le temps qui passe , l'amour familial , le désir d'ascension sociale d'un père pour son fils , les non- dits , les premières amours , et , aussi , la passion d'un jeune pour le métier exécuté par la figure tutélaire.....Nous sommes dans les années 70 , dans les environs de Dijon , une époque qui voit décliner l'intérêt pour les études " techniques " et monter dans les classes populaires la fierté de voir accéder les enfants au très élitiste BAC , porteur d'honneur , de fierté , un sésame vers une vie qu'on espère plus " facile " , mieux reconnue et valorisée....
Ce livre , c'est déjà ces transformations sociales qui s'infiltrent peu à peu dans un monde jusqu'alors assez cloisonné, assez figé, entraînant souvent des " conflits de génération ".Julien et son père, Henri , n'échapperont pas à cette tendance ...
Dès le début, c'est l'émotion qui nous gagne avec Julien qui assiste son père au moment du grand départ....Et tout , bien entendu , tout , va remonter . Les personnages , incroyables de charisme comme Lulu , Gary et Maria , énigmatiques comme Hélène, l'épouse enfuie....On va les suivre avec intérêt et mesurer leur rôle dans le cheminement initiatique du jeune Julien . Il y aura aussi les obstacles à franchir , les interrogations , les joies , les peines jusqu'à un dénouement...Un roman de la vie , simple , comme ont pu la connaître nombre d'entre nous , une vie insérée dans la passion , les odeurs , l'art de ces bons petits plats généreux, goûteux , qui flattent nos papilles .
Ce livre , c'est une explosion d'émotions et j'avoue m'être repu de ces mots , de ces phrases , de ces images soignés, aussi bien " cuisinés" que les plats préparés avec amour et passion par Henri ....
J'ai eu l'occasion de m'en expliquer déjà, je n'apprécie pas spécialement les romans " feel - good" qui envahissent le marché ( attention , j'ai grand respect pour leurs auteurs et leurs lecteurs , à chacun ses goûts ) . Ce livre me semble aller au - delà de ce genre littéraire par sa sincérité naturelle , son reflet de la société et des mentalités d'une époque qui m'est familière , et il y a une incroyable pudeur à dévoiler juste ce qu'il faut des personnages .Malgré un sujet somme toute délicat, on vit , on vibre , on rit , on comprend ou pas la situation , on prend parti ou non , on rit , bref , c'est un livre dans lequel je me suis senti " acteur " et qui a fait remonter en moi , nombre de souvenirs .C'est très bien écrit, on se croirait dans " la maison des autres " de B Clavel ( fabuleuse série que je vous recommande ) et dans le film " le grand chemin" avec Bohringer et la talentueuse et regrettée Anémone avec le " déshabillage " du lapin....
Un peu ( beaucoup) de douceur , un luxe aujourd'hui , il est là , sous vos yeux , laissez - vous aller....
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C'est vrai que le titre pourrait faire penser à un roman feel-good ou de développement personnel, comme certains l'ont perçu, mais ce n'est pas du tout cela, selon moi! C'est bien mieux! Et sûrement pas un petit livre sucré, plein de bons sentiments, sans profondeur.
Jacky Durand est journaliste et écrivain et rédige des chroniques culinaires pour" Libération ". Il connait donc bien la cuisine. Et il l'aime. Ce roman en témoigne.
On s'attache immédiatement à Julien, le narrateur, au chevet de son père . Il entremêle son présent d'étudiant aux souvenirs d'enfance liés au bistrot paternel, à la bonne cuisine de terroir, quelque part dans l'Est de la France. Des senteurs de terrines de lapin, d'omelettes aux herbes, de pêches rôties l'accompagnent, le bercent aussi, le réconfortent. Car il y a les chagrins, les manques, les pertes non élucidées. Celle d'Hélène surtout, qui a veillé sur ses jeunes années. Il y a aussi les sautes d'humeur , l'entêtement d'un père tant aimé, qui veut que son fils fasse des études, qu'il ne soit pas " mangé" par un métier exigeant, prenant, alors que celui-ci ne rêve que de cuisine. Et ce carnet de recettes disparu, que Julien voudrait tant retrouver.
Voilà un livre tout en arômes, en générosité de coeur, en émotions contenues mais palpables. Les personnages ont du mal à communiquer, sont pudiques, cependant quel beau lien entre un père et son fils, au-delà des incompréhensions! Et c'est la transmission d'une passion, d'un savoir qui continuera à les réunir, indéfiniment. Un partage de vie savoureux et délicat . A lire!
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INCIPIT
Je n’en finis pas de fixer tes mains sur la couverture de l’hôpital. Elles sont diaphanes comme du papier de soie. On dirait des racines échouées dans le lit d’un ruisseau. Moi qui les ai connues si vives et chaleureuses, même esquintées de la paume à la pulpe de l’index. Tu disais en riant que tu étais « le roi des brûlures ». Tu avais beau avoir toujours un torchon coincé dans ton tablier, tu l’oubliais au moment du coup de feu pour empoigner trop vite ces poêles dans lesquelles tu retournais avec les doigts les côtes de veau et les filets de perche. Et tu te brûlais sans rien dire, maintenant quand même tes mains dans l’huile bouillante ou démoulant tes gâteaux au sortir du four.
Tu disais qu’une brûlure chassait l’autre, que tu tenais ça du vieux boulanger qui t’avait appris, gamin, à faire du pain. Et tu riais quand je touchais tes cicatrices calleuses. J’aimais aussi jouer avec la dernière phalange de ton index, noueuse comme un cep de vigne, et je voulais que tu me racontes encore l’histoire de sa difformité. Tu me disais que tu n’étais alors guère plus âgé que moi. Tu étais assis à la table où ta mère venait de poser son hachoir pour préparer une terrine. Il te fascinait, cet engin en fonte dont tu avais le droit de tourner la manivelle tandis que ta mère y introduisait des morceaux de porc. Sauf qu’un jour, alors qu’elle était partie, tu avais mis ton index dans le hachoir. Il avait fallu chercher le docteur à pied sur la grand-route puis revenir avec lui dans sa carriole. Le toubib avait observé ton doigt. C’était encore l’époque où il était inconcevable de poser une question à un médecin. Il avait ordonné à ton père de tailler deux planchettes dans un morceau de peuplier. Tu avais serré les dents quand il les avait plaquées sur ton doigt. Puis il les avait maintenues avec des bandes taillées dans une ceinture en flanelle de ton père. Il avait dit qu’il reviendrait dans un mois.
Quand il avait ôté l’attelle, ton index était tout rose avec la dernière phalange pointant vers la gauche. Le docteur avait dit que ton doigt était sauvé mais que tu serais peut-être recalé au service militaire. Ton père avait froncé les sourcils en déclarant que tu ferais ton armée comme tout le monde. Et toi, tu secouais la tête en me racontant cela et en soupirant : « S’il avait su que je ferais vingt mois d’Algérie. » Tu continuais de gratter le fond des casseroles avec l’ongle de ton doigt difforme, tu disais qu’il était bien pratique pour récurer des endroits difficiles d’accès.
Je me souviens de ton index posé sur le dos d’un couteau, sur une poche de pâtissier. Tu t’appliquais comme si tu étais en train de passer ton CAP. Là, tout de suite, je le soulève, il me semble léger et minuscule comme un os de poulet de batterie. J’ai souvent eu envie de tordre ta phalange pour tenter de la remettre droite. L’idée même de ce geste m’a toujours terrifié. Non, je ne peux pas te faire cela. Et quand bien même tu serais déjà mort, je ne le ferais pas. Parce que je suis toujours hanté par cette histoire qu’on se racontait gosses à l’école primaire. Une histoire de croque-mort. Lors d’une toilette mortuaire, le père d’un copain avait tenté de redresser la jambe d’une défunte atrophiée par un cancer. Le membre avait cassé, le croque-mort avait été viré.
Un jour, un représentant est passé, il t’a fait l’article pour des frites précuites qui te feraient gagner du temps. Tu l’as regardé comme s’il tombait de la lune : « Pour moi, des frites, c’est des patates, un couteau, de l’huile, une friteuse et du sel. Point barre. »
Avec Amar, j'apprends que la cuisine peut être à la croisée de tous les chemins. Il me fait cuisiner la saucisse de Morteau en cassoulet avec les épices de sa mère ; m'apprend à préparer la graine de couscous pour accompagner le boeuf bourguignon ; me fait découvrir sa recette de pastilla de canard à l'orange. Quand je noue mon tablier de commis, je ne sais jamais si je vais avoir droit à une leçon de choses sur son eau de fleur d'oranger ou à son interprétation des patates en cocotte qu'on dirait sorties d'une cuisine vosgienne et qu'il enlumine avec le curcuma. Chez lui, l'épice n'est pas la cerise sur le gâteau, elle raconte l'histoire d'hommes qui vivent entre la rue Battant et l'autre côté de la Méditerranée. Amar rigole de ceux qui n'ont toujours pas compris : "Quand je suis au bled, on me dit : "Tu fais des pizzas", et quand je suis ici, on me dit :"Tu fais du couscous."" De lui, Agrîn dit qu'il est comme le figuier : il grandit sans jamais renier ses racines tentaculaires.
Pour étouffer la douleur, je sors ton cahier de recettes. Je l’ai récupéré dans le tiroir de la table de nuit de maman avant que Nicole s’installe dans votre chambre. Je le feuillette souvent sous les draps. Pas tant pour lire les recettes que pour retrouver maman à travers son écriture. Je m’attarde sur chacune des lettres, imaginant le grain de beauté sur son doigt alors qu’elle tient son crayon. Elle a une façon bien à elle de former les "e". Elle les termine par un trait qui se jette dans le vide au lieu de s’arrondir. "C’est mon côté rebelle", m’avait-elle dit en riant.
Dans chaque page, il y a de toi. De ta première Gitanes du matin en buvant ton broc de café ; de tes humeurs sans paroles que seul Lucien savait décrypter ; de ta générosité qui fait que tu n'as jamais été riche ; de ton humilité à t'effacer derrière tes assiettes ; de ton talent à sauver un service quand tout le monde voulait manger en même temps ou qu'on plat faisait défaut ; de cette imagination invisible qui t'inspirait une recette avec trois fois rien ; de ton respect de tous les ingrédients, de la miette de pain à la morille : de ton opiniâtreté à fricasser de 7 heures à 23 heures sans jamais de plaindre.
LA CHRONIQUE DE GÉRARD COLLARD - PLUS ON EST DE FOUS PLUS ON S'AIME