Dix heures et demie du soir en été est mon introduction à Marguerite Duras. J'ai beaucoup lu vos avis et j'ai rarement vu auteur si polémique : vous êtes conquis ou vous avez détesté.
Sur le style, il y a tout d'abord un effet de répétition dramatique qui ancre toujours davantage dans la mémoire du lecteur Rodrigo Paestra, l'orage, l'été, l'hôtel.
Une complice dans la lecture de Duras m'as fait remarquer ceci : c'est un récit sensoriel. Vrai, j'ai senti l'humidité dans l'air à l'approche de l'orage et, lisant en plein hiver, j'ai senti la chaleur de l'Espagne, le goût des manzanillas aux lèvres de Maria.
Parlant de sensibilité, l'érotisme est amené fort à propos, sans excès.
La façon évanescente, poétique et incertaine de décrire une action puis d'ajouter « la chose est possible » ; « l'a-t-il seulement prononcé ? », « Ils se dirent […] ou peut-être pas » (citations de mémoire) donne une irrésistible saveur au récit.
Duras décrivait chez Bernard Pivot le magnétisme de sa plume qui « court sur la crête des mots ».
A l'heure où le cinéma nous propose clé en main un imaginaire, il est de plus en plus difficile de recréer soi-même, à partir d'une expérience de lecture, les visages, le décor, une atmosphère qui ne répond qu'aux critères de notre propre sensibilité.
Faire d'abord appel aux sens, à l'épiderme, pour stimuler l'imagination et partant, construire une narration située dans un décor non plus descriptif mais olfactif, visuel et corporel est un coup de maître(sse).
Cet ouvrage sensoriel est une occasion de laisser libre cours à son imagination, grâce à une écriture redoutablement efficiente.
Qu'en pensez-vous ?
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- C'est la fin de notre histoire, dit Maria. Pierre, c'est la fin. La fin d'une histoire.
- Tais-toi.
- Je me tais. Mais, Pierre, c'est la fin.
Pierre s'avance vers elle, lui prend le visage dans les mains.
-Tu es sure?
Elle dit que oui. Elle le regarde dans l'épouvante.
- Depuis quand?
-Je viens de m'en apercevoir. Peut-être depuis longtemps.
Le moment de la nuit est arrivé où, déjà, les heures vous jettent dans la fatigue du prochain jour devenu inévitable.
La simple perspective de son arrivée vous accable.
C'est encore une fois les vacances. Encore une fois les routes d'été. Encore une fois des églises à visiter. Encore une fois dix heures et demie du soir en été. Des Goya à voir. Des orages. Des nuits sans sommeil. Et la chaleur.
Un crime a lieu cependant qui aurait pu, peut-être,changer le cours de ces vacances-là .
Mais au fond qu'est-ce qui peut faire changer le cours des vacances ?
L'horizon est parfaitement nettoyé par l'orage, enfin. Comme une lame il a coupé le blé. Un vent tiède se lève qui commence à assécher les rues. Il fait beau, comme il ferait beau le jour, lumineusement. La nuit est entière, encore. Des solutions sont peut-être possibles à l'incertitude de la conscience. On pourrait le croire.
Il faut attendre encore. Et tant l’impatience de l’attente grandit qu'elle atteint son comble, et voici, un répit se produit. Une main de Pierre est partout sur ce corps d'autre femme. L’autre main la tien serrée contre lui. C’est chose faite pour toujours.
Il est dix heures et demie du soir. L’été.
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Marguerite Duras est sans doute l'écrivain qui divise le plus. On l'adore ou elle agace. Aux uns comme aux autres, je recommande un petit livre merveilleux intitulé "La passion suspendue".
« La passion suspendue » de Marguerite Duras, c'est en poche chez Point Seuil.