Marguerite Duras a l'écriture courante, « pressée d'attraper les choses » car quand on écrit, on oublie, disait-elle. Et c'est vrai. On atterrit pas avec ce livre. Jamais on se plonge. C'est ça qui rend magnétique, hypnotique son écriture. Elle écrit comme elle parle. Avec ce débit-là. On l'entend lire dans la tête.
Le style de
Duras me fait penser aux propos de
Roland Barthes dans
le Plaisir du Texte. Il compare la littérature classique au roman moderne. Dans la littérature classique nous sommes distraits parfois, les descriptions, le décor prenant une place telle que nous avons une lecture pressée d'ôter les vêtements du texte pour arriver à la « satisfaction romanesque », alors que dans le roman moderne on ne peut pas faire l'économie de cette lecture totale du texte, autrement nous n'y trouvons pas le plaisir.
Chez
Duras il n'y a que la moelle.
Les phrases sont courtes, se répètent, le propos tantôt est définitif (péremptoire pourraient dire quelques critiques), tantôt très incertain, comme la mémoire qui trahit son doute, qui réécrit sans cesse, qui invente pour combler les trous de gruyère des souvenirs d'Asie.
Le monologue intérieur, nous dit à nouveau
Roland Barthes, est en dehors de la phrase, il est comme un bruit de fond dans un café, jamais il ne fera phrase, c'est ainsi pour
Duras qui confessait : « des mots d'abord » et la phrase s'attache aux mots « comme elle le peut ».
Sa syntaxe même est impayable, plusieurs fois on se prend à relire une phrase : « ce n'est pas français » se dit-on.
Elle joue avec le sens, se contredit, fait sienne la langue, c'est en cela qu'elle est une (grande) écrivaine.
L'histoire de
l'Amant de la Mandchourie est une réécriture « en cas de film » de
l'Amant, prix Goncourt 7 ans plus tôt, en réaction à l'adaptation cinématographique que l'auteure jugea insatisfaisante.
C'est une oeuvre scénaristique autant que littéraire. Les descriptions sont sommaires et la place est toute faite à l'image et au dialogue. On sait plus bien si c'est le jour ou la nuit, s'il lui a dit cela ou si c'est elle qui l'a dit. Parce que peu importe. C'est ça qui importe. Il y a tout un jeu entre la certitude et l'incertitude qui déstabilise opportunément le lecteur.
« Je ne suis pas allée au Lycée aujourd'hui. Je préfère rester avec toi. Hier non plus je n'y suis pas allée. Je préfère rester avec toi pour parler ensemble. » Ça commence en Indochine française, avec l'enfant au chapeau d'homme, le bac sur le Mékong, la Léon Bollée avec chauffeur.
C'est une oeuvre initiatique, la première fois. Elle rit de ça ; de ce scandale-là. Ce rire est comme un exutoire, un anticyclone, après la mousson des pleurs et des piastres et avant un autre scandale, familial.
Duras aborde son entrée dans l'adolescence sous l'empire des sens.
C'était les corps communicants. Les « mains miraculeuses » du chinois. Hélène Lagonelle. Les frères. Sadec. La garçonnière. Ce sera la jouissance. Pas d'hédonisme joyeux. Une jouissance qui nait sur un sol moite et infertile, un cri dans la nuit.
Duras raconte « le désespoir du bonheur de la chair. »