ELLE
Il y en a qui pleurent l’après-midi parce que l’amour traîne… Moi je vais aux courses.
Silence.
LUI, rit aussi.
Je vous ai suivie. Je suis rentré dans le cinéma. On jouait un western que vous aviez déjà vu avec moi… Vous étiez seule. Vous étiez assise dans les premiers rangs… personne n’est venu vous rejoindre… Le soir, vous ne m’avez rien dit de ça… et je ne vous ai posé aucune question… C’était le printemps il y a trois ans… vous étiez déjà triste quelquefois… Le lendemain, après le déjeuner, je vous ai demandé si vous deviez sortir. Vous m’avez dit que non, et vous êtes sortie. Je vous ai encore suivie. Vous êtes allée aux courses, vous étiez seule encore une fois. Je n’avais rien soupçonné de pareil… (Un temps.) J’ai commencé à souffrir d’une souffrance que je n’avais jamais encore connue.
Lui : Vous savez, nous étions très très jeunes.
Elle : C’est vrai. Maintenant nous ne voulons plus autant d’ennuis, nous ne voulons plus autant de soucis, nous ...
Lui (il lui coupe la parole) : Nous avons autre chose à faire ?
Elle : Sans doute.
Lui : Quoi ?
Elle (rit) : Rien
Lui : Je suis venu voir comment vous étiez… sans moi… comment c’ était possible, ce scandale, comment nous étions l’un sans l’autre…dans ce nouvel état.
Elle (un temps) : Celui de ne plus aimer ?
Lui : Non. Celui d’aimer
ELLE
[…] Un barman, ça n’a jamais une histoire d’amour avec une cliente. Ils sont derrière les bars pour ça, pour qu’on puisse leur parler, des heures des fois, sans conséquence.
Lui : Je crois qu’on ne se souvient pas de l’amour.
(Silence)
Elle : Peut-être qu’on ne se souvient pas de la douleur quand elle ne fait plus souffrir.
(Silence)
Lui : Du désir il y a ou un oubli total, ou une mémoire totale… aucune ombre.
(Silence. Réponse lente à venir)
Elle : Je crois ce que tu dis sur le désir.
Lui : Quoi ?
Elle : Que c’est une mémoire nue. Un oubli pareil. Sans passage entre les deux choses.
C’est en effet les mêmes gens et c’est aussi Evreux et cet hôtel. C’est aussi après l’audience. Mais cette fois-ci, ils ne se quittent pas au milieu de la nuit, ils parlent aussi dans la deuxième moitié de la nuit, celle tournée vers le jour. Ils sont beaucoup moins assurés à mesure que passe leur dernière nuit. Ils se contrediront, ils se répèteront. Mais avec le jour, inéluctable, la fin de l’histoire surviendra. C’est avant ce lever du jour les derniers instants de leurs dernières heures. Est-ce toujours terrible ? Toujours.
Vingt ans exactement séparent La Musica I et La Musica II, et pendant à peu près ce même temps j’ai désiré ce deuxième acte. Vingt ans que j’entends les voix brisées de ce deuxième acte, défaites par la fatigue de la nuit blanche. Et qu’ils se tiennent toujours dans cette jeunesse du premier amour, effrayés. Quelquefois, on finit par écrire quelque chose.
ELLE
J’ai oublié notre histoire.
Silence.
ELLE
La douleur j’ai oublié.
Silence.
ELLE
Je ne sais plus du tout pourquoi.
Silence.
ELLE
Souffrir comme ça… à ce point-là… et ne plus retrouver pourquoi après… les raisons… (Un temps.)
Nous allons aimer moins maintenant. Les autres gens. Moins.
LUI
Oui.
Ils ne se regardent pas. Douceur extrême.
De nos jours, il reste des femmes ainsi parées de cette éducation qu’elles n’ont pas reçue, mais qui a été donnée de mères en filles jusqu’à elles. Il s’agit pour le principal d’un savoir sur l’homme mais qu’elles devraient ignorer tenir et qui devrait être entretenu caché à l’homme. D’un jésuitisme en quelque sorte, à la fois innocent et dangereux, qui entoure ces femmes comme le ferait une zone de silence.
C’est en effet les mêmes gens et c’est aussi Evreux et cet hôtel. C’est aussi après l’audience. Mais cette fois-ci, ils ne se quittent pas au milieu de la nuit, ils parlent aussi dans la deuxième moitié de la nuit, celle tournée vers le jour. Ils sont beaucoup moins assurés à mesure que passe leur dernière nuit. Ils se contrediront, ils se répèteront. Mais avec le jour, inéluctable, la fin de l’histoire surviendra. C’est avant ce lever du jour les derniers instants de leurs dernières heures. Est-ce toujours terrible ? Toujours.
-Textes pour la presse-