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Critique de Arimbo


Ce recueil de Marguerite Duras, une de mes autrices et auteurs préféré.e.s a été publié en 1985, alors qu'elle venait d'avoir l'année précédente la consécration du Goncourt pour l'Amant.

Ce recueil rassemble 6 nouvelles, dont la plus importante en taille et en source de réflexions donne le titre au livre. Tous ces textes ont une relation avec la période de la Libération à la fin de la seconde guerre mondiale, pendant laquelle Duras fit partie de la Résistance. de ces nouvelles, les 4 premières ont un contenu autobiographique, les deux autres sont de courtes fictions. Toutes ont été écrites à quarante ans de distance des événements, et même si Duras dit de la première, La douleur, qu'elle a pour base un journal retrouvé, et dont elle ne se souvient pas, sa forme, et les procédés employés dont Duras a le secret, est celle d'un récit recomposé.

Avant de commenter un peu plus en détails le récit principal « La douleur », je voudrais insister sur la structure de l'ouvrage, que j'ai trouvée subtile.
En effet, Duras nous fait passer progressivement du récit réaliste au récit imaginaire en évoquant différentes facettes de l'être humain face à la guerre, avec cette science du non-dit qui lui est si particulière.
Et puis de la « honte de la littérature » qu'elle nomme pour le premier récit, au dernier où « tout est inventé ».

De « La douleur », le récit le plus terrible, qui décrit l'attente de son mari, Robert Antelme ici nommé Robert L., puis les conditions dramatiques de son retour des camps, un récit plein de vérité et d'humanité, on passe dans « X dit ici Pierre Rabier », à un récit plus anecdotique, mais que Duras évoque comme le souvenir d'une peur terrifiante, celle que lui a laissé un agent allemand ambigu se faisant passer pour un français, capable autant de cruauté que de clémence, aveugle à la situation de son pays et rêvant d'un avenir de bouquiniste; puis à « Albert des capitales », où Duras se revendique (« Thérèse c'est moi ») comme la résistante sans pitié lors de la torture d'un « collabo », en contradiction avec l'humanité et la pitié dont elle fait preuve dans La douleur.
Puis, Ter le milicien clôt la série des nouvelles « réalistes », par un étrange récit de l'attirance physique pour cet homme qui fit partie de la milice de Vichy.
Enfin, les deux derniers sont, selon Duras, des récits inventés, dans lesquels l'auteure excelle à nous rendre indécis le sens, mais c'est l'émotion qui nous bouleverse dans le dernier qui se veut raconter «l'amour fou pour la petite juive abandonnée ».

Tout ceci pour dire que, pour moi, le livre « La douleur » ne se résume pas au premier récit, mais que les autres contribuent à façonner un ensemble cohérent.

Et pourtant, ce premier récit est majeur, mais difficile à commenter. Duras nous dit qu'elle a retrouvé les pages d'un journal dont elle n'a aucun souvenir, et qu'elle s'est trouvée « devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n'ai pas oser toucher et au regard de quoi la littérature m'a fait honte ».
Mais la forme a sans nul doute été retravaillée (à la fin, d'ailleurs le récit n'est plus linéaire), pour nous livrer des pages d'une extraordinaire intensité, parfois insoutenable. D'abord, une attente du mari, Robert L., décrite comme une sorte de cauchemar éveillé, d'obnubilation de la pensée, d'une douleur psychique qui anéantit le corps. Puis, le chef du réseau, Morland (c'est François Mitterand) décide d'envoyer deux hommes chercher Robert L. en Allemagne; ils ramènent un être humain au bord de la mort, ne pesant plus que 35 kilos, qu'il va falloir ré-alimenter progressivement, atteint d'une terrifiante diarrhée, qui va céder au fil des jours. le récit raconte sans nous épargner les détails, toute l'horreur de l'état de Robert L.. Et puis, c'est un rétablissement très lent qui s'installe. Et enfin, tout en écrivant qu'elle s'est séparée de Robert L., Duras termine sa narration sur quelques pages lumineuses et pleines de tendresse.

J'ai aussi relevé qu'apparaissent dans ce texte des phrases très critiques, dans ce contexte de la Libération, d'un De Gaulle qui refuse « d'intégrer la douleur du peuple dans la victoire, de peur d'affaiblir son rôle à lui », mais j'en retiens surtout celles extraordinaires sur la découverte de l'extermination des juifs: « C'est en Europe que ça se passe. C'est là qu'on brûle les juifs, des millions. C'est là qu'on les pleure. » Mais plus encore, c'est cette idée singulière de la nécessité, pour dépasser cette horreur accomplie, d'assumer notre solidarité avec les bourreaux comme avec les victimes: « nous sommes aussi de la race des nazis ». Et ces phrases surprenantes mais pleines de sens: «La seule réponse à faire à ce crime est d'en faire un crime de tous. de le partager. de même que l'idée d'égalité, de fraternité. Pour le supporter, pour en tolérer l'idée, partager le crime. »

En conclusion, même si beaucoup de romans de Duras ont une part auto-biographique, celui-là est unique par la tension qui s'en dégage, et surtout par l'horreur, la souffrance mais aussi l'humanité qui émanent du premier récit.
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