Elle me regarde, elle dit : peut-être que toi tu vas t’en tirer. De jour et de nuit, l’idée fixe. Ce n’est pas qu’il faut arriver à quelque chose, c’est qu’il faut sortir de là ou l’on est.
Il était venu.
C'était lui, à l'arrière, cette forme à peine visible, terrassée.
Elle, elle était accoudée au bastingage comme la première fois sur le bac.
Elle savait qu'il la regardait.
Elle le regardait, elle aussi.
Elle ne le voyait plus mais elle regardait encore....
L'histoire de ma vie n'existe pas. ça n'existe pas. Il n'y a jamais de centre. Pas de chemin, pas de ligne. Il y a de vastes endroits où l'on fait croire qu'il y avait quelqu'un, ce n'est pas vrai il n'y avait personne.
Il devient brutal, son sentiment est désespéré, il se jette sur moi, il mange les seins d’enfant, il crie, il insulte. Je ferme les yeux sur le plaisir très fort. Je pense : il a l’habitude, c’est ce qu’il fait dans la vie, l’amour, seulement ça.
Mes cheveux sont lourds, souples, douloureux, une masse cuivrée qui m'arrive aux reins. On dit souvent que c'est ce que j'ai de plus beau et moi j'entends que ça signifie que je ne suis pas belle.
Je lui dis de venir, qu’il doit recommencer à me prendre. Il vient. Il sent bon la cigarette anglaise, le parfum cher, il sent le miel, à force sa peau a pris l’odeur de la soie, celle fruitée du tussor de soie, celle de l’or, il est désirable. Je lui dis ce désir de lui.
" L'histoire de ma vie n'existe pas. ça n'existe pas. Il n'y a jamais de centre. Pas de chemin, pas de ligne. Il y a de vastes endroits où l'on fait croire qu'il y avait quelqu'un, ce n'est pas vrai, il n'y avait personne. "
Jamais bonjour, bonsoir, bonne année. Jamais merci. Jamais parler. Jamais besoin de parler. Tout reste, muet, loin. C'est une famille en pierre, pétrifiée dans une épaisseur sans accès aucun. Chaque jour nous essayons de nous tuer, de tuer. Non seulement on ne se parle pas mais on ne se regarde pas. Du moment qu'on s'est vu, on ne peut pas regarder. Regarder c'est avoir un mouvement de curiosité vers, envers, c'est déchoir. Aucune personne regardée ne vaut le regard sur elle. Il est toujours déshonorant. Le mot conversation est banni. Je crois que c'est celui qui dit ici le mieux la honte et l'orgueil. Toute communauté, qu'elle soit familiale ou autre, nous est haïssable, dégradante. Nous sommes ensemble dans une honte de principe d'avoir à vivre la vie. C'est là que nous sommes au plus profond de notre histoire commune, celle d'être tous les trois des enfants de cette personne de bonne foi, notre mère, que la société a assassinée. Nous sommes du côté de cette société qui a réduit ma mère au désespoir. A cause de ce qu'on a fait à notre mère si aimable, si confiante, nous haïssons la vie, nous nous haïssons.
Rares étaient les bateaux de plaisance. Le rose de la journée finissante colora le ciel tout entier. D'autres enfants, ailleurs, sur les quais, arrêtés, regardaient.
"Très vite dans ma vie il a été trop tard."