Inutile de présenter
L'amant, histoire désormais entrée dans l'imaginaire collectif et immortalisée par le très beau film de
Jean-Jacques Annaud en 1992.
Le récit authentique est intéressant mais ce livre est plombé par un niveau de langue exécrable qui encrasse les yeux et fait de ces 130 pages une lecture à contre-courant très irritante tant on trébuche tout au long de ces phrases tortueuses et maladroites. À un tel niveau et vu l'âge de l'auteur, cela ne pouvait qu'être fait exprès.
Marguerite Duras, dans cette écriture tâtonnante, scolaire, enfantine et teintée d'immaturité, semble vouloir chercher une spontanéité gage d'authenticité. Cette répétition de « , elle, » et de « , il, » et des phrases comme « Jalouse elle était. » (maître Yoda, sors de ce corps !) au détriment d'une langue travaillée et articulée exprimant élégamment et efficacement les émotions (qui sont pourtant présentes, c'est une évidence) est pleine de soubresauts et fatigante.
L'alternance entre la description de l'action et des considérations visant à mettre progressivement en place le cadre est très intéressante. C'est un exercice délicat qui requiert un savant dosage des ingrédients et, de ce point de vue, le procédé est réussi. Il y aurait matière à de plus riches développements sur la personnalité de la mère et sa relation au frère aîné ainsi que sur
l'amant lui-même. C'est dommage qu'elle n'aille pas creuser plus profondément cet aspect.
Cependant, c'est le genre d'écriture qui laisse l'émerveillement à quai : elle ne m'entraîne pas et je regarde de loin se dérouler cette histoire sans ressentir une seconde l'envie de m'y laisser entraîner.
Cette écriture écorchée et désarticulée, estampillée « nouveau roman », je crains que ce ne soit la mort de l'émerveillement, de l'art et, à terme, de la pensée même. C'est la déstructuration du discours qui conduit, malheureusement et inévitablement, à l'abrutissement de l'esprit. Cette mode du « nouveau » roman, qui a fait école, est devenue la norme pour beaucoup d'auteurs contemporains en matière de style : haché, au contenu pauvre, aseptisé, répétitif et tendant vers la logorrhée. Pourquoi s'étonne-t-on de l'appauvrissement du niveau de la langue lors même que l'on porte aux nues des livres aussi décousus ?
Vocabulaire simpliste et basique, répétitions soporifiques, véritable pauvreté des liaisons des propositions (lorsqu'il y en a), énumérations molles et surabondantes insistant futilement sur des futilités : ce livre respire la misère. le « style » est tout de même assez en phase avec le fond : c'est le récit d'une décrépitude, l'« épopée » d'une déchéance. Son écriture désincarnée, déshumanisée en rend compte. Sa prosodie me donne l'impression qu'elle a écrit ce livre d'un premier et unique jet, voulant tout garder comme authentique. Cela ressemble à une obsession chez elle de transcrire les paroles qui lui venaient comme un souffle « pur et inaltéré ».
Elle ne peut dire ce qu'elle considère comme indicible, mais elle ne parvient pas plus à le suggérer efficacement, alors elle tourne en rond et me laisse sur ma faim. L'intérêt de la littérature, c'est soit d'exprimer clairement des idées, soit de suggérer habilement des impressions, et pour cela il faut se donner les moyens lexicaux et stylistiques pour exprimer les états de l'âme. Point de cela ici ! Elle saborde par cette écriture misérable un récit qui aurait pu être très beau, car il y a une histoire intéressante. le film la rend bien mieux, fort heureusement.
Elle s'amuse sur le plateau d'Apostrophe de ce qu'on lui reproche ses écarts, ses libertés prises vis-à-vis des normes de la grammaire comme si elle n'avait pas à se justifier d'un tel procédé, face à un
Bernard Pivot qui m'apparaît assez niais, bien que je le tienne en haute estime, et totalement subjugué comme un enfant découvrant ses cadeaux au pied du sapin le matin de noël. Il était évident, au vu de son passé de grande alcoolique et de fumeuse compulsive, que les facultés de
Marguerite Duras avaient sérieusement pâti, d'autant plus que peu de temps avant elle avait fait un coma et qu'elle était victime de plusieurs syncopes par jour.
Je suis sidéré qu'un livre aussi torché ait reçu le plus célèbre prix littéraire de France. Je ne me leurre plus sur la valeur du prix Goncourt : il est médiatique et politique. La littérature est passée à la trappe. C'est ainsi. C'est bien dommage. Ce prix fut créé pour encourager les nouveautés, les innovations et les audaces d'une langue neuve qui susciterait l'émerveillement et non pour couronner une entreprise de destruction de la langue et la mort de l'esprit qui fait table rase sous prétexte d'innover, comme c'est le cas avec Boulez dans le domaine de la musique et de bien d'autres dans l' « art » contemporain.