Un dialogue s'engage dans un square entre un voyageur de commerce solitaire, qui ne se projette pas dans l'avenir, aspire au repos, et une jeune fille qui exerce le métier de bonne à tout faire, qui espère en un futur meilleur.
Deux laissés-pour-compte qui se parlent, s'écoutent, même si par moments chacun suit sa pensée et que l'incompréhension pointe. La jeune fille est effrayée par le manque d'aspiration au changement du voyageur, dont le désir se résume à manger et à avoir chaque soir un toit pour dormir.
Peut-on vivre sans l'envie que des choses changent ? Cela paraît inconcevable pour celle qui veut se marier, pour cesser un travail toujours plus harassant et avilissant, ne plus être seule. Pire, ne plus être seule et invisible : " monsieur, car si peu que vous soyez, vous êtes quand même à votre façon, donc vous ne pouvez pas savoir ce que c'est que n'être rien. "
Marguerite Duras libère la parole de gens simples, de ceux que l'on pouvait croiser en 1955, quand elle a écrit ce court et fort roman d'où affleure son engagement communiste. Dans la rencontre de ces deux-là, il y a la tendresse de ceux que leur condition rapproche. Un avenir - peut-être la victoire de l'espoir d'une jeune fille déterminée sur la résignation d'un homme mûr - s'ouvre par leurs mots échangés, des mots vrais, essentiels.
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ll y a toujours un lieu. Où ça arrive. Parfois. Là où tout se passe. Se passent les jours, les gardiens , les landaus, passeront aussi des gens et des bonjours.
Des gens, Pas ceux qu'on regarde comme les grands. Un petit monsieur,,une jeune dame. Un enfant. Le lieu c'est le square. D'autre fois ce sont des halls , des villas, des hôtels ou des salles, Mais là c'est un square et pour tout dire, pas un jardin, ou pas vraiment. C'est un banc.
Le square c'est la page. Le banc c'est leur portée. Et ce que vont se dire ces deux personnes là sur le banc ce sont ses notes.
Certains à les voir, comme ça, diraient qu'il ne se passe rien, rien de ce qui pourrait sortir de l'ordinaire. Rien qui mériterait qu'on s'y arrête. Non, mais c'est justement là le point de départ : l''ordinaire.
Ça regarde tout le monde et ça ne voit personne. Le quotidien si vous vous voulez. Ce quotidien qui doit répondre à ce que vous demande la vie. L'ordinaire de leur réponses. L'extraordinaire c'est d'y penser. Et puis d'écrire sur ça. Mais pour ça il faut que l'écriture arrête le temps pour qu'on puisse arrêter les gens, et que les mots n'aient plus peur de se poser. Et qu'ils se posent sur un banc et se mettent à parler. Comme ça sans manière, sans prendre la pose. Sans même y songer. Tout se passe comme si ils se laissaient aller. Aller de soi vers l'autre et de l'autre en soi.Faut peut être du courage pour ça.
Parler de quoi, Monsieur ? D'espoir, Mademoiselle. Oui, d'espoir Monsieur ? Comment faire autrement Mademoiselle ? Ça fait souffrir, Monsieur. Il faut bien manger, Mademoiselle.
Le moment où il apparaît, où il disparaît. Comment est-on avant, après l'espoir. Que devient-on ? L'espoir dans l'encre de Duras c'est un désir qui fait des ronds dans l'eau. Ils pleurent toujours un jour un peu dans les allées du square. Juste une ondée, de quoi éclaircir un peu nos idées, au détour des mots voir apparaître le profil du songe. L'espoir de se revoir.
La géométrie des corps forment la musique des mots.
Deux notes dans le square se parlaient d'amour vers le soir.
Et dire que certains pensent encore qu'il ne se passe rien au square…
ça n'existe pas des gens sans histoire, ça n'existe pas, comme ça n'existe pas une vie sans espoir.
Y a toujours un lieu pour ça, pour les gens, la vie, l'histoire, l'espoir, même en morceaux y a un lieu. Un dortoir, une casse, un squatte, un square. Un lieu comme des mots.
Y a pas de jour, mais y a toujours un square, dans une ville, sur un banc, dans un livre, quelque part.
Astrid Shriqui Garain
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Je crois que tout le monde s'étonne chaque jour d'en être encore là. Je crois qu'on s'étonne de ce qu'on peut, qu'on ne peut décider de s'étonner d'une chose plutôt que d'une autre.
« - Vous comprenez, Monsieur, vous comprenez, je n'ai jamais été choisie par personne, sauf en raison de mes capacités les plus impersonnelles, et afin d'être aussi inexistante que possible, alors il faut que je sois choisie par quelqu'un, une fois, même une seule. Sans cela j'existerai si peu, même à mes propres yeux, que je ne saurais même pas vouloir choisir à mon tour. » (pp. 69-70)
Vous ne pouvez pas le savoir, Monsieur, car si peu que vous soyez, vous êtes quand même à votre façon, donc vous ne pouvez pas savoir ce que c’est que de n’être rien.
— Quand je parlais du malheur que les enfants ne peuvent pas comprendre, je parlais du malheur en général, Monsieur, celui de tout le monde, mais d'aucun en particulier.
— Je l'ai bien compris ainsi, Mademoiselle. On ne supporterait d'ailleurs pas que les enfants comprennent le malheur. Sans doute sont-ils les seuls êtres que l'on ne supporte pas malheureux.
— Il n'y en a pas beaucoup, n'est-ce pas, des gens heureux ?
— Je ne crois pas, non. Il y en a qui croient important de l'être, et qui croient l'être mais qui, au fond, ne le sont pas tellement que ça.
J'aurais cru pourtant que c'était comme un devoir de tous les hommes, d'être heureux, comme on recherche le soleil plutôt que l'ombre.
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Marguerite Duras est sans doute l'écrivain qui divise le plus. On l'adore ou elle agace. Aux uns comme aux autres, je recommande un petit livre merveilleux intitulé "La passion suspendue".
« La passion suspendue » de Marguerite Duras, c'est en poche chez Point Seuil.