Pour moi, le roman le plus ardu, énigmatique et abscons de
Duras.
Lu en une journée, je n'ai pu le lâcher, pourtant, ce fut une lecture difficile, mais belle, tellement belle...
Je suis d'accord avec une amie Babelienne qui dit très justement que c'est une écriture poétique. Surréaliste mais poétique.
D'ailleurs, je n'arrive pas à me séparer des livres de
Duras, à chacun, il faut que, coûte que coûte, je le termine vite, vite, comme une respiration, un battement de coeur, ma vie même. C'est comme cela, je ne me l'explique pas, c'est probablement dû au grand talent de cette auteure.
Ici, deux récits qui se rejoignent pourtant, celle de la mendiante qui vend son enfant à Anne-Marie Stretter (et oui, encore elle !), et la vie des grands bourgeois nommés à Calcutta, ambassadeurs, leurs femmes, les chargés de mission, bref toute la clique fortunée de cette ville aux odeurs de pourriture, de lauriers-roses fanés, d'une pestilence tenace et envoûtante.
Mais surtout, il y a
le vice-consul, malade, fou, qui a tiré sur les lépreux et les chiens errants de Lahore. Tout s'articulera autour de ce fait divers.
On ne peut résumer un livre pareil, tout part dans tous les sens, dans toutes les directions, les dialogues comme la narration (on dit). Les phrases sont décousues, le narrateur toujours présent, peut-être trop.
D'ailleurs, on dirait une pièce de théâtre, ce qui n'est pas surprenant connaissant le goût de
Duras pour cet exercice.
On retrouve donc la mendiante de
Un barrage contre le Pacifique, histoire vraie, terrible, un drame pour la petite Marguerite, à qui sa mère a confié cet enfant presque mort-né, et qu'elle n'a pas réussi à sauver. de cela, Marguerite ne pourra s'en remettre tout à fait.
Beaucoup de folies dans ce merveilleux roman, la mendiante mais également
le vice-consul.
La scène longue du bal, nous ramène inexorablement vers La ravissement de Lol V. Stein, avec des scènes quasi-similaires, comme la ronde du désir autour de ce personnage féminin qu'affectionne tout particulièrement l'auteure. Une amie d'enfance ? Certainement. J'ai meme pensé à une relation homosexuelle tant
Duras est hantée par ce personnage. Cela n'engage que moi bien sûr.
Les thèmes chers à
Duras sont bien présents, la danse, le bal, l'adultère, le désir, le crépuscule (là encore, je pense toujours à l'état crépusculaire psychiatrique qui hante l'auteure dans beaucoup de ses livres), la misère, les pauvres autochtones, la haute-bourgeoisie, le thême du blanc et du noir, et enfin, la folie.
Aucun n'est heureux, mais aspire à l'être. Quoique...
J'ai lu que
Duras l'avait écrit pendant une période très douloureuse de sa vie, et qu'elle avait fait l'ermite huit mois durant pour l'écrire, et cela ne m'étonne guère.
Ce livre est incroyable, mais surtout douloureux.
J'ai ressenti beaucoup d'empathie pour les personnages, enfermés, bouclés et prisonniers de leurs névroses, voire de leurs psychoses. Psychose de la mère ? C'est bien possible. Les échanges sans queue ni tête sont légions et il faut s'accrocher pour continuer.
En fait, le lecteur doit accepter de s'enliser et de se perdre dans le texte. C'est à cette seule condition qu'il pourra lire ce roman étrange fait d'étrangetés.
Mais quel style magnifique !
L'enfance de
Duras transpire à chaque page.
Allez, c'est une lecture qui demande des efforts, mais au final, on en est heureux.
Et c'est bien le principal.