Le piano de
Duras,
Dit-on un style “durassien” ou “dur à suivre” s'interrogeaient
De Caunes & Garcia (grimé en
Duras sur le plateau de Nulle Part Ailleurs) face à une Fanny Ardant hilare…
J'ai déjà discuté du style
Duras dans “
Les Petits Chevaux de Tarquinia” notamment, écrit quelques années plus tôt, mais cette fois-ci l'aura, l'écrin littéraire de
Marguerite Duras semble plus pur encore, peut-être par contraste, parce que la narration y est plus décousue (si tant est qu'une telle chose soit possible), les personnages comme les évènements moins nombreux. Jusque dans ses derniers romans, on retrouvera le style de
Duras d'une rare singularité et toujours tendu vers plus d'abstraction et d'économie.
La répétition des mots et des gestes, le retour au café, au Boulevard de la Mer, le canard à l'orange, des mêmes questions, des mêmes réponses, des négations, ces éternels “non”, la répétition des prénoms et patronymes contrastant avec le refus d'identifier “l'homme”, le crime comme déclencheur du roman, tout cela se retrouve dans d'autres oeuvres antérieures et postérieures de
Duras. C'est une façon d'ancrer le lecteur dans quelque chose de charnel, peu importe la ville, on ne la connait pas, mais on se figure les cris des oiseaux marins, le ciel capricieux du front de mer, la promenade et ses embruns d'écume et d'algues mêlés…
L'amour impossible et impassible, l'adultère comme transgression pavlovienne d'une certaine bourgeoisie, l'ennui, le désir, la maternité, l'alcool, les antiennes durassiennes jouent en sourdine tout au long de
Moderato Cantabile, on a l'impression de lire non pas une histoire mais des émotions, des ressentis. C'est cette alchimie mystérieuse jusqu'au bout qui fait le mesmérisme de sa plume.
“Des dialogues pour ne rien dire, j'adore ça (…) lorsqu'on croit qu'un dialogue est signifiant il ne signifie pas davantage qu'un dialogue bavard, de rencontre” disait l'écrivaine, figure du nouveau roman et parfois appelée romancière de “l'incommunicabilité”. de fait, les dialogues, omniprésents dans son oeuvre quasi cinématographique, sont vidés de leurs fonctions traditionnelles, il ne renseignent plus, ils ne signifient plus, cela fait presque penser au théâtre de
Samuel Beckett qui entretien un rapport à la fois méfiant et ironique vis-à-vis de ce qui fait ou doit faire sens. Pourtant, les dialogues durassiens nous semblent lourds, intenses, crispant le coeur, parfois d'une profondeur insondable. Ainsi on ne peut pas non plus dire qu'ils ne signifient rien, mais assurément plus ou autre chose que ce qu'ils veulent bien dire, derrière se joue parfois la tectonique tribale du désir, un peu comme l'analysait
Roland Barthes dans
Fragments d'un discours amoureux, je “frotte mon langage” contre l'autre, tantôt est-ce un appel au secours d'une femme, au bord du précipice psychique, entourée d'invités mondains mais finalement “seule dans sa grande baraque” pour reprendre une réplique hilarante de la voisine du film “Mon Oncle” de Jacques Tati, paru la même année que le livre de
Duras. Pour l'écrivaine, le roman est la “transposition de la vie intérieure”, elle s'inscrit dans cette généalogie du XXe siècle, dans les pas de
Proust, de Woolf, de
Svevo.
“Anne Desbaresdes resta un long moment dans un silence stupéfié à regarder le quai, comme si elle ne parvenait pas à savoir ce qu'il lui fallait faire d'elle-même.”
J'ai l'impression d'avoir préféré mes excursions précédentes dans le monde de
Duras, peut-être davantage d'analyse et de réflexions dans “
Les Petits Chevaux de Tarquinia", une tension épidermique plus puissante dans “
Dix heures et demie du soir en été” ou un feu d'artifice stylistique dans “
L'Amant de la Chine du Nord”. de plus, lorsque l'on commence à connaitre un auteur, passé l'effet de surprise, il faut veiller à ne pas lui reprocher justement ce que l'on est venu chercher à nouveau et qui ne nous surprend plus… Cependant chaque nouvelle lecture, quand on adhère et entre en résonance avec la langue continue, sinon de nous habiter, du moins de nous toucher et cela fonctionne à nouveau complètement avec cette
leçon de piano signée
Marguerite Duras.
La musica.
Duras admettait que son art n'était rien comparé à celui de la musique, elle aurait voulu poursuivre une carrière de musicienne. Incapable de composer
Duras s'inspire d'abord des musiques des autres, mais elle ne s'avoue pas vaincue et bientôt on composera pour elle, à
l'image de l'entêtante
India Song dans le film éponyme, avec
Delphine Seyrig, tiré de son roman
le Vice-Consul.
Moderato Cantabile, sous ses apparences “modérée” et “chantante” comme la Sonatine de Diabelli, est un volcan sous-marin dont l'éruption sourde et désespérée est couverte par les vains assauts des vagues contre la digue des convenances, inébranlable.
Qu'en pensez-vous ?