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sur 1393 notes
Qu'on ne s'y trompe pas, bien qu'incolores et inodores, les maux des râteaux quand t'as bilé, dans la hiérarchie nociceptive des divers types de maux, sont parmi les plus pénibles et les plus douloureux qui soient. En effet, les râteaux, et plus particulièrement ceux après lesquels on s'est fait énormément de bile, provoquent chez celles ou ceux qui ont à en souffrir, des décharges d'une rare violence, dans le coeur et dans l'esprit, excessivement aiguës et parmi les plus terribles à supporter qu'on puisse concevoir…

— Pssst !
— Hm ? Qu'y a-t-il ?
— Et si tu passais au livre maintenant ? Les gens s'ennuient, là, du rythme, du rythme, du rythme, que diable, faut pas perdre de temps, on n'a pas que ça à faire ! Alors, t'en as pensé quoi du bouquin ? Quelles furent tes émotions à la lecture ? Vas-y accouche !
— Ce que j'en ai pensé de ce livre ? Vraiment ? Vous êtes sûrs de vouloir le savoir ? Bon, okay, si vous y tenez, mais ne venez pas vous plaindre après, hein, d'accord ?

Eh bien que se passe-t-il pour moi, lectrice lambda, lorsqu'une auteure me sert une héroïne pas attachante, avec son enfant pas attachant, qui prend des leçons de piano auprès d'une professeure pas attachante, qui rencontre — dans des conditions hautement peu probables — un homme pas attachant avec lequel elle nourrit une relation sentimentale bizarre dans un bar pas attachant d'une ville pas attachante ?

Eh bien, eh bien… au risque de vous surprendre, je ne m'attache pas, et je puis vous affirmer, même, que cela confine plutôt au franc décrochage. En effet, voici un livre ridiculement petit, écrit très gros, et j'ai bien cru, peuchère !, que je n'allais pas pouvoir aller au bout tellement j'étais captivée. J'ai dû mettre, au bas mot, plus d'une semaine à le lire, en bâillant fort, en m'arrêtant souvent et en me disant à la fin : « Tout ça pour ça ! »

De plus, moi qui aime bien noter des citations lors de mes lectures, je constate avec peine — mais non avec surprise — qu'arrivée au bout du quai, c'est-à-dire à la fin de cette étonnante platitude, je n'ai pas épinglé la moindre phrase, le moindre passage qui ait éveillé, aussi peu soit-il, mon intérêt. Est-il utile que j'en dise encore bien davantage ?

Je n'en ai pas l'impression, alors je ne vais ni prendre les mots des râteaux quand t'as bilé, ni de quelconques autres mots, je vais simplement moderato critiquile et prompto reportile sur une autre lecture, je l'espère, plus à mon goût. (Sans mentir, je ne sais pas si dans un mois je me souviendrai encore d'avoir un jour lu ce livre tellement il fut marquant pour moi.)

Ce faisant, comme toujours et à jamais, gardez à l'esprit que ceci ne représente que l'expression de mon simple avis, qui plus est l'avis du moment, dont on sait qu'il peut varier au cours du temps et en fonction des cycles émotionnels que l'on traverse, une matière éminemment labile en somme, c'est-à-dire, vraiment pas grand-chose.
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Le piano de Duras,

Dit-on un style “durassien” ou “dur à suivre” s'interrogeaient De Caunes & Garcia (grimé en Duras sur le plateau de Nulle Part Ailleurs) face à une Fanny Ardant hilare…

J'ai déjà discuté du style Duras dans “Les Petits Chevaux de Tarquinia” notamment, écrit quelques années plus tôt, mais cette fois-ci l'aura, l'écrin littéraire de Marguerite Duras semble plus pur encore, peut-être par contraste, parce que la narration y est plus décousue (si tant est qu'une telle chose soit possible), les personnages comme les évènements moins nombreux. Jusque dans ses derniers romans, on retrouvera le style de Duras d'une rare singularité et toujours tendu vers plus d'abstraction et d'économie.

La répétition des mots et des gestes, le retour au café, au Boulevard de la Mer, le canard à l'orange, des mêmes questions, des mêmes réponses, des négations, ces éternels “non”, la répétition des prénoms et patronymes contrastant avec le refus d'identifier “l'homme”, le crime comme déclencheur du roman, tout cela se retrouve dans d'autres oeuvres antérieures et postérieures de Duras. C'est une façon d'ancrer le lecteur dans quelque chose de charnel, peu importe la ville, on ne la connait pas, mais on se figure les cris des oiseaux marins, le ciel capricieux du front de mer, la promenade sur les remparts et ses embruns d'écume et d'algues mêlés…

L'amour impossible et impassible, l'adultère comme transgression pavlovienne d'une certaine bourgeoisie, l'ennui, le désir, la maternité, l'alcool, les antiennes durassiennes jouent en sourdine tout au long de Moderato Cantabile, on a l'impression de lire non pas une histoire mais des émotions, des ressentis. C'est cette alchimie mystérieuse jusqu'au bout qui fait le mesmérisme de sa plume.

“Des dialogues pour ne rien dire, j'adore ça (…) lorsqu'on croit qu'un dialogue est signifiant il ne signifie pas davantage qu'un dialogue bavard, de rencontre” disait l'écrivaine, figure du nouveau roman et parfois appelée romancière de “l'incommunicabilité”. de fait, les dialogues, omniprésents dans son oeuvre quasi cinématographique, sont vidés de leurs fonctions traditionnelles, il ne renseignent plus, ils ne signifient plus, cela fait presque penser au théâtre de Samuel Beckett qui entretien un rapport à la fois méfiant et ironique vis-à-vis de ce qui fait ou doit faire sens. Pourtant, les dialogues durassiens nous semblent lourds, intenses, crispant le coeur, parfois d'une profondeur insondable. Ainsi on ne peut pas non plus dire qu'ils ne signifient rien, mais assurément plus ou autre chose que ce qu'ils veulent bien dire, derrière se joue parfois la tectonique tribale du désir, un peu comme l'analysait Roland Barthes dans Fragments d'un discours amoureux, je “frotte mon langage” contre l'autre, tantôt est-ce un appel au secours d'une femme, au bord du précipice psychique, entourée d'invités mondains mais finalement “seule dans sa grande baraque” pour reprendre une réplique hilarante de la voisine du film “Mon Oncle” de Jacques Tati, paru la même année que le livre de Duras. Pour l'écrivaine, le roman est la “transposition de la vie intérieure”, elle s'inscrit dans cette généalogie du XXe siècle, dans les pas de Proust, de Woolf, de Svevo.

“Anne Desbaresdes resta un long moment dans un silence stupéfié à regarder le quai, comme si elle ne parvenait pas à savoir ce qu'il lui fallait faire d'elle-même.”

J'ai l'impression d'avoir préféré mes excursions précédentes dans le monde de Duras, peut-être davantage d'analyse et de réflexions dans “Les Petits Chevaux de Tarquinia", une tension épidermique plus puissante dans “Dix heures et demie du soir en été” ou un feu d'artifice stylistique dans “L'Amant de la Chine du Nord”. de plus, lorsque l'on commence à connaitre un auteur, passé l'effet de surprise, il faut veiller à ne pas lui reprocher justement ce que l'on est venu chercher à nouveau et qui ne nous surprend plus… Cependant chaque nouvelle lecture, quand on adhère et entre en résonance avec la langue continue, sinon de nous habiter, du moins de nous toucher et cela fonctionne à nouveau complètement avec cette leçon de piano signée Marguerite Duras.

La musica. Duras admettait que son art n'était rien comparé à celui de la musique, elle aurait voulu poursuivre une carrière de musicienne. Incapable de composer Duras s'inspire d'abord des musiques des autres, mais elle ne s'avoue pas vaincue et bientôt on composera pour elle, à l'image de l'entêtante India Song dans le film éponyme, avec Delphine Seyrig, tiré de son roman le Vice-Consul.

Moderato Cantabile, sous ses apparences “modérée” et “chantante” comme la Sonatine de Diabelli, est un volcan sous-
marin dont l'éruption sourde et désespérée est couverte par les vains assauts des vagues contre la digue des convenances, inébranlable.

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Un après-midi de printemps. Une ville côtière. Les usines qui fument à l'autre bout de la ville. Une sonatine qui s'échappe de la fenêtre d'un immeuble. le petit garçon rechigne à jouer la sonatine de Diabelli. Tous les vendredis, sa maman, Anne Desbaresdes, l'épouse du directeur des Fonderies, l'emmène chez Melle Giraud. Elle, reste un peu à l'écart. Or, ce vendredi, un terrible cri provenant de la rue surgit. A la porte du café d'en face, des hommes et des femmes s'agglutinent. Une fois la leçon finie, Anne s'approche de l'établissement. Une femme aurait été assassinée par son amant. le lendemain, accompagnée de son fils, elle retourne sur les lieux du drame pour en savoir plus...

Une intrigue minimaliste, peu de personnages, un mystère qui reste entier et des non-dits chargés de sens et d'émotions... Voilà un roman aux tonalités particulières. Marguerite Duras orchestre parfaitement la rencontre entre ces deux âmes esseulées que sont Anne et Chauvin, ces deux coeurs qui battent la chamade en discordance. L'auteur chuchote les mots plus qu'elle ne les clame. L'on devine, l'on suppose, l'on attend ce qui va se jouer entre eux dans ce bar. On étouffe et on se débat. Ce court roman, troublant et passionnel, porté par une écriture précise et sans fioritures, est empreint d'une certaine mélancolie.

À noter que ce roman a été adapté au cinéma, deux ans après sa parution, avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo.

Semplice ... Moderato cantabile...
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Moderato cantabile c'est comme souvent avec Marguerite Duras une ambiance très particulière, une incursion dans un décor imaginaire très cinématographique, avec le charme des films des années cinquante, un peu désuet dans le jeu des acteurs ou du cadrage, mais terriblement envoutant.

Peu de personnages : une jeune femme et son fils, une prof de piano, la tenancière d'un bistrot et un client intrusif : c'est autour d'une mort violente survenue dans le bar alors que les ouvriers de la fonderie voisine viennent trinquer à la fin d'une journée de labeur que des liens se nouent.

L'intrigue est mince et n'aboutit pas. Beaucoup de questions sans réponse, questions amenées par les personnages, sur le crime passionnel, sur les relations troubles entre Anne et Chauvin.
Peu importe, ce n'est pas ça qui compte. Les situations successives sont terriblement banales, et c'est leur répétition , qui crée cette impression d'épaisseur, de force. C'est ce qui subsistera à distance : une répétition de piano, l'ambiance d'un café à la sortie du travail, les échanges troubles entre une jeune femme bourgeoise et un des employés de son mari qui semble connaitre beaucoup d'elle.


La fascination du crime dont elle a été quasiment témoin agit comme un détonateur dans la vie d'Anne. Un événement extérieur et fortuit bouleverse l'édifice fragile sur lequel sa vie est construite. C'est une femme peu consistante, qui réagit peu aux leçons d'éducation de la prof de musique. Les leçons de piano deviennent un prétexte à une relation trouble avec un quasi-inconnu, avec qui elle n'hésite pas à s'enivrer. Les verrous s'ouvrent les uns après les autres.

Une femme, un enfant, un homme, de l'alcool, le décor durassien est planté. Reste au lecteur à se laisser emporter au fil des pages.
Belmondo et Jeanne Moreau ont-ils su mettre leur art au service de ce monument de la littérature?
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Dans Moderato Cantabile, malgré leur simplicité chaque phrase est limpide, il n'y a aucune obscurité, les moyens utilisés sont stricts et rigoureux.
Pourtant cette brièveté et même les répétitions sont chargées de foudre et de plomb.
La présence des êtres et la fugacité de leurs échanges sont amplifiées par une grande intensité. Ces personnages étrangers, anodins au départ sont poussés dans leurs retranchements, aimantés par une banalité et chauffés à blanc.

Les descriptions bien que concises sont remplies d'images qui forcent le lecteur à se pencher pour écouter les blancs laissés. Il n'y a pas de filtres, les scènes se déroulent comme dans le réel, comme si ce théâtre se jouait sur l'estrade du monde.
Il y a de l'espoir, du désespoir, de la désolation et du combat.

Dérangeant, insaisissable, Moderato Cantabile en déroutera sans doute certains. Mais il y a dans cet objet atypique une folle audace et une grande originalité tout à fait maîtrisée.


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Anne Desbaresdes est la jeune épouse du directeur des Fonderies de cette ville côtière. Pendant la leçon de piano de son petit garçon, elle entend un cri, celui d'une femme mourant dans une dernière étreinte de son amant.

Anne est fascinée par ce crime passionnel.
Au point de retourner sur les lieux du drame, de réécrire inlassablement cette histoire avec un jeune ouvrier.
Au point de s'y noyer, jour après jour, le vin aidant.
Au point de s'identifier avec lui à ce couple.

'Moderato Cantabile' est un des livres fétiches de mes seize ans, je l'ai lu et relu.
Je la trouvais tellement classe, cette femme douce et paumée qui sort timidement de sa cage dorée et se met en danger. Tellement scandaleuse, cette épouse de patron qui s'enivre avec un ouvrier, attendant qu'il la brusque avec des mots.
Se perdre dans l'alcool et parler de passion dévastatrice avec un inconnu, ignorer le regard des autres et les convenances, frôler l'adultère... So chic !

Mais j'ai grandi et mûri, je vois l'alcoolisme différemment, non plus comme de l'élégance, de l'esthétisme, mais comme un symptôme. Cette jeune mère souffre, en effet : immature, fragile, effacée, étouffant d'ennui et perdue dans un milieu social qui ne lui convient pas.

Quoi qu'il en soit, trente ans plus tard, j'ai replongé dans ce texte avec le même plaisir et le même émerveillement que les premières fois.
De bien jolies choses malgré tout ce désespoir : la plume délicieuse, le nom de cette femme, sa douceur, sa réserve, sa "main dans le désordre blond de ses cheveux", la fleur de magnolia entre ses seins. Sa façon d'aimer son enfant, avec passion et désinvolture. Sa sensualité d'autant plus éclatante qu'elle n'est pas calculée, le désir qu'elle fait naître chez cet homme. Le trouble croissant entre eux, les errances nocturnes de l'homme devant son jardin, sous ses fenêtres, le parfum entêtant des magnolias... Et puis l'innocence, le pragmatisme et la sagesse, à travers la présence d'un enfant.

Somptueux. ♥
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Oh la claque ! Encore et toujours Duras. J'adore. Pas étonnée quand Dominique Aury écrit en 1958 « Marguerite Duras laisse dans l'esprit une sourde traînée de phosphore, qui brûle. » Il y a de la soumission dans ce roman, une chienne qui n'entre pas chez son Maître tant qu'il ne le lui a pas permis, qui va jusqu'à lui demander l'impensable et qui le réalisera, lui par amour, à la différence de ce pleutre de Sir Stephen. Mais j'y ai vu aussi du Boulgakov par cet enivrement des sens, comme si le chat -ici sous forme de vin rouge- entraîne Anne dans des tourments qu'elle ne comprend pas toujours, une part diabolique d'elle qu'elle n'avait pas encore entrevue. Et c'est érotique, tant cette fleur qui touche ses seins, la rondeur de cette poitrine dévoilée certains soirs, comme il aurait aimé y plonger, se frotter pour mieux sentir, éprouver. Et cette sensualité dans les jeux de main, ces frôlements, à regret. Chauvin, Gauvain, un autre parallèle qui me vient. Duras laisse le lecteur trouver sens à ce texte si minimaliste. J'y vois tellement, j'en suis encore sous le choc. Évidemment ce ne sont que des sensations, pas forcément justes du reste, mais ce texte est un sacré vibrato. Certainement pas moderato cantabile.
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Je me sens, littérairement parlant, plus à l'aise avec le foisonnement romanesque qu'avec l'épure objective du nouveau roman. Pourtant, comme je suis aussi curieuse, j'aime à sortir de ma zone de confort.

C'est le cas avec Marguerite Duras. Son Amant avait fait forte impression sur la lycéenne que j'étais, même s'il me fallut deux lectures pour "apprivoiser" ce style différent.
Moderato Cantabile est un ouvrage très court, elliptique et où silences et non-dits occupent plus de place que ce qui est écrit.
Peu de personnages, quelques lieux bien définis - le salon de la professeur de piano, le bar, la maison où vivent Anne Desbarèdes et son fils. le roman a des allures de pièce de théâtre aux décors minimalistes. Ou de film en noir et blanc, avec un grain suranné, qui rendrait palpable le silence pendant les échanges erratiques d'Anne et de Chauvin.
Cette jeune femme, épouse du directeur d'une fonderie de la ville et mère d'un garçonnet contraint d'apprendre le piano, et cet homme dont on ne sait rien si ce n'est qu'il a travaillé dans une fonderie se retrouvent quotidiennement dans ce bar situé à côté de chez la professeur. Une femme y a été assassinée par son compagnon. Anne a assisté non à l'acte mais aux lamentations du coupable sur le corps de sa victime.

Anne ne peut s'ôter cette mort de la tête et retourne dès le lendemain au bar. Femme de la classe aisée de la ville, elle détonne dans ce bistrot où viennent descendre leurs ballons les ouvriers des usines du port sitôt la journée finie. Pourtant elle y revient, chaque jour, buvant du vin avec Chauvin, à essayer de comprendre les raisons du crime passionnel. Et à comprendre pourquoi elle revient vers cet homme.
Le sang versé, le vin des libations et même le rouge du tricot de la patronne du bar emplissent la tête et le corps d'Anne, tandis que son fils joue sur le trottoir en attendant.

Les mots échangés offrent une communication syncopée où se mêlent le meurtre et des morceaux de vie d'Anne. On sait somme toute peu de choses d'elle même si l'on sent un grand vide en elle. Il y a de la solitude chez elle comme chez Chauvin, qui semble inventer les raisons de l'assassinat et chercher à retenir Anne par le vin et des injonctions à parler d'elle.

Marguerite Duras emprunte un ton froid et objectif pour écrire son roman. Les émotions que l'on prête aux personnages proviennent plutôt du lecteur qui les insère dans les blancs laissés par l'auteur. L'enfant récalcitrant devant sa sonatine à jouer, dans les toutes premières pages, m'a beaucoup plu. Dans cette scène se jouent les trois verbes devoir, pouvoir et vouloir : le garçon doit apprendre le piano, il peut jouer gammes et sonatine mais ne veut pas de cet instrument et le fait savoir. Aux interventions sèches et réprobatrices de la professeur répondent des phrases floues, vagues, creuses et contradictoires de la mère. le portrait d'Anne se dessine déjà dans cette scène. La sévère professeur a d'ailleurs pris la mesure de cette mère et ne manque pas de le lui dire sans détour. Cette dame qu'on suppose d'un certain âge et doté d'un physique fin comme une lame, m'est apparue comme le seul personnage à la construction nette et précise, sans flou autour d'elle.

La lecture de Moderato Cantabile m'a paru intrigante par son minimalisme et ses impressions de voies sans issue. Je reste sur ma préférence pour une littérature romanesque "plus en chair". Pourtant l'oeuvre de Duras ne laisse de me surprendre et de bousculer mes habitudes. C'est pourquoi j'y reviens de temps à autre et y reviendrai, d'autres romans d'elle patientant sur mes étagères.
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Une ambiance surréaliste dans un décor très précis
un enfant qui apprend le piano à contrecoeur
une femme assassinée dans un café
la mère de l'enfant, étrange, étrangère à sa vie, désorientée
un homme mystérieux
Un texte tout en poésie.
C'est beau, c'est très beau.
C'est troublant et envoûtant
C'est comme une chanson triste, comme une longue plainte
Paradoxe d'un texte écrit d'une manière froide et détachée d'où émergent émotion et sensibilité.
Musical comme la sonatine de Diabelli, je relirai ce livre avec déléctation
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Pendant un cours de piano, le cri d'une femme retentit dehors. C'est un meurtre passionnel qui a eu lieu en bas, devant le café. Cet évènement trouble durablement Anne Desbaresdes qui accompagnait son jeune garçon au cours de musique. Quelques jours plus tard, elle revient au café, poussée par une curiosité un peu honteuse. Au comptoir, elle avale plusieurs verres de vin et entame une étrange discussion avec un témoin du crime.

« Si vous saviez tout le bonheur qu'on leur veut, comme si c'était possible. Peut-être vaudrait-il mieux parfois que l'on nous en sépare. Je n'arrive pas à me faire une raison de cet enfant. » (p. 33) Anne Desbaresdes est une mère trop affectueuse, anxieuse et dépassée. « Vous aurez beaucoup de mal, Madame Desbaresdes, avec cet enfant, […], c'est moi qui vous le dit. / C'est déjà fait, il me dévore. » (p. 16) L'enfant ne veut pas apprendre le piano, il ne veut pas perdre ses après-midi sur des gammes alors que le port est si près et que le bal des navires est si fascinant. « Quand même, […], tu pourrais t'en souvenir une fois pour toutes. Moderato, ça veut dire modéré, et cantabile, ça veut dire chantant, c'est facile. » (p. 20 & 21) Mais à quoi cela sert-il de connaître des indications musicales ? Ne vaut-il pas mieux jouer la mélodie comme on l'entend, même si l'on est en avance de plusieurs mesures ?

Ce court roman de Marguerite Duras ressemble à une pièce de théâtre : on y trouve la tension de certaines tragédies grecques, mais il y manque le drame, l'action. En fait, une fois le crime liminaire accompli, il ne se passe plus grand-chose et l'on suit Anne Desbaresdes et Chauvin sur le chemin d'un adultère incertain. le dialogue est composé de répliques en décalage : on n'est pas vraiment certain que ces deux-là s'entendent et se comprennent, mais il s'agit d'une absurdité régulière, étrangement acceptable.

Après le cri, il faudrait continuer la petite musique, modérément et de façon chantante, mais quelque chose s'est brisé dans l'harmonie artificielle d'avant, et la partition sonne faux. Anne Desbaresdes fuit l'ennui et laisse enfin s'exprimer sa haine des heures fixes, des partitions figées. le vin devient son évasion et plus rien ne reste dans ses limites.

À la fin de l'édition que j'ai choisie sont compilées les critiques contemporaines de la parution du roman. Ces textes donnent un nouvel éclairage et l'envie de reprendre la lecture parce que, c'est certain, on est passé à côté de quelque chose. À la fois fascinant et agaçant, ce roman concentre le talent de Marguerite Duras : plus que jamais, elle exprime son art de ne pas finir.
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