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EAN : 9782707306685
137 pages
Editions de Minuit (01/11/1983)
3.62/5   81 notes
Résumé :
Tu ne sais plus qui tu es, qui tu as été, tu sais que tu as joué, tu ne sais plus ce que tu as joué, ce que tu joues, tu joues, tu sais que tu dois jouer, tu ne sais plus quoi, tu joues. Ni quels sont tes rôles, ni quels sont tes enfants vivants ou morts. Ni quels sont les lieux, les scènes, les capitales, les continents où tu as crié la passion des amants. Sauf que la salle a payé et qu'on lui doit le spectacle.
Tu es la comédienne de théâtre, la splendeur d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
J'ai lu Savannah Bay dans une édition augmentée, ce qui revient à deux textes en un volume : le texte d'origine, et celui que Marguerite Duras a réécrit pour sa mise en scène avec Madeleine Renaud et Bulle Ogier, plus resserré et donc à moitié moins long. Duras rapporte que Madeleine Renaud lui avait demandé de lui écrire un "texte d'amour" : "Ce n'est pas parce que je suis vieille que je ne peux pas dire un texte d'amour." Duras lui a donc promis ce texte, qui est devenu Savannah Bay. Cela dit, s'il est intéressant de le savoir, ce n'est pas une information forcément nécessaire pour lire la pièce, notamment la première version.

La première version est peut-être plus adaptée à la lecture, prenant davantage le temps de diffuser cette ambiance à la fois floue, tragique et mortifère. Il y a bien une histoire au centre de la pièce, une histoire décomposée, morcelée, dont Madeleine, une vieille dame à la mémoire - volontairement ou pas - défaillante, ancienne comédienne, essaie de retrouver les bribes, dans une éternelle répétition avec des variations infinies. Une histoire qu'une jeune femme, qui vient voir tous les jours Madeleine, s'efforce de lui faire raconter. L'histoire de deux personnes qui se sont aimées, l'histoire d'une jeune fille qui a toujours été attirée par la mer autant que par la mort. L'histoire de l'arrivée au monde d'un bébé, né le jour où sa mère a disparu dans la mer. On n'en saura pas davantage, et on peut même douter de la réalité de tout ça - l'utilisation que Duras fait du théâtre, la façon dont elle insère l'histoire d'une pièce de théâtre dans le texte, dont elle utilise les décors, et particulièrement les regards que doivent poser les comédiennes sur le public dans la seconde version - tout ne fait que prolonger la confusion du lecteur ou spectateur. Confusion qui est un moyen et un thème de la pièce.

Qui est qui, quelle histoire nous raconte-t-on, quels sont les liens qui unissent Madeleine et la Jeune Femme ? Ça n'a pas l'air très clair même dans l'esprit de Duras, vu une interview qu'elle avait donnée en 83, et qui contredisait quelque peu ce que j'avais compris des didascalies et notes de la première version - à moins que les didascalies elles-mêmes n'aient pas été très claires, ce qui est possible, ou encore que ladite interview ait été confuse. Peu importe en fait que Madeleine soit la grand-mère de la Jeune Femme, ou encore sa mère, ou que la Jeune Femme soit une projection mentale, une réminiscence issue des tréfonds de la mémoire de Madeleine. On ne sait pas, on ne saura pas, car tout ici est Savannah Bay : les lieux, les personnes, la pièce dans la pièce, la pièce que vous avez sous les yeux. Pour Marguerite Duras, seule comptait l'histoire d'amour, ou plutôt l'écriture, la mise en scène de l'histoire d'un amour, qui reste inaccessible et "miraculeuse" (ce sont ses mots) et qui entoure de son aura tout ce qui touche à cette histoire, mystérieusement. Une histoire qui est aussi celle d'une souffrance.

Du texte initial, à l'atmosphère vaporeuse, on passe à une version pour le théâtre plus âpre, moins ambiguë, plus concise, plus dense, qui dit plus net la douleur que diffuse la pièce, sans que la clé en soit donnée pour autant - à supposer qu'il existe une clé pour ce genre de texte. Les liens sont forts entre Savannah Bay et India Song (écrite dix ans plus tôt), cette autre histoire de mémoire, de fantasmes, d'amour et de mort ; peut-être un peu trop. Pour autant, Duras a cherché a cherché à décomposer/recomposer différemment une histoire qu'on ne peut réellement toucher du doigt. J'aurais sans doute préféré un peu plus de sobriété dans l'écriture de la première version, mais la seconde me paraît un peu courte pour une simple lecture et pour inoculer au lecteur l'atmosphère délétère du texte - mais pour le coup, celle-ci a été conçue pour la scène, en travail de plateau. Mais cela restera pour moi une jolie expérience de lecture.


Challenge Théâtre 2017-2018
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Quand le souvenir d'un évènement traumatique se perd à force d'être répété, quand il se trouble par l'émotion qu'il réveille, quand la vieillesse, et la sourde volonté d'oublier, s'en mêle...
La même jeune femme vient sans cesse voir Madeleine, comédienne vieillissante, pour qu'elle lui raconte encore et encore comment cette autre jeune femme, presqu'une enfant encore, a mis fin à ses jours le jour même où elle a accouché.
C'était il y a longtemps, à Savannah Bay - mais ça aurait pu être n'importe où - une histoire d'amour fulgurante entre cette fille et cet homme plus âgé. Madeleine voudrait ne plus raconter, encore et encore, comment elle a survécu à ce drame qui l'a touchée intimement, comment elle a continué à monter sur scène, par politesse dit-elle envers le public. Ne pas mourir.
Drame en huis-clos autour de ces deux personnages, la jeune femme et Madeleine, c'est encore une fois une histoire forte, passionnelle, d'amour dont on ne peut revenir. le recueil présente la première version écrite par Marguerite Duras, puis celle jouée au théâtre par Bulle Ogier et Madeleine Renaud. On peut voir des extraits sur Internet dans lesquels cette dernière est à la fois drôle et très émouvante, et donne un peu d'air frais à cette pièce grave.
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Je ne vous parlerai pas de l'histoire - « ici rien n'est sûr », ici le réel se brouille, réalité, théâtre, cinéma, fantasmes, se mêlent, avec intensité; rien n'est sûr, si ce n'est que quelque chose de très fort se joue, se rejoue devant nous, s'effrite et se recrée.
L'amour, la mort, la mer, la mémoire qui perd pied, le flou des réalités humaines, la très belle écriture de Duras, musicale, profonde, les explore jusqu'au vertige, nous emporte dans cette énergie à la fois étrange et familière, comme si elle nous révélait quelque chose d'essentiel enfoui en nous, cherchant à saisir l'insaisissable et le fait même que ce soit insaisissable, ce «quelque chose qui n'existe pas et qui est pourtant la chose la plus importante entre toutes les choses importantes, la seule qui vaille la peine d'être dite et la seule justement qu'on ne puisse dire »*.

(*Vladimir Jankélévitch)

Challenge théâtre 2017-2018
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Savannah Bay de Marguerite Duras est un récit à deux voix, qui alterne des dialogues entre une Jeune Femme et Madeleine, une vieille femme qui, autrefois, fut comédienne et le récit d'un évènement qui fut fondamental dans leur vie à toutes les deux, la mort d'une très jeune femme, juste après son accouchement, dans la baie de Savannah.
Dans la pièce, le personnage de Madeleine est atteint de pertes de mémoire ; elle semble redécouvrir sa vie à mesure qu'elle la raconte à la Jeune femme, sans que l'on puisse savoir si elle refuse de se souvenir ou si elle en est incapable. du fait de cette mémoire défaillante, le récit est essentiellement constitué de retours en arrière, de corrections et de reprises.
Il y a eu un certain nombre de représentations brillantes de Savannah Bay. Marguerite Duras elle-même avait mis en scène la pièce avec Madeleine Renaud et Bulle Ogier. C'est cette référence que j'avais en tête quand j'ai repris le texte avant d'aller au théâtre de l'Atelier, en mars 2014.
J'ai vécu un moment formidable et j'en ai pleuré, ce qui m'arrive rarement au théâtre. Cela montre la puissance émotionnelle du texte qui s'inscrit dans une veine du théâtre-récit où la parole, la narration, l'emportent sur l'action dramatique réelle. Il faut dire qu'Emmanuelle Riva et Anne Consigny n'entravent en rien la poésie du texte de Marguerite Duras, au contraire. La version proposée par Didier Bezace est pourtant dénuée de moments de suspensions et de silences mais l'adaptation est vraiment réussie.
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🌊 le souvenir d'un événement douloureux, à force de répétition, peut-il s'effacer, s'effriter, jusqu'à disparaître entièrement ? Aidé par le déclin de l'âge, l'émotion et le désir inconscient de vouloir l'oublier, comment peut-il persister ?

🌊 A travers le dialogue entre cette jeune femme qui rend visite à Madeleine, une comédienne au crépuscule de sa vie, c'est tout un travail de mémoire, une lutte contre l'oubli, une lutte contre soi, ses frayeurs et ses doutes, ses blessures profondes, oui, c'est un dialogue, une maïeutique, un travail contre la nature de l'homme qui tend à oublier, déformer, arranger la réalité.

🌊 C'est une histoire d'amour, fulgurante et renversante, entre Madeleine et cet homme, un amour dont on ne sort pas indemne, un amour dont une part de soi meurt de l'avoir ressenti une seconde mais de ne l'avoir pas vécu du tout. C'était à Savannah Bay, c'était il y a longtemps, mais ç'aurait pu être n'importe où, hier ou demain, elle ou une autre, c'est l'histoire d'une passion, c'est l'histoire de la vie. Tout simplement.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
𝐸𝑙𝑙𝑒𝑠 𝑏𝑜𝑖𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑒 𝑡ℎ𝑒́.

MADELEINE (𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠). - La mort arrivera du dehors de moi.

JEUNE FEMME. - De très loin. (𝑇𝑒𝑚𝑝𝑠). Vous ne saurez pas quand.

MADELEINE. - Non, je ne saurai pas.

JEUNE FEMME. - Elle est partie depuis le commencement du monde en prévision de vous seule.

MADELEINE. - Oui. Inscrite dès la naissance. Quel honneur, dès avant la naissance.

JEUNE FEMME. - Oui.

MADELEINE (𝑚𝑜𝑛𝑡𝑟𝑒 𝑙𝑎 𝑠𝑐𝑒̀𝑛𝑒). - Pour arriver là. (𝑆𝑖𝑙𝑒𝑛𝑐𝑒). Comment sais-tu ces choses là ?

JEUNE FEMME. - Je vous vois.
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JEUNE FEMME. - On aurait pu les appeler...
MADELEINE. - On aurait pu les appeler... les supplier de revenir. Mais on ne l'a pas fait... on ne l'aurait pas fait... C'était une affaire entre les amants... (Temps. Lenteur). Ils ont dû nager loin. Sur sa demande, à elle. Ça, c’est sûr. Et puis... ça a dû être comme l'arrivée du sommeil. (Temps long). À elle, la chose à dû être facile, elle était si fatiguée... ses couches dans la même nuit... À lui, non, ça n'a pas dû être possible, lui était dans toute sa force, il n'a pas pu s'en délivrer pour s'empêcher de nager. (Temps). C'est ce qu’on a dit partout, ce qu'on a écrit, ce qu'on a joué partout, partout.
JEUNE FEMME (visage caché). - Qu'est-ce que vous dites, vous ?
MADELEINE (net comme un verdict). - Je dis que c'est un instant comme la pierre est blanche. Sans plus personne. Tout à coup.
JEUNE FEMME. - Seulement la mer autour de la pierre. (Temps). Les cris. (Silence). C'est un instant de théâtre.
MADELEINE. - C'est un instant d'infinie douleur.

Scène III (Seconde version)
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JEUNE FEMME (redit les récits de Madeleine). - [...] Ils s'étaient connus là. Il l'avait vue allongée, souriante, régulièrement recouverte par les eaux de la houle... et puis il l'avait vue se jeter dans la mer et s'éloigner... Elle a troué la mer et elle a disparu dans le trou d'eau. La mer s'est refermée. À perte de vue on n'a plus rien vu que la surface nue de la mer, elle était devenue introuvable, inventée. Alors tout à coup il s'est dressé sur la pierre blanche. Il a appelé. Un cri. Pas le nom. Un cri. (Temps.) Et à ce cri, elle est revenue. Du fond de l'horizon un point qui se déplace, elle. (Temps.) C'est quand il l'a vue revenir... il a souri... elle a souri, et ce sourire...
MADELEINE (égarée). - ... ce sourire, ce sourire-là... aurait pu faire croire que... une fois... pendant un moment même très court... comme si c'était possible... qu'on aurait pu aimer.

(Première version)
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JEUNE FEMME. - Et puis un jour il ne s'est rien passé. (Temps). Un jour il a plu et il a fait gris. (Temps). Tout le jour. (Temps). Le ciel a disparu, la lumière, l'air, les arbres. La nuit est venue très vite. (Temps). On a allumé les lampes. Personne ne parlait. (Silence). Qui était mort ce jour gris ? (Temps long). Qui était mort ce jour gris ? Vous ne l'avez jamais dit. Vous n'avez jamais dit que quelqu'un était mort. (Silence). Pourquoi pas elle ? (Temps). Pourquoi pas elle ? (Temps). Elle... irremplaçable... elle, dans la mort, parmi les autres, pourquoi pas ? (Silence. Regard effrayé de Madeleine). Vous avez toujours parlé d'un jour interminable, vous disiez qu'il avait duré cent ans. Qu'on avait fait la nuit dans la maison. Que tout était silencieux, sauf ces cris de l'homme qui appelait. Vous ne vous souvenez pas ?
Madeleine. - Non.
JEUNE FEMME (temps). - Vous avez toujours parlé d'un jour sans soleil, très long. Des gens qui avaient appris la nouvelle, qui étaient venus, qui entraient dans la maison. (Temps. Geste de Madeleine : non). Vous avez toujours parlé de cet homme qui ne comprenait pas la mort, qui appelait une morte vers la Magra. (Temps. Geste de Madeleiene : non). Vous ne vous souvenez pas ?
MADELEINE. - Non.
JEUNE FEMME. - Vous vous souvenez de quoi ?
MADELEINE. - Des grands marécages à l'embouchure de la Magra. Des bois. Ils sont encore là. (Temps). La mer. (Temps). La pierre. (Temps). Le temps.
JEUNE FEMME. - Les cris.
MADELEINE. - Non. L'histoire.
JEUNE FEMME (temps). - On n'avait jamais vu un amour pareil ?
MADELEINE. - Non.
Silence.

Scène III (Seconde version)
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JEUNE FEMME. - J'ai vu une photo de vacances. Il y avait une jeune femme.
MADELEINE. - Il y avait toujours des jeunes femmes sur les photos de vacances.
Silence.
JEUNE FEMME. - Je me suis reconnue sur la photo de vacances... la jeune femme à droite d'un homme blond, grand il lui tenait la main...
MADELEINE. - Tiens...
JEUNE FEMME. - Oui. La dernière fois il y avait encore une jeune femme sur les photos. (Temps.) Mais différente. Une jeune femme différente. C'était une scène de théâtre.
MADELEINE. - Tout est possible. Là, c'était moi. La ressemblance est telle... la date ne compte pas.
Silence. La Jeune Femme ne répond pas. Elle est obstinée dans le refus de la mémoire proposée.

(Première version)
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