AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,1

sur 234 notes
5
33 avis
4
27 avis
3
7 avis
2
2 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Nous sommes à Bucarest, au lendemain des obsèques du dramaturge juif roumain Mihail Sebastian, renversé par un camion, le 29 mai 1945.

Eugénia se souvient, elle nous invite à remonter le temps. Elle nous confie sa belle histoire d'amour avec cet écrivain qu'elle a aimé passionnément mais qui le lui rendait négligemment, amoureux qu'il était lui-même d'une belle actrice, Lény Caler, totalement infidèle et nous pénétrons, avec elle, la terrifiante Histoire de la Roumanie fasciste des années 30 aux années 40.

Madame Irina Costinas, professeure de littérature d'Eugénia, a invité, malgré l'atmosphère antijuive qui règne dans les universités, Mihail Sebastian, de son vrai nom Iosif Hechter. Elle espère inciter ses élèves, en s'appuyant sur le dernier ouvrage de Mihail « Depuis deux mille ans », à penser autrement.

Sous les yeux d'Eugénia qui est issue d'un milieu familial où il est normal de considérer les juifs comme des êtres à part, soient des parasites, soient des familles immensément riches, l'écrivain est agressé par des étudiants, adeptes de la Garde de Fer dont son propre frère est également adhérent.

C'est à cet instant précis qu'Eugénia va prendre conscience de la haine maladive qui submerge la Roumanie et admirant le courage de son professeure, elle va lui prêter main forte pour protéger l'écrivain.

Et Eugénia va se rappeler avoir souligné, avant l'intervention de Mihail, ce passage de l'ouvrage ; début prometteur et annonciateur de l'étincelle de lumière qui va participer à son éveil :

« Boulevard Elisabeta, un groupe d'adolescents en uniforme vendait des journaux.

- Les mystères du sacrifice rituel ! Mort aux youtres !

Je ne sais pas pourquoi je me suis arrêté. D'habitude, je passe mon chemin tranquillement parce que ce cri est déjà ancien, presque familier. Cette fois-ci , je suis resté là, surpris, comme si je comprenais soudain, pour la première fois, le sens de ces syllabes. Etrange. Ces gens parlent de mort et précisément de la mienne. Et moi, je passe à côté d'eux sans faire attention, l'esprit ailleurs, les entendant à peine.

Pourquoi est-il si facile, dans une rue roumaine, de crier « A mort » sans que personne daigne tourner la tête ? La mort me semble-t-il est tout de même une chose assez sérieuse. Un chien écrasé sous les roues d'une auto, cela suffit déjà pour un instant de silence. Si quelqu'un s'installait à un carrefour pour scander, par exemple, « mort aux hérissons ! » je suppose que les passants montreraient un minimum d'étonnement.
Réflexion faite, ce qui est grave, ce n'est pas que trois gars puissent se poster à un coin de rue pour hurler « mort aux youpins » mais que leur cri puisse passer inaperçu banal comme la cloche d'un tramway ».

A partir de ce jour, sa vie va basculer entre amour de cet homme, prises de conscience multiples, regard critique plus affûté sur l'entourage, nécessité de s'engager dans la résistance devant le fascisme, nécessité de témoigner devant la découverte, en tant que journaliste, de l'horreur du pogrom de Jassy en 1941, incompréhension devant la barbarie de cette boucherie, incompréhension devant le déni de la société du massacre de 13226 juifs.
C'est un livre admirable, exceptionnel, criant de vérités, intelligent, très intelligent, un excellent cours d'histoire pour les férus de mon acabit.

Eugénia raconte et l'emploi du « Je » tout au long de ses réflexions donne une profondeur indiscutable à ce livre comme on en rencontre peu. Habituellement, nous avons un récit, un constat, mais là, nous participons à ses interrogations qu'elles soient humanistes, philosophiques, ethnographiques, aux prises de position de ceux qui l'entourent. Elle mène un combat malgré le déni de ses propres parents, elle surmontera l'affection qu'elle leur porte pour ne jamais renoncer à ses idéaux.

Ce qui donne cet accent de vérité, d'authenticité, c'est que seule notre héroïne est fictive. La trame de cet ouvrage s'appuie sur le journal de Mihail Sebastian ainsi que sur une bibliographie citée en fin du livre. Quant au pogrom de Jassy, le récit s'appuie sur des extraits tirés de l'oeuvre de Curzio Malaparte. Lionel Duroy réussi un mélange entre la grande et la petite histoire d'une exceptionnelle qualité.

Nous y rencontrons les admirateurs d'Hitler, de la Garde de Fer, adeptes des théories antisémites comme Mircea Eliade, Emil Cioran.

Toutes les chroniques sur ce livre sont unanimes et je remercie Archie pour les échanges que nous avons eus à cet effet. C'est un livre que je n'oublierai pas.

Commenter  J’apprécie          8815
Ne comptez pas sur moi pour vous donner une leçon d'Histoire ! Je suis prof, d'accord, mais de français.

Sachez juste que cet excellent écrivain nous a conté par le biais de sa narratrice Eugenia l'histoire de la Roumanie de 1935 à 1945 : les multiples revirements des hommes au pouvoir, les tergiversations du roi Carol II qui cédera sa place, les périodes de semi-dictature et les temps où la liberté est là, et puis le début de la guerre avec la Roumanie comme alliée presque forcée de l'Allemagne, le combat contre les Russes, puis avec les Russes. Il semble que les Roumains n'ont jamais su où se placer exactement.
Mais Lionel Duroy, à travers sa narratrice, porte surtout son attention sur les Juifs, notamment par l'amour infini que porte Eugenia à un grand écrivain roumain et juif : Mihail Sebastian.

Cette « question juive », dans ce roman détaillé, est décortiquée, analysée jusqu'au tréfonds.
« de tous les peuples d'Europe, les Roumains, si fiers de leur sang, sont ceux qui haïssent le plus les juifs. Pourquoi ? Que viennent toucher les juifs de si douloureux dans le coeur des Roumains ? »
« Qui rejetons-nous quand nous rejetons un Juif ? Ne serait-ce pas une part de nous-mêmes que nous lui prêtons malgré lui ? Comme si, au fil des siècles, nous avions pris pour habitude de porter au crédit des juifs tout ce que nous n'aimons pas en nous, tout ce que nous voudrions détruire en nous. Comme s'il nous avait fallu désigner un bouc émissaire pour, en quelque sorte, nous délester de notre part sombre ».

Cette question est universelle parce que le lecteur se sent touché : pourquoi éprouvons-nous de la haine envers quelqu'un au point de le rejeter ?

Comment réagir face au traitement inhumain que supportent les Juifs ? La narratrice est horrifiée par le pogrom de Jassy (en 1942) où les Juifs sont pourchassés comme des chiens et tués à bout portant dans les rues, hommes, femmes, enfants, vieillards.
Et en même temps, Eugenia veut comprendre. Ses fréquentations l'amènent à contenir sa révolte pour s'interroger.
« En nous laissant guider par notre indignation, nous l'avons empêché de développer son point de vue. Songez à ce que nous avons raté ! »
« On parachève la rupture en prêtant à l'autre les sentiments les plus méprisables et les mieux à même d'éveiller la haine ».

Jamais il n'y a dichotomie, tout est dans la complexité. C'est d'ailleurs pour cela qu'Eugenia a quitté son emploi de journaliste.
« le journalisme est impuissant à rendre compte de notre incroyable complexité car ce qu'on devine d'une personne n'est pas considéré comme une information.
(...)
Je ne peux réduire ces hommes à leur inhumanité, je dois dire aussi de quelle façon ils sourient à leur femme, avec quelle tendresse ils caressent les cheveux de leurs enfants, car sinon ce serait feindre de les comprendre alors qu'en vérité ils nous confrontent à quelque chose d'inexplicable.
(...)
Il faut cesser de poser des questions et s'introduire dans l'intimité des gens, bourreaux et victimes, les écouter parler, ne pas les interrompre, ne pas les contredire surtout, acquiescer silencieusement à tout ce qu'ils disent. C'est notre seul espoir pour saisir un peu de notre complexité ».

Je pourrais encore recopier une infinité de passages, mais j'ai pitié de vous, et d'ailleurs, ce n'est pas un cours que je veux donner, c'est un ressenti.
Je le résume tout net : j'adore plonger dans les racines des faits, dans la profondeur des êtres. Et ici, j'ai été servie, et bien servie ! La lecture s'est opérée très lentement, car tout a une importance.
Si les faits historiques sont bien décortiqués, c'est surtout la réaction des gens qui m'intéresse, que ce soit des bourreaux, des victimes, ou de l'héroïne. Les écrivains aussi font partie de l'histoire, comme Malaparte, l'ambigu, ou Mircea Eliade, le beaucoup moins ambigu !
J'ai découvert le sombre écrivain Mihail Sebastian à travers les nombreux passages de son Journal et de son roman « Depuis deux mille ans », cités par Eugenia, la femme qui l'aime, et non la femme qu'il aime.

Je vous conseille donc, pour connaitre les faits précis, de vous reporter à une autre critique de Babelio que la mienne, mais en attendant, je ne peux que vous inciter à lire ce roman qui nous interpelle en tant qu'humains et qui nous cogne à la vie.
Commenter  J’apprécie          8319
Je m'en suis voulu du plaisir que j'ai pris à larmoyer sur le malheur des autres. Il y a des auteurs qui font éclore des idées exactement vôtres mais que l'on ne pourrait jamais exprimer.
C'est surement ça le talent !

Quelle joie donc de faire la connaissance d'Eugenia, fraiche jeune femme intelligente dans la Roumanie de Juin 40 où l'Allemagne vient d'écraser la Pologne, le Danemark et la France.
Le roi Carol II n'a d'autres choix que d'accepter l'alliance que lui impose Hitler.
En interne depuis 1935 les fascistes des « gardes de fer » rêvent déjà de rendre la Roumanie aux roumains en éliminant l'ensemble des juifs.

D'une puissante charpente historique, les mots forts de Lionel Duroy lèvent pour moi le voile d'une Europe centrale basculant dans l'horreur et ce, soutenu par une romance improbable :
Eugenia est amoureuse de Mihail écrivain et dramaturge juif qui accepte sa condition.
« le sauver du sombre fatalisme dans lequel je le voyais s'enfoncer ».
Elle est également la soeur de Stefan dirigeant des « gardes de fer ».
La famille et la fratrie seront écartelées par ces convictions opposées.

J'ai apprécié le charisme et le dynamisme d'Eugenia, son altruisme et sa force de caractère qui lui permette d'affronter des situations inédites atroces. « Je n'en pouvais plus de devoir décider toute seule, de ne pouvoir compter que sur moi-même dans cette Europe qui semblait être tombée dans la main du diable. »
Cette main du diable sera cuirassée d'une telle haine des juifs qu'elle s'exécutera finalement dans le « pogrom de Jassy ».
Derrière ces mots à la jolie consonance se terrent la férocité et la barbarie. La moitié d'une ville a massacré l'autre. « Ce furent les jours les plus bestiales de l'histoire de l'humanité. »

Eugenia entrera en résistance laissant Mihail végétatif, tapi dans son appartement de Bucarest à écrire son journal, un peu comme s'il écrivait pour se taire. Ecrire pour ne pas mourir !
Lionel Duroy m'a littéralement embarqué dans le destin de l'Europe, d'un pays tourmenté,
d'un peuple roumain exsangue s'interrogeant : « Qu'étions nous allés faire jusqu'à Stalingrad quand nous roumains avions pour seule ambition de récupérer la Bessarabie et la petite Bucovine ? »

Ce commentaire parait bien mièvre comparé à la densité et au foisonnement d'idées de ce texte brillant notamment sur les suites du pogrom où Eugenia se demandera pourquoi après avoir relaté les faits, n'étions nous pas allé voir celui qui a tué toute une famille à la hache, ses voisins, alors qu'il les saluait chaque matin ?

« Ce qui fait la beauté d'Eugenia, c'est qu'elle n'en a aucune conscience. »
Je ne t'oublierai jamais, tu t'es battu pour ton pays, tes idéaux, ta famille, ton amour.
Pour revenir vers toi, il suffira que je prenne ce livre dans mes mains, compact, il se pliera à peine sous l'épaisseur des feuillets, que je ferme les yeux et tu seras là, à arpenter les rues de Jassy ou de Bucarest pour sauver du péril l'humanité, ton humanité.
Dansent les ombres du monde…
Commenter  J’apprécie          6312
L'auteur nous raconte un pan de l'histoire de la Roumanie, des années trente jusqu'à 1945, à travers une histoire d'amour entre une jeune étudiante Eugenia Radulescu et un écrivain juif célèbre Mihail Sebastian.

Eugenia a été élevée dans une famille où règne un antisémitisme pur et dur, son frère aîné Stefan ayant même rejoint la milice populiste qu'on appelle la « Garde de Fer » qui défile en terrorisant les Juifs, les maltraitant, et font du racolage...

Elle fait la connaissance de Mihail le jour où celui-ci vient faire une conférence dans son université, en 1935, conférence organisée par une enseignante qu'elle admire, Madame Costinas, laquelle jouera un rôle déterminant dans sa vie.

Lors de cette conférence, Stefan envoie ses sbires frapper Mihail, et Eugenia, horrifiée, aide son professeur à le prendre en charge. C'est ainsi que commence une prise de conscience chez la jeune étudiante.

« Il est inoubliable le moment où nos paupières se dessillent, où nous comprenons que nous avons été abusés. » P 37

En fait, les Roumains n'ont jamais accepté que les Juifs entrés chez eux à la fin de la première guerre mondiale aient été naturalisés, et sur fond de crise, il est tellement simple de rejeter la faute sur une population désignée d'avance…

« Pour nous, ces juifs venus de Galicie, de Russie, de Hongrie, de Pologne, d'on ne savait trop où encore, qui avaient envahi notre ville sans vergogne et dressé leurs synagogues ici et là, demeuraient des juifs, des étrangers, et ne seraient jamais de véritables Roumains. » P 22

On découvre ainsi le comportement de la Roumanie, pendant la guerre, le roi Carol II tentant de ménager la chèvre et le chou, les actifs de la Garde de Fer sont arrêtés jugés exécutés, le mouvement interdit, malgré la fascination du peuple pour Hitler, mais il y a eu la signature du pacte germano-soviétique et la grande peur de l'URSS qui veut récupérer des terres conquises par la Roumanie : Bessarabie, Bucovine…

Quand la guerre éclate avec l'URSS Andrei, le jeune frère d'Eugenia est envoyé au front, tant que Stefan s'est réfugié à Berlin, planqué dans l'entourage d'Hitler. Mais les Russes finissent par l'emporter et évidemment c'est de la faute des Juifs d'où le pogrom de Jassy en juin 1941 (comme il y a eu celui de Bucarest en janvier) qu'Eugenia nous raconte dans le détail, arpentant la ville pour couvrir les évènements pour un journal de Bucarest.

Cet évènement va déclencher des prises de conscience, des gens vont entrer dans la Résistance, tous ne sont pas des collabos à la botte des nazis. Comment peut-on assassiner du jour au lendemain des gens qui ont été des voisins, des proches parfois ? c'est une question que je poserai toujours car elle reste malheureusement d'actualité, on connaît l'effet « meute » …

Les exactions de la Garde de Fer étaient d'une telle violence que même Hitler et ses troupes s'en inquiétaient… Selon cet officier, le chaos qui s'installait dans le pays inquiétaient de plus en plus les Allemands et ils ne laisseraient sûrement pas la situation perdurer. » P 204

Tout au long de ce roman, c'est Eugenia qui parle, utilisant le « je » et on assiste à son évolution, son éveil politique ; on voit évoluer sa réflexion, son appréciation de la situation, et son comportement va se modifier en profondeur; en même temps, elle découvre un autre univers, le monde de Mihail et de son écriture… elle ne porte pas de jugement péremptoire, elle constate les actes et les paroles des uns et des autres et les note de manière la plus objective possible, ce qui ne l'empêche pas de réfléchir sur la responsabilité des hommes et la répétition d'évènements qu'on pensait ne jamais voir se reproduire, tant ils étaient atroces.

Lionel Duroy alterne des évènements du présent (1945) et du passé, et mêle habilement l'histoire d'amour, plutôt à sens unique, entre Eugenia et Mihail, ce qui donne un rythme particulier à ce récit puissant et passionnant. Il évoque aussi très bien les déchirements dans une même famille, lorsque les enfants ont des engagements qui s'opposent, et le rôle de l'éducation, dans le rejet de l'autre.

Je connaissais peu l'histoire de la Roumanie et son côté fasciste pro nazi, à part, Ceausescu, le génie des Carpates, ainsi qu'il se surnommait, son exécution, Petre Roman, ou encore Nadia Comaneci… Donc surtout l'histoire après 1945. J'ai donc appris beaucoup de choses et ce roman m'a donné envie d'en savoir davantage sur Mihail Sebastian, ses livres, notamment « Depuis deux mille ans », son journal, dont l'auteur nous donne des extraits, ses pièces de théâtre…. Et bien sûr sur les protagonistes du pogrom, tel le général Antonescu…

Ce qui fait aussi l'originalité de ce roman, c'est le choix que fait Lionel Duroy de commencer le récit le 30 mai 1945, nous disant d'emblée si Mihail a survécu ou on à cette guerre, ce qui permet au lecteur de profiter de l'histoire sans se poser la question de manière lancinante…

J'ai adoré ce roman, qui avait tout pour me plaire car cette période de l'Histoire me passionne, et j'ai été conquise par le travail de recherche et le style de Lionel Duroy, dont j'aborde l'oeuvre pour la première fois, alors que plusieurs de ses livres sont dans ma PAL débordante…

Auteur à suivre de plus près donc.
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
Commenter  J’apprécie          583
Quelle belle rencontre que celle que je viens de faire avec Eugénia. J'admire sa détermination, son engagement sans faille pour défendre ses convictions. Son amour pour Mihail est beau car non possessif et très respectueux, pour cela aussi je l'admire !
Le livre de Lionel Duroy n'est pas seulement une histoire d'amour, non , c'est aussi et peut-être surtout la terrible montée du fascisme, le pogrom de Jassy, la peur, les manipulations, les mensonges, les trahisons...
Ce roman mêle une histoire d'amour inventée à l'histoire complexe de la Roumanie des années 30 et 40. Loin d'adoucir la réalité, cet amour apporte un aspect supplémentaire à la cruauté et l'horreur de cette période.
Lionel Duroy a opté pour mettre en valeur le militantisme, l'engagement sur fond damour. Cette alliance est particulièrement réussie.
Je ne connaissais pas Lionel Duroy, j'apprécie beaucoup son écriture. Ce roman m'a touchée mais aussi fait réfléchir sur bien des points et appris beaucoup sur de grands intellectuels comme Mircea Eliade que je ne connaissais qu'à travers "Le sacré et le profane", ou encore Cioran ou Malaparte.
Merci Monsieur Duroy pour ce très beau roman qui foisonne d'informations historiques et politiques.
Commenter  J’apprécie          556
Inutile d'écrire un long commentaire , tout a été dit déjà .
Quel livre!
Voici une fresque historique solidement charpentée , formidablement travaillée et documentée par un auteur que j'admire beaucoup loin de " Chagrin "et d'autres romans où il revisitait son histoire personnelle sans jamais donner l'impression à son lecteur de se répéter !
Mais là , sa plume généreuse , puissante nous embarque grâce à un solide travail documentaire , au plus près de la fin des années 30 et la période de la guerre 39- 45, en Roumanie , en dévoilant d'une maniére vertigineuse les heures les plus fiévreuses de ce pays , allié à une intrigue romanesque forte autour de la brillante et jeune étudiante Eugenia Radulescu , tombée sous le charme de Mihail Sebastian un romancier d'origine juive !
Un roman passionnant , addictif, fin , fouillé et intelligent qui m'a absorbée du début à la fin tant il est pétri de vérité, sensibilité , émotion puisque les faits sont avérés .
Mêlant la souffrance et la guerre, l'amour et la tourmente, dévoilant un épisode méconnu de la Seconde Guerre Mondiale , grâce à un gros travail d'investigation semblable à celui d' un journaliste lorsqu'il s'agit de la compréhension de l'antisémitisme, forcené, ses racines , cette haine viscérale , cette gangrène morale qui sévissait alors en Roumanie , un pays écartelé entre ses alliés de14- 18 et l'avidité de ses deux voisins ....Pourquoi ce mal absolu ? Comment comprendre ses origines ?
L'auteur nous offre un point de vue inédit de cette douloureuse période . Il nous met en garde contre un éventuel retour de ces heures sombres .
Comment lutter , témoigner quand les personnes autour de vous semblent hypnotisées , même au sein de votre famille par la tentation de la barbarie? du pire?
Ce roman émouvant me semble le plus abouti de ce grand écrivain !
Un grand bonheur de lecture mariant l'intime , l'histoire et l'universel !
Commenter  J’apprécie          4714
Comme l'écrit Lionel Duroy :
« Selon une enquête du SSI datée du 23 juillet 1943 et s'appuyant sur les listes de décès fournies par les différentes synagogues de Jassy, le pogrom aurait tué treize mille deux cent soixante-six personnes, dont quarante femmes et cent quatre-vingts enfants. »

Autour de ce fait historique, une famille aimante avec une fratrie qui va s'opposer, une histoire d'amour, la Roumanie, la guerre, les juifs, la bêtise humaine.
Comme souvent quand je suis bluffée par un roman, j'ai du mal à en faire la critique parce qu'elle me paraît bien pâle à côté. Fascinant et scènes terribles. Un livre qui se lit plus qu'il ne se raconte…
Un vrai roman dense, intelligent, puissant, sensible, engagé. Un Lionel Duroy au sommet de son oeuvre.
Commenter  J’apprécie          440
Voici tout ce qui me plait dans la bibliographie de Lionel Duroy ! Cette capacité à raconter, mêlant intimement le romanesque à l'Histoire ou/et au journalisme d'investigation. On lit un roman et on sait très vite que le travail de documentation est fouillé sur une période, un personnage réel, un contexte social ou historique.

Eugenia est notre guide dans la Roumanie fasciste des années 30 et la décennie de guerre, dans le poker menteur des alliances internationales.
Jeune étudiante, sa rencontre avec l'écrivain juif Mihail Sebastian* est un tournant dans sa compréhension de l'antisémitisme féroce qui gangrène les mentalités de son pays. Elle découvre, vit, participe puis témoigne d'une époque violente aux accents nationalistes et exhume les souvenirs doux-amers de sa relation amoureuse avec l'auteur, dont des extraits de journal ou de publications étaient la trame fictive du roman.

Toujours intéressé par l'amour entres les êtres, l'intime et le tumulte des sentiments, Duroy produit un couple improbable et un beau portrait de femme dans une fiction sociale étroitement imbriquée dans la géopolitique de l'Europe, autour de la seconde guerre mondiale.
La Roumanie, écartelée entre ses anciens alliés de 14/18 et la cupidité de ses deux grands voisins offre une prise de vue inhabituelle et passionnante de la période. La chronologie est d'une grande limpidité, accompagnant une enquête sur les racines profondes de l'antisémitisme dans la population roumaine, les raisons de la haine à l'image de nombreux pays d'Europe, le journalisme de guerre et la désinformation.

Addictif, intelligent, documenté, une pertinente acuité intellectuelle et une toujours très belle fluidité d'écriture: un livre effrayant de réalisme, à ne pas rater.

*Mihail Sebastian (1907-1947) était un écrivain, dramaturge et essayiste roumain de culture juive.
Commenter  J’apprécie          438
Emprunté à la Bibliothèque des Chartreux- Issy-
17 Mars 2023

Une lecture aussi flamboyante que très, très perturbante ... propageant une vaste mauvaise conscience, quant à la tendance, de chaque humain de déraper peut-être un jour, en jugeant un autre homme comme un "étranger", et de "crier avec les loups" !...

Ma récente lecture de "L'Homme qui tremble" a été déterminante dans l'emprunt de ce texte, car en prenant connaissance des passages où Lionel Duroy explique de façon détaillée la genèse de ses écrits "non personnels", j'ai été aussitôt interpellée par ce "roman" et par "L'Hiver des hommes"....

Me voilà donc immergée dans les sombres remous de l'Histoire de la Roumanie, dans les années 1930 jusqu'à après la seconde Guerre. Période historique d'une barbarie indicible... La Roumanie, pays malmené à l'extrême, coincée entre l'Allemagne et la Russie, sans omettre l'antisémitisme exacerbé de la majorité de la population, jusqu'à certains intellectuels, tels Cioran, Mircea Eliade...Ce dont je ne me souvenais absolument pas, d'où ma consternation absolue ( et bien plus !!) .

Heureusement, d'autres figures découvertes comme ce Mihaël Sebastian ( pseudo de Iosif Hechter) , écrivain juif roumain, deuxième personnage de ce vaste roman, avec l'Héroïne centrale, Eugenia... Lumineuse et téméraire !

L'histoire est racontée par cette personnalité féminine hors du commun, pourtant née et élevée dans un milieu (pas pire qu'un autre), toutefois "antisémitite", comme l'écrasante majorité des Roumains !

Eugenia naît dans une fratrie de trois enfants : l'aîné, Stefan, déploiera un zèle acharné dans la persécution des Juifs, finira haut-gradé dans la proximité de Goebbels(avec la chute inéluctable qui s'ensuivra, avec la défaite de l'Allemagne); Eugenia, l'unique fille, et enfant du milieu, et le petit-dernier, Andreï, le frère préféré, poète et jeune homme sensible !
Les parents, inconscients de la montée de l'horreur se rangeront du côté de l'aîné, Stefan... Eugenia, engluée dans cette atmosphère délétère, va prendre conscience de cette intoxication mentale grâce à son professeur de Lettres, Irina (communiste engagée et authentique) , qui n'hésite pas à inviter, en dépit du danger, un écrivain juif pour débattre avec ses élèves, afin de leur déciller les yeux, quant à cet insupportable antisémitisme national...

Irina recueillera Eugenia chez elle, lui présentera cet écrivain juif roumain, Mihaël Sebastian, dont elle tombera éperdument amoureuse... Lui, restant obsédé par un Amour impossible et l'ECRITURE...

Eugenia partagera par périodes, sa vie, son quotidien; elle continuera à l'aimer, l'admirer, le protéger tout en poursuivant son chemin et son évolution intellectuelle et politique , à travers sa profession de " Journaliste"...aux quatre coins de la Roumanie...
C'est ainsi qu'elle devra se rendre dans sa ville natale, Jassy... où elle devra rendre compte de l'indicible : le "Pogrom de Jassy" ( 28 juin-6 juillet 1941), qui fit 13.500 de morts !

Je me permets d'intercaller un extrait très explicite du texte le plus connu de cet écrivain, Mihaël Sebastian...Le roman de Lionel Duroy est d'ailleurs "illustré" , tout le long de cette narration, d'extraits, soit de ce texte (ci-dessus cité), soit de son Journal...

"(*Citation prolongée d'un extrait de " Depuis deux mille ans" de Mihail Sebastian)

Quant à moi, avais-je pensé, tandis qu'Irina Costinas partait dans des explications de plus en plus obscures, ce qui m'a troublée dans " Depuis deux mille ans" c'est d'être précipitée dans la tête d'un juif, de devoir soudain regarder le monde avec les yeux d'un juif.J 'avais souligné un passage à cet égard, me demandant quelle question je pourrais bien poser à M.Sebastian après l'avoir lu à haute voix, et pendant que notre professeur parlait je le relis discrètement :

"(....) Pourquoi est-il si facile, dans une rue roumaine , de crier " A mort!" sans que personne daigne tourner la tête ? La mort, me semble-t-il, est tout de même une chose assez sérieuse. Un chien écrasé sous les roues d'une auto, cela suffit déjà pour un instant de silence.Si quelqu'un s'installait à un carrefour pour scander, par exemple, " Mort aux hérissons !", je suppose que les passants montreraient un minimum d'étonnement.
Réflexion faite, ce qui est grave, ce n'est pas que trois gars puissent se poster à un coin de rue pour hurler " Mort aux youpins!", mais que leur cri puisse passer inaperçu, banal comme la cloche d'un tramway."

Récits insupportables de ce "pogrom", de ces déferlements de barbarie et d'abjection. Fort heureusement , dans cette "nuit interminable", restent vaillantes les lumières de ces intellectuels, écrivains, journalistes dissidents, risquant leur peau, à chaque instant, dont les femmes, se révèlent aussi immensément combattives comme cette Irina, professeure, risquant son existence pour ouvrir les yeux de ses élèves, et de son élève préférée,Eugenia, devenue sa "disciple inconditionnelle"...

Eugenia, journaliste exigeante, protégeant jusque chez elle un écrivain juif, puis s'engageant dans la Résistance....puis revenant deux années après le massacre de Jassy, pour rendre compte plus précisément et plus profondément, de cet" indicible", en abordant de façon plus subtile mais aussi plus complexe son rôle journalistique : aller interroger , en tentant de se mettre à distance, les "bourreaux" ( militaires, milice, soldats, voisins, population civile)...

[J'allais oublier une part non négligeable et subtile de cette narration : la présence et le travail détaillé de l'écrivain- reporter italien, Curzio Malaparte... à la personnalité des plus complexes et déroutantes ! ]

Lecture des plus vibrantes et "grandioses", même si très , très éprouvante... ; texte-"pépite" de par les faits relatés...la somme d'informations, contenue, éclairés par l'énergie et la rage d'Eugenia ,magnifique portrait féminin... maintenant l'Espoir ...et la Flamme dans l'humain...
Pour cela, Eugenia, remet en cause vigoureusement son métier de "Journaliste" . le Journalisme, ce n'est pas seulement relater des faits... Il faut aller plus loin... pou éveiller les consciences et changer les choses !

Un grand livre,d'une sombre densité, inconfortable et dérangeant... ! Nous ne serons pas près d'oublier Eugenia... Merci à Lionel Duroy, pour cette "impressionnante lecture"...
Commenter  J’apprécie          394
C'est en Roumanie, dans les années 1935 à 1945, que Lionel Duroy a situé son dernier roman, Eugénia. La construction de l'ouvrage est ingénieuse, audacieuse, sophistiquée, mais nébuleuse au premier abord. Il m'a fallu un certain temps pour m'y sentir à l'aise, car pendant une bonne centaine de pages (sur cinq cents), je me suis interrogé sur l'objet et le sens que l'auteur avait voulu lui donner.

S'agit-il, me suis-je demandé, d'une monographie sur l'écrivain juif Mihail Sebastian, mort brutalement à Bucarest en 1945, aujourd'hui tombé dans l'oubli ? N'est-ce pas plutôt une fiction romanesque, l'histoire d'une longue et épisodique liaison amoureuse entre ce même écrivain et Eugénia, la jeune femme imaginée par Lionel Duroy pour incarner son livre ? On peut aussi y voir une chronique politique des années trente en Europe, observée depuis Bucarest, où l'exacerbation du nationalisme conduira la Roumanie à une alliance exaltée avec l'Allemagne nazie, sous l'oeil bienveillant d'intellectuels de renom comme Mircea Eliade et Emil Cioran, auteurs de propos antisémites on ne peut plus clairs.

Au-delà de ce contenu déjà fourni, le livre dépeint la vie quotidienne dans le pays, caractérisée par l'antisémitisme de ses habitants. Un antisémitisme viscéral, obsessionnel, omniprésent dans la moindre conversation, où chacun vomit les youpins, les youtres, où tous trouvent normal de voir des Juifs se faire tabasser au coin de la rue, au hasard des rencontres et des rapports de force. Un antisémitisme tellement primaire que j'ai un moment pensé à une exagération de l'auteur !...

Mais les faits ne mentent pas. À Jassy, ville natale d'Eugénia, la tension monte, effrayante, jusqu'à l'explosion. En juin 1941, juste après la rupture du pacte germano-soviétique, se produit l'événement central de l'ouvrage, le pogrom de Jassy. Un massacre d'une ampleur et d'une violence sans précédent, puisque treize mille Juifs sont tués en deux ou trois jours, sous le prétexte fallacieux qu'ils allaient livrer la Roumanie aux Russes. L'oeuvre de soldats nazis ? de milices nationalistes d'extrême-droite ? Que nenni ! Ce sont les braves gens du quartier, qui massacrent leurs voisins juifs avec lesquels ils avaient l'habitude de converser et de commercer, dans une impulsion de sauvagerie qui fit dire à un intellectuel témoin, que ce furent « les journées les plus bestiales de l'histoire de l'humanité ». Des descriptions insoutenables et absolument révoltantes, évoquées dès 1944 dans Kaputt, un roman de l'écrivain italien Malaparte, témoin trouble et lucide de l'époque.

Selon Lionel Duroy, son livre consacre l'émergence d'une conscience. Pas la sienne ! Ses preuves d'humanité sont établies depuis longtemps, à l'image de ses enquêtes et de ses écrits sur d'autres crimes de guerre, captés courageusement au plus près des criminels. Car pour lui, seule l'écoute des auteurs de crimes peut permettre d'en comprendre la gestation, tandis que la parole des victimes suscite émotion, compassion et colère, mais n'explique rien.

La conscience qui émerge est celle d'une jeune femme, la narratrice et héroïne de l'ouvrage, Eugénia, miroir féminin de l'auteur, issue comme lui d'une famille où l'on n'aimait pas les Juifs. Eugénia ouvrira peu peu les yeux sur l'absurdité de l'antisémitisme et sur ses risques de dérives barbares. Elle entrera en résistance tout en projetant d'immortaliser par l'écriture ce qu'elle aura vu et compris.

Malheureusement, une fois le calme revenu, les bouches sont closes, les témoins introuvables, le souvenir du pogrom, effacé. « Il y a eu quelques violences, dira-t-on, mais vous savez, c'était la guerre, un grand malheur pour tout le monde !... » Circulez, y a rien à voir !... Les chiffres parlent, pourtant. A Jassy, en 1930, cent mille habitants, dont plus de trente mille Juifs. Aujourd'hui trois cent mille habitants, dont quelques dizaines de Juifs ! On observe la même chose dans la plupart des pays de l'Est, où la population juive a quasiment disparu entre 1930 et 1950, et où les traces mêmes de son existence et de sa culture ont été effacées.

Au-delà de la performance littéraire que représente ce roman, où l'écrivain, un homme, se transpose dans un personnage de femme évoluant parmi des personnalités ayant existé, j'ai apprécié le pragmatisme de sa pensée, lorsqu'il précise que pour pouvoir témoigner d'un événement grave, il convient de lui survivre, par tous moyens. Il rappelle aussi que nous pouvons aimer nos proches, même s'ils professent des idées aux antipodes des nôtres. Un bel exemple de conscience.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
Commenter  J’apprécie          378




Lecteurs (589) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3169 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}