Emprunté à la Bibliothèque des Chartreux- Issy-
17 Mars 2023
Une lecture aussi flamboyante que très, très perturbante ... propageant une vaste mauvaise conscience, quant à la tendance, de chaque humain de déraper peut-être un jour, en jugeant un autre homme comme un "étranger", et de "crier avec les loups" !...
Ma récente lecture de "
L'Homme qui tremble" a été déterminante dans l'emprunt de ce texte, car en prenant connaissance des passages où
Lionel Duroy explique de façon détaillée la genèse de ses écrits "non personnels", j'ai été aussitôt interpellée par ce "roman" et par "
L'Hiver des hommes"....
Me voilà donc immergée dans les sombres remous de l'Histoire de la Roumanie, dans les années 1930 jusqu'à après la seconde Guerre. Période historique d'une barbarie indicible... La Roumanie, pays malmené à l'extrême, coincée entre l'Allemagne et la Russie, sans omettre l'antisémitisme exacerbé de la majorité de la population, jusqu'à certains intellectuels, tels
Cioran,
Mircea Eliade...Ce dont je ne me souvenais absolument pas, d'où ma consternation absolue ( et bien plus !!) .
Heureusement, d'autres figures découvertes comme ce Mihaël Sebastian ( pseudo de Iosif Hechter) , écrivain juif roumain, deuxième personnage de ce vaste roman, avec l'Héroïne centrale,
Eugenia... Lumineuse et téméraire !
L'histoire est racontée par cette personnalité féminine hors du commun, pourtant née et élevée dans un milieu (pas pire qu'un autre), toutefois "antisémitite", comme l'écrasante majorité des Roumains !
Eugenia naît dans une fratrie de trois enfants : l'aîné, Stefan, déploiera un zèle acharné dans la persécution des Juifs, finira haut-gradé dans la proximité de Goebbels(avec la chute inéluctable qui s'ensuivra, avec la défaite de l'Allemagne);
Eugenia, l'unique fille, et enfant du milieu, et le petit-dernier, Andreï, le frère préféré, poète et jeune homme sensible !
Les parents, inconscients de la montée de l'horreur se rangeront du côté de l'aîné, Stefan...
Eugenia, engluée dans cette atmosphère délétère, va prendre conscience de cette intoxication mentale grâce à son professeur de Lettres, Irina (communiste engagée et authentique) , qui n'hésite pas à inviter, en dépit du danger, un écrivain juif pour débattre avec ses élèves, afin de leur déciller les yeux, quant à cet insupportable antisémitisme national...
Irina recueillera
Eugenia chez elle, lui présentera cet écrivain juif roumain, Mihaël Sebastian, dont elle tombera éperdument amoureuse... Lui, restant obsédé par un Amour impossible et l'ECRITURE...
Eugenia partagera par périodes, sa vie, son quotidien; elle continuera à l'aimer, l'admirer, le protéger tout en poursuivant son chemin et son évolution intellectuelle et politique , à travers sa profession de " Journaliste"...aux quatre coins de la Roumanie...
C'est ainsi qu'elle devra se rendre dans sa ville natale, Jassy... où elle devra rendre compte de l'indicible : le "Pogrom de Jassy" ( 28 juin-6 juillet 1941), qui fit 13.500 de morts !
Je me permets d'intercaller un extrait très explicite du texte le plus connu de cet écrivain, Mihaël Sebastian...Le roman de
Lionel Duroy est d'ailleurs "illustré" , tout le long de cette narration, d'extraits, soit de ce texte (ci-dessus cité), soit de son Journal...
"(*Citation prolongée d'un extrait de "
Depuis deux mille ans" de
Mihail Sebastian)
Quant à moi, avais-je pensé, tandis qu'Irina Costinas partait dans des explications de plus en plus obscures, ce qui m'a troublée dans "
Depuis deux mille ans" c'est d'être précipitée dans la tête d'un juif, de devoir soudain regarder le monde avec les yeux d'un juif.J 'avais souligné un passage à cet égard, me demandant quelle question je pourrais bien poser à M.Sebastian après l'avoir lu à haute voix, et pendant que notre professeur parlait je le relis discrètement :
"(....) Pourquoi est-il si facile, dans une rue roumaine , de crier " A mort!" sans que personne daigne tourner la tête ? La mort, me semble-t-il, est tout de même une chose assez sérieuse. Un chien écrasé sous les roues d'une auto, cela suffit déjà pour un instant de silence.Si quelqu'un s'installait à un carrefour pour scander, par exemple, " Mort aux hérissons !", je suppose que les passants montreraient un minimum d'étonnement.
Réflexion faite, ce qui est grave, ce n'est pas que trois gars puissent se poster à un coin de rue pour hurler " Mort aux youpins!", mais que leur cri puisse passer inaperçu, banal comme la cloche d'un tramway."
Récits insupportables de ce "pogrom", de ces déferlements de barbarie et d'abjection. Fort heureusement , dans cette "nuit interminable", restent vaillantes les lumières de ces intellectuels, écrivains, journalistes dissidents, risquant leur peau, à chaque instant, dont les femmes, se révèlent aussi immensément combattives comme cette Irina, professeure, risquant son existence pour ouvrir les yeux de ses élèves, et de son élève préférée,
Eugenia, devenue sa "disciple inconditionnelle"...
Eugenia, journaliste exigeante, protégeant jusque chez elle un écrivain juif, puis s'engageant dans la Résistance....puis revenant deux années après le massacre de Jassy, pour rendre compte plus précisément et plus profondément, de cet" indicible", en abordant de façon plus subtile mais aussi plus complexe son rôle journalistique : aller interroger , en tentant de se mettre à distance, les "bourreaux" ( militaires, milice, soldats, voisins, population civile)...
[J'allais oublier une part non négligeable et subtile de cette narration : la présence et le travail détaillé de l'écrivain- reporter italien,
Curzio Malaparte... à la personnalité des plus complexes et déroutantes ! ]
Lecture des plus vibrantes et "grandioses", même si très , très éprouvante... ; texte-"pépite" de par les faits relatés...la somme d'informations, contenue, éclairés par l'énergie et la rage d'
Eugenia ,magnifique portrait féminin... maintenant l'Espoir ...et la Flamme dans l'humain...
Pour cela,
Eugenia, remet en cause vigoureusement son métier de "Journaliste" . le Journalisme, ce n'est pas seulement relater des faits... Il faut aller plus loin... pou éveiller les consciences et changer les choses !
Un grand livre,d'une sombre densité, inconfortable et dérangeant... ! Nous ne serons pas près d'oublier
Eugenia... Merci à
Lionel Duroy, pour cette "impressionnante lecture"...