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Critique de syannelle



J'ai dévoré ce livre qui est pourtant assez conséquent. Cela faisait longtemps qu'il me faisait de l'oeil et j'ai finalement craqué. C'est un réquisitoire de l'auteur contre sa mère, une manière pour lui d'exprimer ce qu'il a ressenti au cours de son enfance et de son adolescence chaotique. Voici un petit compte-rendu de cette histoire.

Théophile Dunoyer de Pranassac, le baron Dunoyer de Pranassac, rencontre Simone Verbois pendant la seconde guerre mondiale. Ils ont une vingtaine d'année et appartiennent à des familles très différentes, mais qui partagent néanmoins des idées d'extrême-droite, ainsi qu'une foi catholique indéfectible. Les Dunoyer de Pranassac sont nobles mais désargentés, les Verbois ne sont pas nobles, mais Simone aime l'argent. Ils se marient le jour du débarquement, le 6 juin 1944, et auront 11 enfants, dogme catholique oblige. Après quelques années passées en Tunisie, les Dunoyer reviennent en France en 1957, et s'installent à Neuilly, car rien ne se refuse à la "Baronne" Simone, comme vont commencer à la surnommer ses enfants et son mari.

"A l'origine de ma venue au monde, de notre venue au monde à tous les onze, il y a l'amour que se sont déclarés nos parents. Toutes les souffrances qu'ils se sont infligées par la suite, toutes les horreurs dont nous avons été témoins ne peuvent effacer les mots tendres qu'ils ont échangés durant l'hiver 1944."

La famille s'installe donc boulevard Richard-Wallace à Neuilly, emploie une "femme à tout faire" qui longe les murs pour arriver au salon et qui vit dans la cuisine, de peur de croiser "la baronne". Toto (le surnom peu flatteur donné par Simone à Théophile) dépense sans compter pour faire plaisir à sa femme et satisfaire ses caprices d'enfant gâtée. La famille s'agrandit, le septième enfant arrive. L'auteur écrit: "J'ai conscience que nous courons à notre perte avec tous ces enfants." de sa mère, il rajoute: "Notre mère, que nous découvrirons bientôt si fragile dans l'épreuve, si vulnérable, et pour ainsi dire si peu de chose, porte ici très haut notre chapeau. Sa certitude d'être à sa place dans ce triangle doré de Neuilly, sa conviction d'être issue d'une race bien supérieure aux autres, lui permet de considérer toutes ses voisines comme ses égales (...)" (p.126)

Et puis un jour, en 1959, les huissiers débarquent, et pas à l'improviste, comme pourrait le croire Simone, à qui Toto a bien soigneusement caché les mises en demeures. Cela fait des mois qu'il ne paye plus le loyer de cet appartement qu'il ne peut pas assumer, vivant au-dessus de ses moyens. Les "petits arrangements" qui lui permettaient jusque là de tenir ne suffisent plus. La famille est expulsée, et relogée à Rueil-Malmaison, au domaine de la Côte noire, où ils vont rester plusieurs années. L'électricité sera parfois coupée pour défaut de paiement, William (le prénom derrière lequel se cache Lionel Duroy) et certains de ses frères seront déscolarisés pendant plusieurs années car leur collège privé est trop cher, et cela sera caché à Simone, trop fragile, selon Toto, pour supporter la situation. Finalement, en 1962, la famille s'installera dans une banlieue plus agréable, à Vaucresson, sans que cela ne satisfasse la Baronne.

"Peut-être est-ce la conscience de leur inconscience qui, sur le moment, m'a fermé les yeux." déclare l'auteur. Tout au long du livre, on découvre un couple qui joue à s'humilier ou à se rabaisser. On sent bien que quelque chose ne tourne pas rond, que Simone déteste ce que représente son mari, qu'elle ne supporte pas la famille de Théophile, que seuls les siens et son sacro-saint père Henry avait la grâce et l'élégance. William, lui, est un Dunoyer de Pranassac, pas un Verbois. Il n'est donc pas digne d'elle. Son mari non plus. Ne dit-elle pas de Toto qu'il est un "monstre" et que tous les malheurs qui leur arrivent sont de sa faute. Et pourtant, les enfants se suivent à un an d'intervalle, la contraception n'est pas à l'ordre du jour, les époux aiment se chamailler et se réconcilier sous la couette. Inconscience? Insouciance? Jeu?
Quoi qu'il en soit, les enfants en souffrent, le narrateur, en tout cas, s'interroge sur son père et sa "servilité".
"Pourquoi s'humilie t-il? Puisqu'il sait qu'elle va même passer, certains jours, sans même nous jeter un coup d'oeil, (...) comme si nous ne comptions pas plus à ses yeux que des cafards."

Le temps passe, nous survolons les époques. Ce qui est d'autant plus intéressant dans ce livre, c'est que nous apprenons des choses sur la seconde guerre mondiale vu du camp Pétainiste (les familles paternelle et maternelle de Lionel Duroy l'étaient), la honte qu'il a ressenti autour de ses vingt ans en réalisant ce en quoi avaient cru les siens, mais nous apprenons aussi beaucoup sur la guerre d'Algérie, l'OAS, l'attentat contre De Gaulle au Petit-Clamart. Plus tard dans sa vie, Lionel Duroy- William dans le livre- deviendra journaliste à Libération, et partira enquêter sur les crimes commis par les militaires français en Algérie, dont un certain Lieutenant Jean-Marie le Pen qui a torturé pendant la guerre les résistants Algériens. Grâce à son enquête, celui-ci aura droit à un procès au milieu des années 80. On apprend aussi beaucoup sur la crise qui a eu lieu en Nouvelle-Calédonie en 1988, Jean-Marie Djibaou et la grotte d'Ouvéa. Ces évènements ne voulaient pas dire grand-chose pour moi, car je n'avais à l'époque qu'une dizaine d'années. On apprend beaucoup sur L Histoire en général, notre histoire et celle d'autres pays.

Pour revenir sur le texte et conclure.

Le temps passe, le narrateur évoque sa vie, son mariage, la naissance de ses enfants, son travail de journaliste. Après plusieurs années, il projette d'écrire ses souvenirs et toute l'amertume qu'il garde contre sa mère. Il raconte l'écriture de ce livre. Il évoque le moment où il doit prendre la décision de le publier ou non. Il décide de le publier, contre l'avis des siens, qui pensent que cela tuera ses parents de le faire. Certains s'opposent catégoriquement, menaçant d'exclure le narrateur de la famille. Et pourtant le livre est publié et existe. Il s'appelle " Priez pour nous". Lionel Duroy s'est mis à dos tous les siens en publiant ce texte, et son mariage a sombré. Pourtant, tous ses frères et soeurs avaient vécu la même chose. Ils n'avaient néanmoins pas besoin d'exprimer leur chagrin de cette façon.

Que penser de la violence des sentiments du narrateur envers Simone, sa mère?

Par moment, j'avais l'impression que pour mieux "guérir", William-Lionel aurait peut-être dû lui pardonner. A de rares occasions, on les voit se rapprocher, s'aimer comme un fils et sa mère, puis on les voit à nouveau s'éloigner. On se dit quel dommage. Il est vrai que Simone est fatigante, qu'elle se plaint sans cesse, qu'elle est vénale et égocentrique, que Toto est soumis et parfois humilié, que les décisions prises par ses parents n'étaient pas raisonnables, mais on se dit aussi que la haine, la violence du ressentiment est vraiment trop forte, presque disproportionnée. En fait, j'ai autant souffert pour le narrateur que pour ses parents.

Ce livre parle bien de chagrin, mais aussi des choix qui se sont imposés à l'auteur pour pouvoir se construire. L'écriture des souvenirs était nécessaire, et ses frères et soeurs auraient pu le comprendre. Je trouve son parcours courageux et sa décision saine. En tout cas, je peux comprendre sa réaction et le besoin de témoigner, de s'opposer, de ne plus se taire et se rabaisser, comme son père l'avait fait, d'après lui, à tort ou à raison, toute sa vie.
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