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Critique de Patsales


Le futur naturaliste Gérald Durrell décrit dans le premier tome de son autobiographie 5 ans d'une vie paradisiaque à Corfou, quand sa mère et toute la fratrie fuient la sinistre Albion pour des cieux toujours bleus. Gérald a 10 ans au début du livre et, pour lui, faire l'école buissonnière prend tout son sens: le nez au ras du sol, il découvre émerveillé la finesse ouatée des gonds que tissent les mygales pour fermer leur demeure souterraine ; il capture des serpents d'eau en repérant leur corps glissants sous ses orteils; adopte un scorpion, mère de famille nombreuse, dont les bébés minuscules se cramponnent sur son dos; débusque un petit duc couvert de son duvet de bébé, « semblable à une grosse touffe de pissenlit en graines pourvue de grands yeux d'or »…
Absorbée par les aventures édéniques de Gérald, il m'a bien fallu 50 pages pour réaliser que Larry, le grand frère rendu hystérique par la propension du benjamin à ramener les bestioles les moins aimables dans tous les recoins de la maison, était Lawrence Durrell himself, l'auteur du quatuor d'Alexandrie, LE écrivain sérieux de la famille. Gérald ne se contente donc pas de décrire le paradis terrestre de son enfance, il nous sert par la même occasion une resucée comique de Caïn et Abel. Non content de décrire son frère comme un insupportable tyran domestique, il l'attaque sur son terrain: l'écriture.
Et ce roman est fabuleusement bien écrit. On y trouve le fameux humour anglais que le titre faisait espérer, et une famille de cinglés qu'une mère imperturbable parvient à contenir dans les limites de la civilisation (Rule Britannia). Mais aussi le picaresque du roman de l'enfant rebelle, entre Tom Sawyer et Mowgli. Et enfin la poésie naturaliste, sensuelle et concrète, qui donne envie de courir tout nu sur des rochers brûlants avec son fox-terrier sur les talons, en levant bien haut les jambes pour ne rien manquer de la vie grouillante: « Les oursins, pareils à des marrons d'Inde bruns et luisants dans leur coque, leurs piquants orientés comme l'aiguille d'une boussole vers le danger possible, se rassemblaient en groupes dans les interstices pleins d'ombres parmi les herbes. Les anémones de mer s'accrochaient aux rochers, grasses et brillantes, agitant leurs tentacules en une sorte de danse orientale afin d'attraper les crevettes qui passaient avec de rapides coups de queue, aussi transparentes que le verre. En fouillant, sous l'eau, dans les sombres cavernes, je dénichai un bébé pieuvre qui s'installa sur le rocher comme une tête de méduse, rougit, prit ensuite une couleur de vase et me considéra avec des yeux tristes sous le dôme chauve de sa tête »
L'équilibre improbable du livre vient d'une inversion constante : la famille Durrell, caricaturale, fonctionne selon des lois désopilantes mais attendues et des caractères stéréotypés. Tandis que les animaux déploient toute une palette de comportements, et composent une comédie plus humaine que celle des hommes, fascinants, inattendus, cruels et goguenards.
Tout ça pour dire que j'ai beaucoup plus envie de terminer la trilogie de Corfou que de relire le Quatuor d'Alexandrie.
Abel vainqueur de Caïn par K.O.
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