AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,5

sur 111 notes
5
6 avis
4
8 avis
3
8 avis
2
2 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Les acrobates Anton, Nino et Anna préparent un numéro de barre russe pour le concours international de cirque d'Oulan-Oude, en Sibérie orientale. La narratrice Nathalie, une jeune costumière française, les rejoint à Vladivostok où, pendant deux mois, elle assiste à leur entraînement, dans l'enceinte d'un cirque déserté entre deux saisons. A l'approche de la compétition, tous se rendent en plusieurs jours de train jusqu'au lieu de la rencontre…


Il ne se passe pas grand-chose dans cette histoire qui pourrait presque, à première vue, laisser la frustration d'un goût de trop peu. C'est que tout le talent d'Elisa Shua Dusapin se retrouve ici contenu dans la suggestion et le non-dit, dans la saisie d'impressions fugaces où l'essentiel se laisse deviner sans jamais se dévoiler. Nathalie, dans un moment suspendu de sa vie, une parenthèse dépaysante qui exacerbe sa sensibilité aux mille détails d'un environnement qui la désarçonne, se retrouve observatrice, comme au travers de la déchirure momentanée d'un rideau, de l'envers du décor circassien, en compagnie de personnages endurcis qui ont appris à cacher soigneusement leurs failles. Obstinément tendus vers la perfection d'un art auquel ils ont tout sacrifié et pour lequel ils acceptent de risquer quotidiennement leur vie, Anton, Nino et Anna masquent sous leur fierté brusque et taciturne, sous leurs costumes de lumière et sous leurs sourires de parade, les drames, la douleur et la peur qu'ils taisent au fond de leur chair et de leur âme.


Renforcé par le lugubre délabrement du vieux bâtiment, tout droit sorti de l'époque soviétique, qui les héberge, et par les dures conditions climatiques de l'hiver sibérien qu'ils traversent interminablement en train, un parfum de tristesse et de nostalgie imprègne le texte. L'on est frappé de l'impitoyable contraste entre, d'un côté, la vie sombre, précaire et spartiate, et de l'autre, la brillante renommée, de ces athlètes au sommet de leur art. Et l'on reste le coeur serré face à l'indéfectible solitude d'êtres qu'une discipline de fer a, depuis le plus jeune âge, contraints d'oublier leurs sentiments et leurs fragilités.


Ce troisième roman de l'auteur n'a sans doute pas le pouvoir de séduction immédiat des deux précédents. Mais il distille un charme qui, pour être plus discret, n'en cesse pas moins de vous imprégner bien après la dernière page. Surtout, il vous laisse impressionné par l'extraordinaire puissance de suggestion qui investit ses mots.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          804
Est-ce que vous aimiez les sorties au cirque quand vous étiez enfants ? Si oui, qu'est-ce qui vous fascinait autant ? Je ne parle pas du cirque à la télé, qu'on regardait de loin derrière nos écrans, où tout paraissait lisse et facile pour ces presque marionnettes en habit de lumière. Mais de ces sorties sous chapiteau où l'on voyait, sentait et ressentait en vrai des choses qui nous paraissaient incroyables. J'avais toujours si peur que les artistes chutent, ou se fasse dévorer, que j'essayais toujours d'imaginer comment était la vie en coulisse, les entrainements et les astuces pour minimiser les risques, et si cette vie valait le coup une fois ôté les habits d'apparat, de prendre tous ces risques pour elle. Dans cette histoire, Elisa Shua Dusapin raconte cet autre côté du miroir, avant l'habillage. Et pour cause !


Sa narratrice, Nathalie, est costumière. Elle débarque dans l'enceinte d'un cirque permanent à Vladivostok, embauchée par Léon pour réaliser les costumes de scène d'Anna, Nino et Anton. Nous les rencontrons donc presque à nu, sans leurs costumes de scène. Ce trio s'entraine à la barre russe, spectacle oscillant entre la poutre et le trampoline. Comme très souvent les numéros de cirque, et ceux d'équilibristes en particulier, le danger est omniprésent. L'exercice requiert force, concentration, équilibre… Et surtout une grande confiance entre chaque membre de l'équipe, particulièrement entre les deux porteurs Nino et Anton, et Anna l'étoile filante.


L'objectif de Nathalie, qui nous fait pénétrer ce monde mystérieux, est de créer un costume qui raconte une histoire avec le spectacle, qui mette visuellement en valeur le rôle et les mouvements des personnages, tout en permettant la souplesse de mouvement nécessaire à l'exploit de réaliser quatre sauts périlleux d'affilée… Car l'équipe doit bientôt assurer un grand show, et ils ne veulent plus d'accident, comme celui précédemment arrivé à un dénommé Igor. Alors pour bien capturer l'essence de l'exercice, du spectacle, et de chaque personnalité, Nathalie se rapproche au maximum du monde du cirque qu'elle ne connaît pas, de la vie de ces artistes, de la difficulté et du stress de leur métier, mais sans modifier leur fragile équilibre, leur entente, leur cohabitation. Elle tente de créer une interaction entre la costumière et ses modèles.


Chacun tente de jouer le jeu sans trahir sa personnalité, en se livrant pudiquement. Une intimité se crée dans les bâtiments désertés pour l'entre-deux saisons, dans les odeurs de fauves qui ont imprégné les murs désormais vides. On assiste en coulisse aux répétitions, des liens se nouent, intenses comme tout ce qui est bref. Car les gens du cirque sont des nomades, leur coeur a peu d'attaches et pourtant, Elisa Shua Dusapin parvient en moins de deux-cents pages à faire naître un lien entre eux et nous. Si les relations durables sont traditionnellement valorisées, elle démontre et rappelle que les émotions peuvent naître de chaque rencontre, même des plus brèves. C'est un récit intimiste tout en douceur, que j'ai découvert grâce à Sachka ; les coulisses d'un monde de sueur et de paillettes, en voie d'extinction.


« Je dis que je suis contente d'être là, de contribuer à donner un peu de poésie, du rêve que vient chercher leur public…
- Tu trouves ? m'interrompt Nino.
Il continue avec sérieux :
- Moi je pense que le public vient surtout pour voir si ça fonctionne. Jusqu'où on tient. On peut dire qu'on veut du rêve mais en vrai, c'est la faille qu'on espère. En voir chez les autres, ça rassure. »
Commenter  J’apprécie          5318
Je ne connaissais pas Elisa Shua Dusapin, il y a de cela quelques semaines. Cette idée de lecture m'est venue suite à la superbe critique de Sachka, que je remercie pour ces quelques soirées en apesanteur.
Troisième roman de l'auteure, ce récit marque par l'originalité de son thème, l'auteure ayant choisi pour cadre l'univers du cirque.
*
Vladisvostok, de nos jours
La saison s'achève.
Le cirque se vide de ses artistes, de ses spectateurs.
Les lumières s'éteignent, les bruits ambiants laissent place au silence, au froid et à l'hiver qui approche doucement sans faire de bruit et enveloppe le dôme du chapiteau d'un manteau de neige.

Seules, les odeurs animales puissantes persistent et imprègnent encore les lieux.
Bien que les animaux aient disparu du cirque depuis plusieurs années, leur odeur tenace les rend chaque jour présent.
« Anna relève la tête, dit que c'est comme au zoo, les cages des fauves qui sentent encore après leur mort, histoire de rappeler qu'ils n'ont jamais connu la liberté. »
*
Seuls, un trio d'artistes de cirque reste et prépare un nouveau spectacle de Barre russe en vue d'un concours international qui se déroulera en Sibérie, à Oulan-Oude dans quelques semaines.
Cette discipline acrobatique consiste pour le voltigeur à accomplir sans harnais de sécurité des figures extrêmement périlleuses sur une barre flexible maintenue par deux porteurs. Leur numéro veut s'inscrire dans la performance, mais également dans une narration poétique.
*
Ce qui m'a plu dans ce roman, c'est l'atmosphère qui s'en dégage, jeux de contraste et d'éclairage.

Sous les feux des projecteurs, les artistes entrent en piste et évoluent avec adresse sous les yeux émerveillés des spectateurs qui en réclament toujours plus.
« …donner un peu de poésie, du rêve que vient chercher leur public… »

La lumière est vive, joyeuse, exubérante, vivante.
« Au coeur de la piste, enroulée sur elle-même, la tête sous le ventre, la femme fait onduler ses membres comme une anémone de mer. »

Elégance, souplesse, légèreté, tels un oiseau voltigeant dans le ciel.
La grâce et la fragilité de l'instant.
« Tu sais, quand je pense à tous ces petits corps suspendus entre le ciel et la terre, ça me fait sourire de me dire que parmi eux, il y en a pour qui se mettre à voler, c'est d'abord tomber. »

Fin du spectacle, le rideau se baisse, le cirque se vide, passant de la lumière à l'obscurité, des bruits de fête au calme. Les sourires faux et les attitudes détendues disparaissent.
Le silence domine.
Dans l'intimité, loin des regards du public, les artistes s'entraînent, vie de routine, de maîtrise de soi, de sacrifices et de peur. Les liens entre les artistes doivent être intenses, indéfectibles, leur confiance absolue.
Le risque fait partie de leur vie, leur sécurité et leur vie dépendent les uns des autres.
La tension palpable, permanente monte insidieusement. le lecteur ressent leur fragilité, leurs rancoeurs, le poids des non-dits.

Les sentiments qui m'ont dominé tout au long du roman sont des sentiments de vide, de perte, de malaise, de solitude aussi. Mais il s'en dégage également de la douceur, de la poésie et de l'harmonie.
« Anna remonte sur la barre. Les mouvements s'harmonisent. Au coeur de la piste encerclée de velours rouge, on dirait un diaphragme. Pulsations rythmées par Anna comme un souffle qui cherche à sortir mais retourne aux poumons. »
*
A la fois sombre, opaque, aérienne et délicate, l'écriture de Elisa Shua Dusapin trouve un parfait équilibre entre artifice, légèreté et profondeur des sentiments, réalité et illusion, poésie et drames.
Le lecteur évolue dans un univers étonnant et étrange où l'acrobate risque sa vie.
Le goût du spectacle et du risque, le plaisir du public l'emportent sur la frayeur et le danger.
La tension monte au fil des pages sans comprendre où l'auteure veut nous mener. Je n'avais pas envisagé ce dénouement et c'est une bonne surprise.
*
Ce court récit de moins de 200 pages est une très belle découverte sur les rapports humains et notre incapacité à nous dévoiler totalement.
Commenter  J’apprécie          4115
Les acrobates, la couturière et le risque

Après la Corée et le Japon, Elisa Shua Dusapin nous entraîne dans l'Extrême-Orient russe pour son troisième roman, dans les pas d'une jeune femme chargée de réaliser les costumes des acrobates qui vont jouer leur vie. Haletant!

Vous avez sans doute vous-mêmes déjà constaté la chose. Lorsque vous arrivez dans un endroit inconnu ou que vous rejoignez une nouvelle affectation, vous vous rendez compte de détails auxquels les autochtones ne prêtent plus attention, vous découvrez des faits qui vous intriguent, alors qu'ils semblent parfaitement acceptés par tout le monde. Depuis son premier roman, Hiver à Sokcho, Elisa Shua Dusapin joue à la perfection ce rôle d'observatrice hypersensible, capable d'une phrase de rendre une atmosphère, de décrire l'originalité d'un lieu. Après la Corée du Sud et le Japon, la voilà qui se rapproche un tout petit peu de l'Europe en situant son troisième roman à Vladivostok.
C'est dans ce grand port de l'Extrême-Orient russe que débarque la narratrice. Elle s'est vue confier une mission de courte durée, réaliser des costumes pour les acrobates du Vladivostok Circus. Ces derniers se préparent au concours international d'Oulan-Oude, qui peut leur assurer une carrière internationale. À son arrivée, seules quelques représentations sont encore programmées avant la trêve hivernale. L'occasion de découvrir la prestation d'Anna, Anton et Nino, très spectaculaire: «Le numéro à la barre russe ouvre le second acte. Je reconnais les porteurs que j'ai vus sur mon téléphone. Anton et Nino. Ils entrent en habit de corsaire. Anna dans une robe déchirée. La captive qui cherche à se libérer. Ils alternent entre figures sur la barre et pas chorégraphiés au sol. L'ensemble est en décalage avec l'orchestre. Je ne comprends pas si la musique accélère ou s'ils sont trop lents. Anna semble devoir précipiter ses sauts pour garder le tempo. J'en suis mal à l'aise.»
Au fil des jours, et alors que le cirque est déserté, cette tension va croître, car plus la couturière va pénétrer dans l'intimité du trio et plus elle va se rendre compte des enjeux de ces répétitions. En fait, c'est leur vie qu'ils jouent. S'ils veulent être les premiers à réaliser quatre triples sauts périlleux sans descendre de la barre, ils veulent surtout assurer la pérennité d'une équipe qui ne tient plus qu'à un fil. Car Nino est âgé et ses problèmes physiques le handicapent, Anton rêve d'ailleurs et Anna est ballotée entre ses deux porteurs.
À travers le regard de la narratrice, mais aussi celui de Léon, le régisseur, le lecteur découvre ce qui se joue vraiment au fil des répétitions et de l'approche de la compétition. Un temps qui s'écoule aussi pour la narratrice, qui doit s'assurer que les costumes seront prêts en temps et en heure.
Elisa Shua Dusapin réussit admirablement à rendre cette atmosphère et le poids des responsabilités qui pèsent sur chacun des protagonistes. À l'image de ces sauts qui réclament une parfaite concentration, une synchronisation attentive des gestes, on se rend compte qu'il suffit d'une faille pour que plus rien ne tienne, pour que tout s'effondre. L'épilogue se jouera du côté d'Oulan-Oude. Il vous surprendra. Gardez toutefois en mémoire cette remarque faite à la narratrice lorsqu'elle est initiée à l'acrobatie. Ce pourrait être l'une des clés de ce récit sensible et fort: «Un bébé apprend plus vite à rester debout qu'un adulte à lâcher prise.»

Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          382
Observatrice au pair, Elisa Shua Dusapin capte l'atmosphère, l'ambiance et avec peu de mots, nous la retranscrit, nous embarque dans un quotidien presque banal, à Vladivostok, dans un cirque, entre deux saisons, où il ne se passe rien de trépidant, où la vie s'écoule lentement, plus ou moins paisiblement. Elle nous ferait presque entendre le « Froissement de taffetas, [le] crissement de tulle, [la] douceur mousseline ».

Le temps s'égrène au rythme ici des répétitions d'un trio d'athlètes à la barre russe, Anton et Nino, les porteurs, et Anna la voltigeuse. Sous le regard du directeur artistique Léon et de la costumière, Nathalie, fraîchement arrivée sur les lieux et narratrice de cette histoire.
Le regard est posé sur les risques d'un métier physiquement éprouvant, qui requière une précision, une concentration de tous les instants et une confiance absolue en ses partenaires. Un numéro dangereux car l'acrobate est sans filet. Et cette phrase qui fait sens :

« Un bébé apprend plus vite à rester debout qu'un adulte à lâcher prise. »

Il m'a fallu, contrairement à son premier roman "Hiver à Sokcho", qui m'avait saisie dès les premières pages, attendre quelques dizaines de pages avant de réellement me retrouver aux côtés d'Anna, Nino, Anton, Léon, ou encore Nathalie. Et de comprendre l'enjeu des répétitions, de cerner les responsabilités, les difficultés de chacun, leurs troubles, leurs angoisses, de réaliser à quel point le trio d'athlètes jouent leur vie en tentant l'exploit d'être les premiers à réaliser le quadruple saut lors d'une compétition à Oulan-Oude, en Sibérie. Nous sommes les témoins des liens qui se tissent entre chacun des protagonistes, des liens évitant pour certains au début, puis l'affection gagne du terrain, et la confiance indéniablement s'installe. Chacun se doit d'être à l'écoute de l'autre. Ils sont une équipe. Une équipe qui tâtonne, se cherche, qui vise les sommets, la réussite à tout prix, ou presque à tout prix. Et des personnages qui se cherchent eux-mêmes aussi d'ailleurs.

Vladivostok Circus est une parenthèse hors du temps. Elisa Shua Dusapin maîtrise l'écriture, il n'y a pas de doute. Concise, précise, poétique, élégante, gracieuse, singulière, saisissante.... Personnellement, j'en redemande. Il me reste d'ailleurs à découvrir son deuxième roman "Les Billes de Pachinko".
Lien : https://seriallectrice.blogs..
Commenter  J’apprécie          372
Élisa Shua Dusapin excelle dans l'art de rendre compte des ambiances, c'est indéniable.
D'une écriture blanche, limpide, précise, elle dit l'étrange, la tension et la douceur.
Elle parle de ceux qui, même donnés à voir en pleine lumière, transcendent l'obscurité de leur ombre mate et de leur tristesse insondable.
Eux dont le métier est d'éclairer, d'illuminer le monde de leur talent, cachent leurs douleurs et leurs errements sous un manteau d'Humanité bien trop pesant.

Dans ce troisième roman, E.S Dusapin dessine des personnages à son image, instables, mouvants, insaisissables. Et tisse autour d'eux une histoire faite de pleins et de déliés, d'absences et de présences.

Tout flotte, le temps n'existe pas, l'espace
à peine plus.
Seules les solitudes s'affrontent,
et le désespoir parfois triomphe.

Ce récit, à la fois très pur et très élégant, m'a pourtant laissée en proie à des sentiments mitigés. J'ai à la fois été saisie par la force du trait de l'autrice, l'originalité de son écriture, la puissance de son verbe épuré
et perplexe face à l'histoire qui nous est racontée. Une histoire qui n'en a que le nom et aboutissant à une fin qui, bien qu'ouverte, n'appelle aucun imaginaire à s'envoler. À vrai dire, je n'ai pas vraiment compris sa raison d'être.

Et c'est dommage car la narration ne cesse de donner naissance à des étoiles, belles et lumineuses. Mais toutes semblent appelées à mourir dans l'oeuf et s'évanouir dans le firmament. Comme si Élisa Shua Dusapin trouvait une dizaine de pépites d'or dans le lit d'une rivière et s'évertuait à les enfoncer, les unes après les autres, profondément dans la terre, après les avoir soigneusement nettoyées.

J'ai été touchée par Nathalie, Anna, Anton, Nino et Léon, leur part de mystère, leurs secrets et leurs difficultés à dire et à se dire. Mais j'aurais aimé avoir les moyens de me sentir plus proche d'eux, les savoir plus généreux, plus atteignables. Pas forcément ces êtres éthérés, froids et désarticulés semblant incapables d'exister tout simplement.

Je reconnais pourtant en Élisa Shua Dusapin une formidable styliste, une esthète de l'impression, une talentueuse maitresse de l'atmosphère, parvenant à créer un univers tout entier, d'étrangeté et de déshérences en quelques mots.
Derrière le mythique, la barre russe et les paillettes, il y a l'obscurité et le deuil et cela, elle le donne à lire et à sentir comme nul autre avant elle.

Il y a somme toute dans ce texte, court et précieux, autant d'étoiles que de nuages. Mais sans doute devons-nous admettre avoir autant besoin de pluies nourries que de nuits de pleine lune sur nos tout petits cieux.
Alors pour ce beau camaïeu de gris, merci Madame Shua Dusapin.
Lien : https://www.mespetiteschroni..
Commenter  J’apprécie          90
« A Vladivostok, dans l'enceinte désertée d'un cirque entre deux saisons, un trio s'entraîne à la barre russe. Nino pourrait être le fils d'Anton, à eux deux, ils font voler Anna. Ils se préparent au concours international d'Oulan-Oude, visent quatre triples sauts périlleux sans descendre de la barre. Si Anna ne fait pas confiance aux porteurs, elle tombe au risque de ne plus jamais se relever.
Dans l'odeur tenace d'animaux pourtant absents, la lumière se fait toujours plus pâle, et les distances s'amenuisent à mesure que le récit accélère. »



Il est des rencontres étranges et cela a commencé avec celle de la couverture, du titre et de mon regard. Je suis très sensible aux couvertures des romans, peut-être à tort mais qu'importe, aussi mon regard a-t-il été attiré par celle de « Vladivostok circus ».... sans doute le portrait du félin sauvage en costume très digne.

Elle s'est poursuivie par la lecture du roman et s'est achevée par la rencontre, en vrai, avec l'auteure invitée par la librairie guingampaise « Mots et images ». Ah... j'oubliais, lors de la reprise des goûters littéraires « Mots et Compagnie » chez « Sidonie et Cie », autre lieu incontournable de Guingamp, Gilbert a appâté la lectrice que je suis par un avis très élogieux de ce roman. L'affaire était donc entendue.



Nous sommes à Vladivostok, au moment des deux dernières représentations de la saison avant que le cirque ne ferme ses portes.

Nathalie, jeune costumière tout juste diplômée, arrive pour honorer un contrat de quelques semaines auprès d'un trio spécialisé dans l'exercice très difficile de la barre russe.

La barre russe : deux porteurs, un ou une voltigeur(se), une confiance vitale entre chacun des membres .

La jeune femme revient dans la ville où elle a passé quelques années avec son père, professeur d'université. Elle a l'impression d'être un chien dans un jeu de quilles car elle n'est pas attendue si tôt, accueillie par Léon, le metteur en scène et vérificateur des attaches. le trio n'a qu'un mois pour peaufiner le numéro qu'il présentera à un important festival international des arts du cirque, à Oulan-Oude : l'enjeu est immense et le défi grandiose, réalisation par Anna, la voltigeuse, d'un quadruple saut périlleux avant de retomber sur la barre.

Nathalie prend à coeur sa mission qui est de réaliser les costumes du trio pour leur numéro à Oulan-Oude. Elle observe les artistes, elle les respire, elle les suit, elle les apprivoise afin de réussir à les habiller de lumière. Ils sont en Sibérie, la taïga, les bouleaux, les branches souples, Anna est une liane, une panthère des neiges, Anton et Nino des tronc solides, du tissu « camouflage », une queue serpentine et des oreilles, des casques ornés de branches. Belle idée sauf que les tissus sont rêches et peu souples, les casques encombrants, la queue inadaptée pour la voltige. Belle idée mais dangereuse.

Du dépit puis le défi est à nouveau relevé pour aboutir au sublime habit de lumière pour une voltigeuse défiant l'immensité étoilée. le velours épouse les mouvements des corps, les souligne sans les entraver, la piste aux étoiles peut recevoir le numéro du trio.

« Vladivostok circus » est un roman d'ombre et de lumière : l'ombre des secrets des personnages, celle de leurs blessures intimes, la lumière du dépassement de soi, celle de l'espoir, celle de la joie procurée par ce que l'on fait, celle qu'on éprouve quand on touche à l'absolue beauté.

Par touches subtiles, le quotidien d'un entraînement au sein d'un cirque désert, est magnifié sous la plume délicate d'Elisa Shua Dusapin. le cirque sans représentations, sans artistes, sans public, devient un lieu où le fantastique peut surgir à tout moment. D'ailleurs ne sent-on pas l'odeur prégnante des écuries et des cages des animaux disparus depuis des années ? Elle hante les lieux, plane lorsque la nuit tombe. La magie des exploits sportifs des hommes a remplacé celle des numéros animaliers, issus d'une époque révolue.

L'auteure joue avec la tension du récit : les personnages parviendront-ils à s'accepter, à se comprendre au-delà de leurs blessures, de leurs regrets ? La confiance est si difficile à installer que parfois le lecteur est tourmenté par les menus dérapages lorsque Anna se rebiffe, lorsque Anton a un geste malheureux envers le chat étique de Léon, lorsque le premier essayage est une catastrophe, lorsque Nathalie engluée dans sa peur de la chute mortelle l'essaime jusqu'au trio.

En quelques mots bien pesés, Elisa Shua Dusapin rend tangible l'atmosphère d'un lieu peu commun voire insolite. Elle joue, avec brio, avec le pouvoir d'évocation des mots et réussit à montrer combien le poids des responsabilités de chacun est lourd d'enjeux vitaux : une inattention, un matériel défectueux et la mort peut s'inviter.

Ce court roman est un long fleuve tumultueux à l'apparence calme : comme dans un roman japonais la surface des mots et des phrases dissimule un tumulte intérieur et une multitude de dangers. Faut-il apprendre à lâcher prise quand il est encore temps ? La réponse réside dans l'épilogue ainsi que dans les passages de la lettre qu'écrit Nathalie, la narratrice, à son père.

Un joli roman servi par une très belle écriture incisive et poétique.
Lien : https://chatperlipopette.blo..
Commenter  J’apprécie          30
Nathalie vient de terminer ses études de costumière. Elle a obtenu un petit contrat auprès d'un trio de barre russe. Elle arrive à Vladivostok et rencontre Anton et Nino les porteurs ainsi qu'Anna la voltigeuse. Il y a aussi Léon, le chorégraphe. Elle découvre le milieu si particulier du cirque avec ses codes et ses règles. La barre russe est une discipline extrêmement risquée qui nécessite une parfaite coordination des trois membres. Anna doit avoir une confiance totale en ses porteurs car sa vie en dépend. Nino et Anton sont les meilleurs dans le domaine et ils espèrent remporter le concours internationale d'Oulan-Oude en visant quatre triples sauts périlleux sans descendre de la barre. C'est pour cet événement qu'ils ont besoin des talents de costumière de Nathalie.

La barre russe est un numéro extrêmement dangereux. Il s'agit d'une barre de trois mètres de long tenue par deux porteurs et sur laquelle un acrobate effectue des sauts périlleux. Ce dernier n'est pas assuré donc il doit faire entièrement confiance en ses porteurs et en lui même.

Seul dans un cirque vide aux odeurs d'animaux pourtant absents, les personnages vont tenter de composer le numéro parfait. Au fil des jours Nathalie découvre leur histoire, les liens qui les unissent mais surtout les silences qui les entourent. L'autrice montre la difficulté de comprendre les autres et de se faire comprendre par les autres. Elle rend très bien compte des silences, des non-dits et des phrases assassines qui polluent notre rapport aux autres. Les différences de culture et les blessures du passé de chacun viennent contrarier les rapports entre eux. Il faut décoder le mutisme et les colères, accepter les failles des autres. Entre les cinq personnages se développent des formes de liens très divers. A l'image de la barre si étroite, ils avancent sur un fil ténu pour maintenir la cohésion entre eux. Animés par un objectif commun, il y a néanmoins des moments de grâce où ils arrivent a coordonner leur énergie pour leur spectacle. Ce qui les relit, une recherche de performance et de beauté, est finalement plus fort que les différences et leur incompréhension.

L'écriture d'Elisa Shua Dusapin est en suspens. Elle n'en dit jamais trop mais juste assez pour que le lecteur saisisse l'enjeu. Il y a une forme de pureté aussi dans son écriture qui semble aérée. Tel Anna qui saute sans effort apparent, ses mots semblent couler d'eux même. C'est très beau.

L'ambiance du cirque nous est décrite de manière très différente des représentations que l'on en a. Il y a les paillettes, les lumières, la musique et les sourires forcés mais il y a aussi la sueur, les répétitions et la solitude des artistes. Loin de leur famille toute une saison il doivent composer avec la promiscuité forcée.

Un très beau roman qui me donne envie de découvrir les précédents écrits de l'autrice.

Merci aux édition Zoé pour cet envoi.
Commenter  J’apprécie          30


Lecteurs (216) Voir plus



Quiz Voir plus

Voyage en Italie

Stendhal a écrit "La Chartreuse de ..." ?

Pavie
Padoue
Parme
Piacenza

14 questions
598 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , voyages , voyage en italieCréer un quiz sur ce livre

{* *}