Je ne connaissais pas
Elisa Shua Dusapin, il y a de cela quelques semaines. Cette idée de lecture m'est venue suite à la superbe critique de Sachka, que je remercie pour ces quelques soirées en apesanteur.
Troisième roman de l'auteure, ce récit marque par l'originalité de son thème, l'auteure ayant choisi pour cadre l'univers du cirque.
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Vladisvostok, de nos jours
La saison s'achève.
Le cirque se vide de ses artistes, de ses spectateurs.
Les lumières s'éteignent, les bruits ambiants laissent place au silence, au froid et à l'hiver qui approche doucement sans faire de bruit et enveloppe le dôme du chapiteau d'un manteau de neige.
Seules, les odeurs animales puissantes persistent et imprègnent encore les lieux.
Bien que les animaux aient disparu du cirque depuis plusieurs années, leur odeur tenace les rend chaque jour présent.
« Anna relève la tête, dit que c'est comme au zoo, les cages des fauves qui sentent encore après leur mort, histoire de rappeler qu'ils n'ont jamais connu la liberté. »
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Seuls, un trio d'artistes de cirque reste et prépare un nouveau spectacle de Barre russe en vue d'un concours international qui se déroulera en Sibérie, à Oulan-Oude dans quelques semaines.
Cette discipline acrobatique consiste pour le voltigeur à accomplir sans harnais de sécurité des figures extrêmement périlleuses sur une barre flexible maintenue par deux porteurs. Leur numéro veut s'inscrire dans la performance, mais également dans une narration poétique.
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Ce qui m'a plu dans ce roman, c'est l'atmosphère qui s'en dégage, jeux de contraste et d'éclairage.
Sous les feux des projecteurs, les artistes entrent en piste et évoluent avec adresse sous les yeux émerveillés des spectateurs qui en réclament toujours plus.
« …donner un peu de poésie, du rêve que vient chercher leur public… »
La lumière est vive, joyeuse, exubérante, vivante.
« Au coeur de la piste, enroulée sur elle-même, la tête sous le ventre, la femme fait onduler ses membres comme une anémone de mer. »
Elégance, souplesse, légèreté, tels un oiseau voltigeant dans le ciel.
La grâce et la fragilité de l'instant.
« Tu sais, quand je pense à tous ces petits corps suspendus entre le ciel et la terre, ça me fait sourire de me dire que parmi eux, il y en a pour qui se mettre à voler, c'est d'abord tomber. »
Fin du spectacle, le rideau se baisse, le cirque se vide, passant de la lumière à l'obscurité, des bruits de fête au calme. Les sourires faux et les attitudes détendues disparaissent.
Le silence domine.
Dans l'intimité, loin des regards du public, les artistes s'entraînent, vie de routine, de maîtrise de soi, de sacrifices et de peur. Les liens entre les artistes doivent être intenses, indéfectibles, leur confiance absolue.
Le risque fait partie de leur vie, leur sécurité et leur vie dépendent les uns des autres.
La tension palpable, permanente monte insidieusement. le lecteur ressent leur fragilité, leurs rancoeurs, le poids des non-dits.
Les sentiments qui m'ont dominé tout au long du roman sont des sentiments de vide, de perte, de malaise, de solitude aussi. Mais il s'en dégage également de la douceur, de la poésie et de l'harmonie.
« Anna remonte sur la barre. Les mouvements s'harmonisent. Au coeur de la piste encerclée de velours rouge, on dirait un diaphragme. Pulsations rythmées par Anna comme un souffle qui cherche à sortir mais retourne aux poumons. »
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A la fois sombre, opaque, aérienne et délicate, l'écriture de
Elisa Shua Dusapin trouve un parfait équilibre entre artifice, légèreté et profondeur des sentiments, réalité et illusion, poésie et drames.
Le lecteur évolue dans un univers étonnant et étrange où l'acrobate risque sa vie.
Le goût du spectacle et du risque, le plaisir du public l'emportent sur la frayeur et le danger.
La tension monte au fil des pages sans comprendre où l'auteure veut nous mener. Je n'avais pas envisagé ce dénouement et c'est une bonne surprise.
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Ce court récit de moins de 200 pages est une très belle découverte sur les rapports humains et notre incapacité à nous dévoiler totalement.