La notion d'effondrement est souvent employée pour décrire la conjonction de crises systémiques que l'humanité connait. Mais comme le souligne, à juste titre
Renaud Duterme, dans son préambule, cette notion minimise, « voire occulte, toute analyse en termes de rapports sociaux et d'exploitation entre les classes ». J'ajoute qu'il convient de prendre en compte les différents aspects du mode de production et d'organisation du capitalisme, la totalité des rapports sociaux et leurs imbrications, l'ensemble des exploitations et dominations et essayer de saisir les contradictions à l'oeuvre.
Renaud Duterme examine de façon critique différentes analyses de la notion d'« effondrement », son imaginaire, sa vision romantique et occidentalo-centrée, les théories individualistes néolibérales ou libertariennes. Il insiste sur les vulnérabilités plus importantes de pays ou de zones géographiques, sur la notion de processus plutôt que d'événement, sur le linéaire et la non homogénéité des temps et des situations, sur l'inégalité des groupes sociaux, « l'imaginaire de l'effondrement revient d'une certaine façon à minimiser les rapports d'exploitation entre les classes sociales tout comme les responsabilités à l'origine de ce processus ».
L'auteur discute la vision malthusienne du trop d'habitant-e-s. Il y oppose la prise en compte des « faits historiques, économiques et géopolitiques », du mode de production et de consommation, le gaspillage, la logique productiviste et extractiviste, l'accaparement des ressources par une minorité, l'asymétrie des responsabilités, les questions sociales, l'interconnexion mondiale et la perte des « capacités de résilience » des sociétés, les pertes d'autonomie en regard du marché mondial…
Renaud Duterme développe sur les impasses du monde présent, les logiques de surproduction, le réchauffement climatique global, les illusions technologiques, la succession des bulles spéculatives, le non retour de la croissance. Les contradictions du capitalisme et les politiques (non)menées nous entrainent vers de nouveaux désordres mondiaux avec son cortège de tensions déstabilisatrices, migrations massives « climatiques » ou non, replis identitaires et sectaires…
Il insiste sur le caractère systémiques des crises et leur interconnexion, les « Etats défaillants », les processus d'apartheid, la privatisation des espaces publics, la prolifération des « quartiers privés » (Gated community), la construction des murs (en complément possible sur ce sujet : Wendy Brown : Murs. Les murs de séparation et le déclin de la souveraineté étatique), les violences de la structure économique, le terrorisme d'Etat, la « justice de classe », le racisme institutionnalisé…
L'auteur prend quelques exemples comme « parabole du monde à venir », Israël (sécurité entre quatre murs, colonisation hydraulique, injustice environnementale, colonies comme gated community…), Irak (fragmentation du territoire, enclaves à l'abri du chaos…), villes américaines (ségrégation, prolifération des centres commerciaux, entrepreneurialisme urbain…).
« le néolibéralisme institutionnalise donc en quelque sorte la séparation entre d'un coté des populations aisées ayant les moyens de payer les services fournis par des entreprises privées et de l'autre le reste de la population cantonné à l'utilisation des services publics vidés de leur substance justement par l'idéologie libérale ».
Les catastrophes écologiques, énergétiques, économiques ou sociales à venir ne seront pas « neutres » socialement, elles renforceront les tendances autoritaires du néolibéralisme « au profit de celles et ceux qui sont responsables de ces désastres ».
Renaud Duterme trace enfin des pistes d'alternatives, « des mobilisations populaires massives, focalisées contre les acteurs responsables du désastre et organisées de manière la plus horizontale et démocratique possible ». Il parle de des tentations autoritaires, du concept même de « démocratie » menacé, des mouvements religieux et xénophobes, de la nécessité d'analyser les discours et les actes « sous l'angle des intérêts privés cachés derrière les politiques menées », de fédération des luttes transversales, de réappropriation de nos quotidiens…
Il est dommage que l'auteur n'ai pas intégré à ses analyses, les rapports sociaux de sexe (système de genre, sexualisation du monde). Aucune analyse des organisations sociales ne peut se dispenser du « prisme du genre ». Je rappelle de plus que les études féministes se multiplient sur le sujet traité. Lire par exemple, le récent Cahiers du Genre N°59 – Coordonné par
Pascale Molinier,
Sandra Laugier et
Jules Falquet :
Genre et environnement. Nouvelle menaces, nouvelles analyses au Nord et au Sud
Lien :
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