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EAN : 9782358731041
264 pages
Le Bruit du Temps (23/08/2016)
3.58/5   12 notes
Résumé :
Caché dans le corbillard qui le conduit de Chinon à Paris pour y tenter l'opération qui seule peut le sauver de l'ulcère à l'estomac dont il souffre depuis des années, le peintre Chaïm Soutine, durant les 24 heures que va durer le trajet, se remémore, en un flux d'images parfois délirantes provoquées par la morphine, toute son existence. A demi fictif, à demi historique, le roman relate ainsi les divers épisodes de la vie de Soutine, depuis qu'il a choisi d'enfreind... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
On roule avec Chaïm Soutine en fourgon mortuaire et dans la France occupée. le peintre a été hospitalisé en urgence à Chinon dans les derniers jours de juillet 1943, rupture de la paroi gastrique. Il souffre d'un ulcère depuis de nombreuses années. Placé sous morphine et déclaré mort. La voiture doit traverser la ligne de démarcation et l'emporter à Paris pour l'y faire opérer ; ainsi le veut semble-t-il sa compagne Marie-Berthe Aurenche. Du sud, zone NONO (non occupée), au nord zonO (zone occupée), ce ne sont que bruits de bottes, échos de rafles et de tabassages. A l'intérieur du fourgon Soutine, mi-conscient, mi-comateux, est submergé de visions délirantes. Mise en scène parfaite qui, jointe à la menaçante et bien réelle toile de fond du dehors, donne à l'ensemble du récit les accents d'une épopée hallucinée assez poignante, vraiment réussie de mon point de vue. Celle d'un peintre juif pris dans les désastres de l'Europe ; ayant atteint la France après avoir échappé aux pogroms du début du XXe siècle ; artiste traqué ensuite, inscrit sur la liste Tulard en octobre 1940, achevant sa vie dans la clandestinité et dans une capitale défaite (Paris) qu'il avait connue lumineuse.
L'arrière plan sinistre et oppressant du contexte rend presque consolant le monde clos de ce corbillard dans la proximité du peintre mourant et des images qui l'assaillent. le cours de sa vie passée remonte en projections successives et tourbillons désordonnés que renforce une sorte d'exaltation du style Dutli. Surgissent Marie-Berthe ou Gerda à Civry. Des images obsédantes du shtetl à Smilovitchi, les souvenirs de Minsk et de Vilna, puis de Paris où il arrive à la veille de la guerre en 1913 pour rejoindre ses amis Krémègne et Kiköine. La Ruche, la Cité Falguière, le Dôme, la Rotonde et le Capitole revivent en compagnie des artistes qui ont délaissé Montmartre et franchi la Seine pour Montparnasse devenu ce carrefour libertaire où confluent les immigrés et parmi eux la colonie des Russes. Soutine côtoie les avant-gardes, rencontre Zborowski et Barnes. Et surtout l'ami Modi(gliani). Souvenirs pêle-mêle de toiles, faites, refaites ou déchirées, vendues et rachetées.
L'aspect historique et biographique, la tonalité et le rythme suffiraient à rendre la lecture tout à fait attrayante mais ce qui la rend captivante est ailleurs. Si l'écriture renvoie aux pulsations tragiques de l'histoire du vingtième siècle la peinture est totalement souveraine, vitale, dans ces pages où les images suggèrent qu'elle pourrait aussi transcender toutes les offenses faites à la création et au genre humain. Dans ce voyage peu orthodoxe le moyen choisi par Dutli pour mettre le lecteur au contact du peintre, directement, par un regard rétrospectif halluciné jeté sur le flux de sa propre création, insuffle un dynamisme particulier à cette lecture. Il rend visibilité et cohérence et, par là, toute sa puissance à l'ensemble de l'oeuvre peint de Soutine dont la force d'attraction visuelle est restituée par les mots. Les portraits d'enfants, de grooms et d'apprentis, les paysages tordus de Céret, Cagnes et Champigny-sur-Veudre ou les natures mortes en série des années 1925 ("Boucherie Soutine"), peintes dans l'atelier de la rue du Mont-Saint-Gothard, font basculer sans résistance dans l'univers d'une création où douleurs rime avec couleurs. Où l'interdit de la représentation le dispute sans cesse à l'absolu de l'art. Le pur à l'impur. Eternels démons de Chaïm Soutine, "assassin de ses toiles". Car il en a détruit beaucoup. Entre le blanc et les couleurs, il aurait peut-être finalement choisi laisse entendre Dutli.
Cette lecture fait succomber à la tentation d'une visite à l'Orangerie pour regarder les vingt deux tableaux de la collection Walter/Guillaume. A défaut de pouvoir s'y rendre, la vision originale et toute personnelle de l'écrivain, son oeil exercé et sa connaissance approfondie du peintre Soutine resteront pour les curieux une invitation littéraire à le découvrir au-delà des clichés répandus - Soutine, juif errant et tourmenté, peintre maudit, classé à l'Ecole de Paris etc. "Comment le monde de Soutine s'est-il mis à bouillonner et à prendre de la gîte ? Quand les choses représentées ont-elles commencé à osciller d'un bord à l'autre du tableau ?" Ces questions de Xavier Girard dans un autre livre très différent par la forme et tout aussi passionnant (2012), sont également celles que ce "Dernier voyage de Soutine" continuent d'explorer.
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Ceux qui, comme moi, aiment Soutine, sauront retrouver son tourment dans ce roman et dans son écriture. le peintre accomplit son dernier voyage. Sous l'emprise de la morphine, il appelle ses souvenirs exaltés, souffrants comme sa peinture où le rouge vermillon du sang domine.

Quelques tableaux apparaissent au détour : une carcasse de boeuf sanglante que Soutine aspergeait de sang frais pour lui conserver sa couleur vive malgré la putréfaction et qui déclencha quand même l'alerte des services vétérinaires; le petit pâtissier à l'oreille décollée ou des faisans pendus au clou viennent également comme des flashs colorés.

Mais peut-être qu'une écriture heurtée, déstructurée comme le maelström de la peinture de Soutine fait trop ton sur ton ! L'auteur, ou le traducteur, m'a ainsi parfois perdu dans les méandres de son écriture.
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Quand les portes du fourgon mortuaire claquent, les pigeons « pris de panique quittent le toit de l'hôpital » et Soutine, encore vivant, est emmené de Chinon à Paris pour y être opéré d'un ulcère, et y mourir, car « la vie veut en finir. »

Caché sous un drap blanc pour échapper aux contrôles de la France occupée, accompagné par Ma-Be (Marie-Berthe Aurenche, la femme de Max Ernst) et shooté à la morphine, Charles-Chaïm Soutine, artiste-peintre de son état, glisse à travers la campagne française dans la longue voiture noire.
Nous sommes le 6 août 1943. le voyage va durer 24 heures.
Et toute une vie est condensée dans cette seule journée, car Ralph Dutli, écrivain allemand, traducteur et spécialiste de Mandelstam, va choisir le surgissement, le vertige et l'hallucination pour évoquer les péripéties de la vie de Soutine et écrire ainsi sa plus belle et originale biographie.

Hallucination, à cause du délire morphinique, du « papaver somniferum ». Hallucination aussi, car la peinture de Soutine déforme les paysages et les êtres dans une débauche de couleurs. La prose de Dutli, labyrinthique, poétique, tourmentée, épouse étroitement la démarche créatrice du peintre.

« Ut pictura poesis » disait-on dans l'Antiquité. Et c'est l'extraordinaire talent de Dutli que d'avoir su opter pour une forme narrative à la fois objective, puisque c'est à la troisième personne qu'il parle de Soutine, échappant ainsi au piège du monologue intérieur et à la tentation de « bavasser au nom d'un autre » et subjective, car le roman concerne autant Soutine que l'auteur même.

Ce « Dernier voyage de Soutine » est en effet né de la fascination de Dutli pour une affiche de la cathédrale de Chartres, vue dans le métro en 1989 et la visite de l'exposition de Soutine qu'elle annonçait.

« C'est la fixation de l'image unique, de l'instant qui décide de tout. »

Dutli qui habite Paris fréquente le cimetière de Montparnasse où est enterré Soutine,
le peintre-maudit, le peintre-paria, né dans la région de Minsk, à Smilovitchi, le dixième de onze enfants, exilé à Vilna, puis à Paris, car chez lui dans le schtetl, son quartier juif, les images étaient proscrites.
A Paris, Soutine rencontre Modigliani, mais toujours il reste dans les marges, brûlant ses tableaux, se consumant de l'intérieur et même une fois reconnu par un pharmacien-mécène de Philadelphie, le docteur Barnes, il n'en continue pas moins à douter et à peindre sans cesse des carcasses d'animaux, « la mort à l'oeuvre, fixée dans ses détails, ses couleurs moirées. »

Une vie étrange, hantée par la mort. Et d'étranges obsèques, secrètes, en présence de Picasso, Cocteau, Max Jacob et les deux femmes de Soutine, Gerda Groth et Marie-Berthe Aurenche… et peut-être quelqu'un de plus, un certain Armand Merle que Dutli dit avoir rencontré lors de ses promenades dans le cimetière.

C'est cet étrange Armand Merle qui va suggérer à Dutli la manière d'écrire sur Soutine.

« Vous n'avez aucun droit de vous mettre dans la tête d'un autre. Vous écrirez peut-être un jour tout un livre sur les derniers jours du peintre. Moi aussi j'ai essayé, mais j'en suis resté à mes dossiers. le temps est trop court. »

« le monologue intérieur ne vous apportera rien, vous vous en rendrez compte. Vous verrez qu'il faut le proscrire. »

« Jamais du je, rien que du il. »

« Ne mettez pas votre voix dans la tête d'un taciturne. »

« le dernier voyage de Soutine » est donc un roman sur l'exil, la maladie, la mort, mais aussi sur l'art et la littérature. Immensément riche, poétique, il rend hommage à un peintre trop méconnu et il révèle un génial auteur, Ralph Dutli.

Merci aux éditions « le Bruit du temps ».





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1943 Soutine est transporté dans un corbillard pour aller se faire opérer à Paris sans se faire arrêter par les allemands. Face à la douleur il est sous morphine et dans un délire revoit les grands moments de sa vie ainsi que ses toiles défilés. le livre lui même fait passer le lecteur par plusieurs états celui des souvenirs partagés de Soutine et celui de ses délires par une écriture et des paragraphes faisant tanguer. l'effet est intéressant même si un peu fatiguant à la fin.
Les grands moments de la vie de Soutine sont abordés, le docteur Barnes, son amitié avec Modigliani, son enfance et les femmes qu'il a aimées. On prend plaisir à le suivre dans son histoire.
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Ralph Dutli convoque à travers ses trois dernières journées toute l ‘existence tourmentée du peintre Chaïm Soutine. Voyage halluciné à travers la vie et l'oeuvre d'un artiste maudit. Violent et passionnant.

Août 1943. Alors qu'il souffre d'un ulcère à l'estomac au dernier degré, Soutine est transporté de Chinon à Paris pour y être opéré. Au cours de ce transfert interminable et clandestin, dans un corbillard et hors des routes principales pour éviter les points de contrôle dans la France occupée, il revoit tout : l'enfance misérable dans le ghetto de Smilovitchi, l'académie des Beaux-Arts de Vilna, l'arrivée à Paris en 1913, les années de vache enragée à Montparnasse, l'amitié avec Modigliani, les amours avec Gerda Groth puis avec Marie-Berthe (ex-femme de Max Ernst), la rencontre miraculeuse avec le riche collectionneur Julian Barnes en 1923, les séjours à Cagnes et à Céret, la guerre et les caches successives à Paris et à Champigny. Et tout se confond dans le délire comateux de la morphine d'où n'émergent, à travers un constant aller-retour entre passé et présent, que deux couleurs : le rouge et le blanc. Rouge comme la douleur qui le torture, comme les pogroms de la Russie natale et les carcasses de boeuf ensanglantées qu'il ramène de l'abattoir pour les peindre à la manière de Rembrandt. Blanc comme le lait qui apaise l'ulcère, comme le vêtement du petit pâtissier de Céret et la robe de la première communiante, comme les médecins de la clinique, le lit mortuaire et le paradis de l'oubli.

Lien : http://www.lesheuresperdues.fr
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critiques presse (1)
Telerama
26 octobre 2016
Ceci n'est pas une biographie mais une itinérance, majestueuse et poétique, dans les couleurs et les pensées d'un homme en quête de ce que lui seul ­pouvait comprendre.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Service d'hygiène ! Ouvrez immédiatement !
Le peintre prend peur, il est livide, on dirait un cadavre. Un homme entre dans la pièce, vêtu d'un tablier blanc, un bonnet blanc sur la tête. Il veut confisquer la carcasse de boeuf à la puanteur atroce. Des mouches vertes vrombissent dans l'atelier. Soutine est atterré, son tableau n'est pas terminé. Rembrandt dans un coin a un rire triomphant.
Paulette plaide la cause du peintre désespéré.
Vous voyez bien qu'il est en train de le peindre, il en a besoin pour finir son tableau, je vous en prie !
Les hommes du services d'hygiène ont pitié, ils sortent leurs seringues et injectent de l'ammoniaque dans cette pauvre chair de la carcasse. Ils lui montrent en quelques gestes comment conserver les animaux sans empester tout l'immeuble. Dès lors, reconnaissant, il ne se déplace plus dans le monde qu'avec du formol, de l'ammoniaque et un assortiment de grosses seringues pour conserver au triomphe de la mort toute sa fraîcheur rouge sang. Et les dindons, les lièvres, les faisans viennent s'ajouter à la liste. Il se fait livrer plusieurs carcasses de boeuf, et chaque fois fixe un nouvel aspect de cette mort juteuse : un amas de graisse jaune rance ou la torsion d'un membre, ou les caillots de sang qui forment une surface mouvante. (p. 179)
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Cette fois les cosaques parlaient français. La circulaire N°173-43 de la préfecture de police ordonnait l'arrestation des juifs étrangers. Plus de treize mille personnes rien qu'à Paris. La moitié est acheminée jusqu'au camp de Drancy au nord de Paris dans des bus municipaux réquisitionnés ; les autres sont parqués au Vel'd'hiv. Beaucoup sont restés introuvables lors de la grande rafle. Parmi eux un peintre invisible. (p. 112)
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Seule la parole crée le monde, Chaïm. Ton pinceau barbouille le monde, le mue en grimaces, en insultes à sa création. Ne vois-tu donc pas que tu as tout distordu et déformé, paysages et hommes, que tout tremble et vacille comme si c'était la douleur dans ton ventre qui avait peint et pas toi ? Comme si la douleur avait créé le monde et pas l'oeil paisible du Créateur et sa parole. Comme si un ulcère impie avait créé le monde! La Création ne doit pas être peinte Chaïm, pourquoi le serait-elle, à la fin de la semaine la Création est là, produite en six jours et couronnée par le Shabbat, la paix de l'Innommé pour qu'il la contemple avec satisfaction. As-tu oublié le commandement ? Oublié le plus important ? Tout oublié ? Tu ne feras point d'image taillée... Ni de représentation... Ni de ce qui est là-haut... Ni de ce qui est en bas sur la terre... Ni de ce qui est dans les eaux sous la terre... (p. 69)
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Fais comme si tu étais mort. Ce sera plus facile. Tout sera plus facile. Tu es déjà mort, tu ne peux plus perdre la vie. La vie toujours déjà perdue, nous sommes déjà libres à demi. Tu ne peux plus rien perdre, rien. Et tu t'en vas, léger. Il faudrait pouvoir peindre ça.
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L'étoile jaune, il ne la porte jamais. A moins que son étoile soit invisible elle aussi ? A compter du 7 juin 1942, il faut porter la marque solidement cousue et bien visible ; quiconque omet de le faire est passible d'être incarcéré. Pour l'obtenir, il faut donner un point de sa carte de vêtements. Dans le Reich, les juifs n'avaient pas à dépenser un point pour leur étoile. Ils n'avaient pas de carte de vêtements. Et bientôt commence le ramassage des étoiles, les rafles s'enchaînent à intervalles de plus en plus courts. Puis le transfert à Drancy ou Pithiviers, Compiègne ou Beaune-la-Rolande, les camps de transit des environs de Paris. Il est interdit de fixer l'étoile avec une épingle de sûreté ou un bouton-pression. Coudre, qu'on ne puisse pas arracher, coudre jusque dans la peau si possible. Dès le début il était résolu à ne pas la porter. Le peintre Chaïm Soutine est invisible pour toujours sous son chapeau. Et son étoile aussi. (p. 110)
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