(page 38) Puis, un jour que j'arrivais pour la visite habituelle - deux ans après notre première rencontre - et que je lui demandais, comme à mon habitude : - Alors comment va la vie ? - elle me regarda, attendit un peu avant de répondre, puis me dit, gravement :
- Vous savez, docteur, j'ai refermé le livre de ma vie -
Je crois que cette phrase je l'entendrais toujours. Elle l'avait dite avec sérénité, comme une constatation très simple. Pendant tous ces mois, pas à pas, elle avait fait le point. Et maintenant, c'était fini. Elle le disait sans tristesse, peut-être même avec un certain soulagement.
Ce jour là je la quittais, plus tôt que d'ordinaire, avec un certain malaise. Elle n'avait plus envie de parler. Peut-être parce qu'elle avait tout dit ? Ma tâche était terminée, je le sentais sans le savoir encore, par acquit de conscience je l'avais examiné, mais tout allait bien comme d'habitude.
Le soir, à six heures, son mari m'appela à mon cabinet : - Docteur, elle est morte -
(page 83) S'il existe des situations objectivement difficiles - objectivement ne désignant ici que le fait que la majorité des gens s'accorderaient à les considérer comme telles -, comme le chômage, le divorce, la perte d'un être cher, etc…, tout le monde ne vit pas intimement, ces situations de la même façon. Je dirais qu'elles ont, pour chacun, une résonance différente, plus ou moins profonde. Il suffit de regarder autour de soi (et, surtout, en soi) pour s'en rendre compte : Untel réagira positivement au moment du licenciement en se battant pour retrouver au plus vite une situation (et l'on s'émerveillera de son courage et de son énergie) mais, au contraire, s'effondrera si sa femme demande le divorce (où sont donc le courage et l'énergie qu'on vantait dans d'autres circonstances ?), Tel autre, au contraire, fera une véritable dépression si on le met au chômage, mais supportera avec légèreté une situation conjugale qui paraîtrait intolérable à bien d'autres. On pourrait multiplier les exemples.
(page142) … je voudrais rassurer le lecteur sur la teneur des pages qui vont suivre : je crois avoir montré, jusqu'ici, que je n'avais aucun goût pour le jargon, qui bien souvent n'est utilisé que par incapacité d'être simple ou, plus fréquemment encore (et particulièrement en médecine) pour renvoyer le lecteur à son ignorance et, par là, consolider son propre pouvoir. Or fidèle en cela à Boileau comme aux plus grands, j'estime qu'une pensée claire doit être dite en termes simples, mieux : que c'est l'essence même de la philosophie.
(page 130) … les hommes ont d'ailleurs depuis longtemps concilié l'immunité et le psychisme, eux qui ont porté à la mémoire collective, devenue science du peuple, des aphorismes qui ont peut-être un contenu à découvrir : - quand le moral va, tout va - à moral d'acier, poignée de fer - se faire du mauvais sang.