Ce livre est exceptionnel à bien des égards.
C''est d'abord une couverture qui intrigue autant qu'elle questionne, cette silhouette de dos qui s'efface, qui disparaît, qui implose, qui vole en éclats, qui devient cendres...
Cendres de celle qui se consume, cendres de celle qui brûle, cendres de celle qui brûle de l'intérieur car oui le sujet de ce livre est bien ce que l'on nomme par une traduction littérale de cet anglicisme, aussi dénué de sens que laid "brûlé de dehors"
Comme le dit si bien
Alexandre Duyck : "Ce mot anglais, ce participe passé et cette coordination, cette fantaisie linguistique d'outre-Manche, brûlé de dehors, c'est ça ? Brûlé dehors ? Qu'est-ce à dire ? Quel étrange objet médical"
Objet médical, excusez du peu. Car c'est comme cela qu'on le considère.
« Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur du monde », écrivait Camus.
D'un autre côté à une époque où l'on trouve que c'est "amazing" d'ajouter des "meetings" pour "brainstromer" sur le "co-branding", le tout via "teams" avec des collègues installés dans des "open-spaces" ou alors à distance dans des espaces de "co-working". Et puis pour la prochaine réunion : "save the date".
Il n'est pas très surprenant que la résultante de tout cela s'appelle "burn-out". Alors, n'en déplaise à tous ceux qui pensent savoir de quoi l'on parle je préfère le terme que nous propose
Alexandre Duyck d'effondrement.
C'est ensuite un résumé est aussi simple que l'écriture est une fabuleuse introspection, une magnifique déclaration d'amour, car son épouse est victime de cet effondrement, et lui n'a rien vu venir, n'est pas sûr, reste incrédule.
Mais c'est bien cela,
un effondrement, un épuisement, bien plus profond qu'un simple coup de fatigue.
Le mots qu'utilisent l'auteur sont justes, simples, efficaces, percutants, sublimes à la fois pour décrire ce que vit son épouse, sur ce que lui-même vit à la fois par procuration et par altruisme et ce non sans une pointe de sarcasme et d'ironie forts à propos...
Quand je vois qu'aujourd'hui les livres sur cet effondrement fleurissent comme une mode déplacée,
il existe même un "Que sais-je" sur le burn-out. Et bien la réponse est simple : RIEN.
Car tous ces ouvrages estampillés de ce "label bien-être", label très "in" ou "tendance" pour faire à mode, alors qu'on parle de mal-être, peuvent être remplacés par ce livre.
Il y a quelques mois j'entendais une discussion, dans une librairie, complètement surréaliste : "tu n'as qu'à prendre celui-là, c'est un must have sur le burnt-out"... Sans commentaire !!!
Ces ouvrages dont seuls les titres prêtent à sourire, car le reste résonne d'un vide aussi abyssal que celui dans lequel s'effondre le principal concerné.
Pas besoin de long discours car ce mal se résume très simplement : Au début il n'y a rien et ensuite, il n'y a plus rien. C'est aussi simple que cela.
Mais revenons aux mots utilisés dans ce livre, jugez plutôt :
"Elle faisait un burn-out. Rien que ce verbe à la place de l'auxiliaire. On n'a pas un burn-out, comme on a la migraine, comme on a la fièvre, on n'attrape pas un burn-out, comme on attrape un cancer ou la varicelle ou les oreillons. On fait un burn-out. C'est suspect, de faire. Un acte délibéré, non, de faire ? Qui résulte d'un choix, en son âme et conscience, comme s'il était possible, en le voulant, de ne pas faire."
D'une terrible réalité....
"Le burn out, c'est pour les forts. Comme une maladie qui ne s'offre pas à tout le monde, qui choisit son camp, vise précautionneusement ses cibles, leur tourne autour, les renifle comme un chien policier puis s'arrête net et là, c'est foutu. Une tique enfoncée pour longtemps dans la profondeur de la chair des meilleurs.Elle choisit les morceaux de choix, délaisse les faibles, les fainéants, les planqués, les chefs qui se reposent sur leurs subalternes, elle s'attaque à celles et ceux qui s'investissent trop dans leur travail, lui donnent tout, se livrent corps et âme, celles et ceux qui ont idéalisé leur métier dans leurs années de jeunesse puis se retrouvent confrontés au manque de moyens, ou à l'inertie de leurs chefs, ou au cynisme. Ou à tout cela cumulé."
D'une criante véracité.....
" Durant l'année ou presque que dura son arrêt-maladie, elle ne reçut de ses dirigeants qu'un SMS, une fois, qui demandait pardon, maladroit, tardif mais il eut le mérite d'exister, c'était un vendredi soir, j'ai imaginé la personne qui l'avait envoyé vérifier sa liste de corvées à effectuer avant de partir en week-end mais au moins l'a-t-elle fait, au moins a-t-elle eu le courage de le faire et pour cela, pour ce minuscule cela, qu'elle en soit remerciée."
D'un cynisme déchirant...
"Je lui disais : « Tu ne peux pas continuer comme ça. Un jour, tu vas craquer. » Elle riait. Il fallait tenir bon. Tenir sans se douter que ceux qui souffraient le plus, ceux que le burn out épuisait, écrasait plus encore que les autres, étaient ceux qui tiendraient le plus longtemps. Comme un fruit que l'on croque une fois qu'il a parfaitement mûri, qu'il a pris son temps. S'accrocher à la corde. Elle l'étranglait."
D'une effrayante bienveillance....
Tout ceci est tellement et terriblement vrai, car qui mieux pour en parler que les victimes elles-mêmes, les proches devenus bien malgré eux des dommages collatéraux.
Les victimes qui malgré les alertes, les remarques, les constats fait par ces proches restent sourds et insensibles, involontairement, à ces signaux d'alarme, à ces bouées jetées en direction de celui où celle qui s'enfonce inexorablement...
Car c'est de cela qu'il s'agit : d'une descente aux enfers, lente voire même très lente. Et le souci c'est que pour faire un parallèle avec une autre descente aux enfers celle de
Dante, là point de
Virgile comme guide, pour vous aider à comprendre et avancer et ensuite remonter.
Car une fois arrivé au plus bas, vous avez le choix : trouver une étincelle aussi infime soit-elle, ou alors laisser la flamme s'éteindre, et de fait donner la victoire aux seul(s) responsable(s) de cet état de fait, où plus simplement de cet état.
Ces responsables dont le cercle vicieux tourne en 3 mots : séduction, manipulation, destruction. Cercle qui se répète à l'infini pour la victime et à l'envi pour le responsable. Jusqu'à ce qu'un jour le niveau maximal soit atteint et que la destruction doit totale. le corps et l'esprit cèdent de concert.
Le responsable, lui, trouvera un nouveau jouet avec lequel il répétera son schéma diabolique.
La victime, elle, reste là seule face au regard des autres qui n'y voit qu'une "fatiguette", et qui pleins de bons conseils de ceux qui diront ces phrases toutes faites lues dans les mêmes ouvrages mentionnés plus haut, un festival de vide : Repose toi ça ira mieux après ; prends quelques jours ; prends du recul ; pense à autre chose ; pense d'abord à toi, ...
Sans compter ceux qui pense que tout ceci n'est qu'une comédie, un caprice :
"Les gens ne savaient pas. Ils ne comprenaient pas. Ils doutaient. Ils souriaient dans le dos, sur le chemin du retour de chez eux après le dîner ou les verres échangés, un burn out, était-ce vraiment raisonnable ? Était-ce vraiment sérieux, possible, de disjoncter de l'intérieur ? Elle n'a pas l'air d'aller si mal, tu ne trouves pas ? Ils remettaient en cause, comme une rumeur, une légende urbaine, ceux qui y croyaient, ceux qui n'y croyaient pas, ceux qui pensaient qu'elle exagérait. Allez, quand même, un effort, quand on veut on peut. Une maladie ? Allons bon. Une fantaisie. Un accès de flemme. Une douce imposture qui ne passerait pas l'hiver. Et puis c'était invisible, un burn out : elle ne saignait pas, elle n'avait pas perdu vingt kilos, elle ne boitait pas, les pustules n'avaient envahi ni son visage ni son corps, elle conservait tous ses cheveux, pas de cernes, l'absence de pansement, de marques sur la peau, le burn out ne se voyait pas, ne laissait aucune trace, il était de ces maladies transparentes, couleur de l'eau des torrents, de ces handicaps qui ne sautaient pas aux yeux et que de bonnes âmes rangeaient précautionneusement dans la catégorie : « C'est dans la tête que ça se passe. »"
En tout cas le constat est là et sans appel ceux qui tiennent le plus longtemps, qui refusent de lâcher prise, de lâcher l'affaire, de s'avouer vaincus allaient, au final, le plus souffrir.
Eux, les orgueilleux du monde du travail, les forçats du capitalisme, eux qui n'avaient pas le choix ; celles à qui on ne laissait pas le choix, sont ceux qui peinent, peineraient et peineront le plus lorsqu'il allait s'agir, de remonter à la surface, s'ils y parvenaient un jour.
Ces forçats que personne ne veut voir malgré un monde du travail où il existe des responsable des Ressources Humaines (qui feraient bien de lire ce livre), qui ont généralement oublié ce qu'est une ressource, du moins dans ce qu'elle a de plus vil de et qui ont à fortiori oublié l'aspect humain, tant ce sont deux mots qui a la limite ne vont pas ensemble.
D'ailleurs ce n'es pas moi qui le dit mais le dictionnaire
De l'Académie Française : "On voit que Ressources humaines n'apporte qu'un mince concours à la langue française et travaille à la rendre moins claire."
Remontée qui s'avère plus longue que la descente, pour entamer une reconstruction dans l'acception la plus forte : Construire de nouveau ; rebâtir, relever un bâtiment, un édifice, un ouvrage d'art partiellement ou entièrement détruit, là "l'édifice" étant une être humain dans ce qu'il a de physique et de psychologique.
"Les peines de l'enfer sont infiniment plus grandes que notre langue ne peut le dire" (
Umberto Eco - le nom de le rose / Nouvelle édition augmentée 40 ème anniversaire / Éditions Grasset / 16 novembre 2022)
Ce livre apporte la réponse qu'il y a un avant, qu'il y a un après mais un autre après dans lequel il faut vivre avec cette cicatrice invisible et permanente qui ne demande qu'à se rouvrir.
Ce livre démontre que l'amour seul ne suffit pas à sauver celui ou celle qui n'est plus en assez bonne santé pour simplement en concevoir la possibilité, la vérité, le souvenir même.
Parce que non, ça n'ira pas mieux demain. Demain sera autre. Demain sera différent. Mais rien que ça, c'est un bel espoir.
"Ce livre a été écrit, parmi mille raisons, pour lui rendre la mémoire. Lui raconter ce qu'elle a vécu, ce par quoi elle est passée, ce qu'elle a surmonté."
Et bien sachez Monsieur Duyck, que votre livre je l'espère rendra la mémoire à bien d'autres, et quant à moi je ne peux que vous dire MERCI
D'autre part, je viens de terminer cette critique, sur laquelle je suis revenu plusieurs fois, tel Pénélope remettant sans cesse son ouvrage sur le métier, et que je mes suis décidé enfin à publier grâce à deux événements ou coïncidences :
- la lecture d'Épicure, Lettre à Ménécée où il y est écrit "Et il n'est pas facile non plus de supporter la douleur : on peut bien se répéter que terrible, elle ne dure pas longtemps, ou que longue, elle n'est pas si terrible, il reste qu'elle est terrible et qu'elle est longue. Et c'est pourquoi les douleurs de l'âme sont bien pires que celles du corps, dans la mesure où elles sont autrement longues, puisque, dans l'âme, elles se redoublent avec le temps, alors que le corps ne ressent que la douleur présente.
Au fond, le raisonnement nous apprend plus à accepter la douleur qu'à la supporter.
(Éditions Les
Belles Lettres - octobre 2022 - Traduction Jean-Louis Poirier / illustrations d'Hubert le Gall)
- une autre critique parue récemment sur ce livre, qui a fait remonter à la surface tant de choses qu'ils était temps de finaliser la mienne.