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EAN : 9782890913509
250 pages
Remue Menage (11/11/2012)
4.19/5   35 notes
Résumé :
Militante féministe, Andrea Dworkin a voulu comprendre pourquoi des femmes rejettent le féminisme et n'hésitent pas à se montrer racistes et homophobes. Comment expliquer cet apparent paradoxe? Dans un contexte où les femmes sont subordonnées aux hommes, les femmes de droite concluent ce qui leur paraît le marché le plus avantageux : en échange de leur conformité aux rôles traditionnels, la droite leur promet la sécurité, le respect, l’amour. Elles font donc le pari... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Ce qui parait le plus noir, c'est ce qui est éclairé par l'espoir le plus vif

Il y a un certain scandale à attendre 30 ans pour disposer enfin du livre d'Andrea Dworkin. Et comment ne pas mettre cela en regard du mépris pour les études féministes par la majorité des universitaires et des « politiques », par les grands éditeurs. Sans oublier le climat anti-féministe permanent comme l'on montré récemment l'affaire DSK (voir le livre coordonné par Christine Delphy : Un troussage de domestique, Syllepse 2011) ou les déclarations hétéro-sexistes lors du débat autour du mariage.

Certain-ne-s diront, mais peu briseront le silence, qu'Andrea Dworkin exagère, que la situation des femmes n'est plus la même, que la situation en France n'est pas comparable à celle des États-Unis. Certain-ne-s iront même jusqu'à monter du doigt d'autres pays, où les femmes ont moins de droits, etc.

Mais les un-e-s et les autres esquiveront ainsi le fond des analyses, l'inégalité structurelle dans les rapports sociaux de sexe, le système de genre, la domination organisée des hommes sur les femmes, l'assignation des femmes à « leur sexe à baiser et leur corps à enfanter ».

Quelques-un-es ne manqueront de s'offusquer du vocabulaire ordinaire et trivial utilisé par l'auteure, préférant les jargons élitaires pour cacher leur anti-féminisme concret.

Le titre de cette note est la lumineuse dernière phrase de la préface « Patriarcat et sexualité : pour une analyse matérialiste » de Christine Delphy.

Celle-ci indique quant-au silence fait sur l'auteure « La première raison du silence fait sur elle est sans doute que Dworkin est radicale. Elle écrit sur un sujet qui, alors qu'on prétend en parler, est en réalité toujours aussi tabou : la sexualité, et plus précisément l'hétérosexualité, et plus précisément encore, sa pratique et sa signification, dans un contexte précis : la société patriarcale. Elle parle de sexualité dans un régime de domination, et de sexualité entre dominants et dominées ». Christine Delphy nous parle de cette violence partie intégrante de la société patriarcale, de cette violence tolérée par la société, de cette violence invisibilisée au quotidien. Elle souligne que « la violence n'est pas de la sexualité », que le viol n'est pas de la sexualité, que les individus sont éduqués « à être des deux genres » et que l'hétérosexualité occupe un place primordiale dans la définition de chaque genre. Cet horizon « non choisi et désiré, cette destinée n'a pas la même force pour les dominants et les dominées ».

Christine Delphy ajoute « Aussi quand Dworkin écrit que les hommes baisent les femmes et que l'acte sexuel c'est ça, combien de femmes peuvent-elles entendre cela ? » ou « Or Dworkin écrit, dans tous ses livres, et dans celui-ci aussi, que la baise est dans notre culture une humiliation : pas telle ou telle baise mais toutes les baises. Là réside la source du malaise pour nombre de féministes » ou bien encore « Dworkin dit que ce ne sont pas des scories mais des éléments constitutifs de la sexualité patriarcale, que la volonté d'humilier, de rabaisser, d'annihiler la personne-femme n'est pas spécifique à tel ou tel type de baise, mais qu'elle existe dans la définition, dans le coeur – qu'on voudrait pur – de l'acte sexuel hétérosexuel ». Nous sommes au centre du discours, de l'analyse de cette auteure. D'où un malaise probablement ressentie par les femmes lectrices et les hommes lecteurs qui soutiennent les féministes. J'ajouterai, quitte à faire grincer des dents, que les hommes connaissent bien cette réalité et que pour la très grande majorité d'entre eux, ils n'entendent pas renoncer à leur pouvoir. Voir le très beau livre de Léo Thiers-Vidal : de « L'Ennemi principal » aux principaux ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination (Editions L'Harmattan Paris 2010).

Christine Delphy souligne aussi la noirceur du tableau de la domination dressé par Andrea Dworkin et montre pourquoi certaines femmes « choisissent pour elles-même et recommandent aux autres d'adopter un rôle et une place traditionnels ». Elle ajoute « Si Dworkin comprend les »femmes de droite », c'est qu'elle partage avec elles un pessimisme radical, en tout cas en apparence. C'est ce qui rend son message si difficile à entendre par les femmes qui ne sont pas »de droite » ; par celles qui ne sont pas résignées au statu quo, et luttent pour un changement qu'elles croient possible, et parce qu‘elles le croient possible. L'intimité sexuelle est censée être en dehors du social ; non seulement elles la croient exempte des rapports de force hors chambre à coucher, mais elles croient que c'est là qu'elles ont une chance de rattraper leur désavantage vis-à-vis des hommes ; l'amour est toujours présenté comme le pouvoir des femmes, comme l'antidote à la domination ». Elle poursuit sur une série de questions concernant le « saisissement » et le retournement, de gains du mouvement féministe, par les hommes, comme armes contre les femmes.

Christine Delphy parle aussi de la « prééminence et de l'obsession du coït largement partagée dans toutes les cultures du monde », du coït comme représentation (« l'interprétation de la pénétration coïtale ne peut pas se faire sans prendre en compte l'ensemble du contexte ») de la hiérarchie des genres, de l'hyper-sexualisation, du profond backlash en matière de sexualité.

Et que dire du vocabulaire, l'homme « prend », « possède » la femme. Vocabulaire peu atteint par les re-significations possibles de « la pratique de la copulation comme un »enveloppement » ». Sans oublier « L'ultime victoire étant d'obtenir que la femme adapte son désir jusqu'à jouir de sa propre destruction ». Comment peut-on « effacer la marque indélébile du genre », jusqu'à ce numéro 2 indiqué dans la codification INSEE.

Toujours et encore, il convient de rappeler qu'il n'y a rien de naturel dans cette construction sociale. J'ai aussi apprécié la critique menée sur les théories queer. Christine Delphy a bien raison d'ajouter, en parlant de vieille rengaine de la culture patriarcale, « comme toute culture de la domination, se prétend la victime de ce qu'elle a fabriqué, et ouvre les mains dans un geste classique de désespoir ».

Elle conclue « l'humanité n'est pas condamnée à ce choix restreint », « c'est une organisation sociale, qu'ont peut changer, qu'on changera par lutte ». Pour finir par « Ce qui parait le plus noir, c'est ce qui est éclairé par l'espoir le plus vif », déjà cité.

Le livre est divisé en cinq chapitres :

La promesse de la droite extrême

La politique de l'intelligence

L'avortement

Juifs et homosexuels

Le gynocide annoncé

L'antiféminisme

Sans prétendre rendre compte de la richesse ce livre, de ses analyses complexes illustrées d'exemples, montrant une connaissance intime des situations étasuniennes et une grande radicalité dans la recherche, je choisis, subjectivement, des éléments. Je n'ai pas été capable de faire une note plus ramassée, plus synthétique. Il fallait de l'espace pour ces fortes paroles, pour ces puissantes analyses… D'où une présentation découpée en plusieurs « épisodes »

La promesse de la droite extrême. Il existe une rumeur, un commérage très ancien qui voudrait que les femmes soient « biologiquement conservatrices ». Ce commérage des hommes (y compris des scientifiques, des philosophes, des laïcs ou des religieux) « surtout s'il porte sur les femmes, devient une théorie, une idée, ou un fait ». Ajoutons que « les femmes ont des enfants parce que les femmes ont par définition des enfants ». Chuchotements et esprits pernicieux se mêlent durant des siècles pour soutenir « que les femmes se conforment à un impératif biologique qui découle directement de leurs capacités reproductives et se traduit nécessairement par des vies étriquées, des esprits bornés et un puritanisme assez mesquin ». La réalité mouvante, historique, les rapports sociaux, les rapports de pouvoir, les contradictions, etc., tout cela, lorsque leurs existences sont admises, se réduit à une fixité, un tableau peint par les hommes, un tableau achevé, immuable, éclairé par dieu ou par la nature, au gré des opinions, des rumeurs, des commérages, des hommes et de leurs institutions.

Mais « A l'évidence l'explication biologique de la prétendue nature conservatrice des femmes occulte les réalités de leurs vies concrètes et les cache dans les sombres recoins de la distorsion et du rejet ». Et Andrea Dworkin ajoute « les femmes savent, mais ne doivent pas l'admettre »…

J'ai volontairement, dans ces quelques premières lignes essayé de rendre le ton particulier de l'auteure.

Mais il ne s'agit pas seulement commérages, les femmes subissent « en toutes circonstances », cette dérision, cette réduction, dans leurs chairs, leur corps : « elles ne sont qu'un con », « une plotte », comme diraient nos ami-e-s québécois-e-s.

L'auteure complète par « Chaque femme, quelle que soit sa situation sociale, économique ou sexuelle, lutte contre cette réduction avec toutes les ressources dont elle dispose ».

En un court et très beau sous-chapitre autour de la mort de Marilyn Monroe (« Mais qu'elles soient célèbres ou inconnues, riches ou pauvres, seules les femmes meurent une à une, isolées, étouffées par les mensonges emmêlées dans leur gorge »), l'auteure accentue ses propos précédents. Elle ajoute « L'idéal, par définition, réduit la femme à sa fonction, la prive de toute individualité centrée sur ses intérêts et ses choix, ou sans utilité pour l'homme selon l'ordre masculin des choses ». Les femmes sont « un gibier pourchassé » et elle termine ce petit sous-chapitre par « Cette adaptation sexuelle, sociologique et spirituelle, qui agit comme une mutilation de toute capacité morale, constitue le premier impératif de survie pour les femmes vivant sous la suprématie masculine ». Réduire les femmes à leur sexe-pour-les-hommes- n'est pas seulement réduire leur sexualité.

Aux États-Unis, et ailleurs, sous d'autres formes, la droite « offre aux femmes un ordre social, biologique et sexuel qui s'avère simple, fixe et prédéterminé », « entend protéger le foyer et la place qu'y occupent les femmes », elle « promet que si elle obéit, elle ne subira aucun tort », sans oublier que cette droite « a la prévenance d'informer les femmes quant aux règles du jeu dont dépend leur vie. Elle leur promet également que les hommes, malgré leur souveraineté absolue, respecteront eux aussi les règles édictées ». L'emballage paré de mille couleurs se nomme « amour ». L'auteure discute fort habilement du religieux, des arguments spécifiant la « nature » des femmes. Elle rend palpables les raisons d'adhésion des femmes au refus du droit à l'avortement (« Les femmes de droite considèrent l'avortement comme le meurtre abject d'un bébé »), au refus de l'égalité des droits (Equal Rights Amendment ERA). Christ amérikanisé, « existence d'un oeuf fécondé plus authentique que celle d'une femme adulte », réalités vécues niées ou réduites à celles des hommes, « femmes assujetties à la volonté des hommes », etc… Un portrait sans concession.

Mais adhérer ne signifie jamais totalement céder, et céder ne sera jamais totalement consentir. Contre l'avilissement, le mépris et les violences des hommes, la colère parfois, l'espoir souvent, au delà de la peur, la révolte peut-être. Ceci explique, la fin de ce premier chapitre, qui s'ancre dans ces contradictions et non dans un idéalisme optimiste : « Voilà la lutte commune de toutes les femmes, quels que soient leurs camps idéologiques définis par les hommes ; et seule cette lutte a le pouvoir de transformer les femmes d'ennemies en alliées luttant pour une survie personnelle et collective qui ne soient pas fondée sur le mépris de soi, la crainte et l'humiliation, mais bien sur l'autodétermination, la dignité et l'intégrité authentique ».

La politique de l'intelligence. « Les hommes haïssent l'intelligence chez les femmes ». Andrea Dworkin expose les conditions du développement de l'intelligence, « privée de lumière de la vie publique, privée du discours et de l'action, elle meurt ». L'intelligence n'est pas une qualité privée, elle est sociale, politique, se construit en relation aux autres, « il lui faut des réactions, des défis, de véritables conséquences ». L'auteure nous parle de l'enfermement dans le foyer, le cantonnement aux travaux « féminins » dans le travail salarié, etc. et nous rappelle que pour les hommes, l'intelligence d'une femme « a moins d'importance que la forme de son cul ». Se construit pour les un-e-s et les autres une intelligence « comme fonction de la masculinité » et le « système sexiste d'évaluation des idées agit comme une massue qui réduit en bouillie l'intelligence des femmes ».

L'auteure souligne le rôle de l'alphabétisme « outil, comme le feu », qui participe « à la recherche du sens », qui contribue « à rendre cette recherche possible ». « L'alphabet » aujourd'hui nécessaire pour être, est sans commune mesure avec l'abécédaire ancien. Mais il commence toujours par la maîtrise du langage « Les gens sont avides d'explorer le monde dans lequel ils vivent au moyen du langage, qu'il soit parlé, chanté, récité ou écrit ». Refuser l'alphabétisme hier, l'éducation aujourd'hui, c'est refuser aux femmes des outils, « c'est leur refuser l'accès au monde ».

Andrea Dworkin fait aussi un détour par Virginia Woolf pour montrer les contraintes, les limites « fixées » aux fictions écrites par les femmes « la contrainte annihile : le langage qui doit taire le corps de l'auteure ne peut accéder au monde. Mais dire la vérité au sujet du corps d'une femme ne se résume pas à en expliquer les parties – c'est plutôt désigner la place de ce corps là dans ce monde-là, sa valeur, son usage, son rapport au pouvoir, sa vie politique et économique, ses capacités potentiellement réalisées et habituellement bafouées ».

La maîtrise et l'extension du savoir s'accroissent avec la confrontation, l'étude et les relations « un champ de savoir se transforme et s'accroît de même que la compétence à acquérir le savoir ».

Et l'intelligence est « davantage que ce qu'elle produit » et on ne peut « la cultiver et la parfaire qu'en l'exerçant dans le domaine de l'expérience réelle et directe ».

L'auteure nous parle de l'intelligence créatrice, de l'intelligence morale « exercice constant de la capacité de prendre des décisions », (elle ajoute « Celles qui sont réduites à un con n'ont pas droit à l'intelligence morale »), l'intelligence sexuelle, qui ne se mesure ni par le nombre d'orgasmes, d'érections, de partenaires, etc. (« Ancrée dans le corps, elle ne pourrait pourtant jamais l'être dans un corps emprisonné, isolé, un corps privé d'accès au monde »), qui s'affirme « au moyen de l'intégrité sexuelle ». Elle nécessite « la possession légitime par la femme de son propre corps », une possession « absolue et entière ».

Si l'intelligence morale se confronte « aux questions du bien et du mal », l'intelligence sexuelle « devrait se mesurer à celles de domination et de soumission ».

Que dire alors lorsque les femmes sont niées dans leur corps, leurs désirs, qu'elles sont considérées, directement ou indirectement, comme des marchandises sexuelles, support à la marchandisation du monde à travers la publicité, la pornographie, sans oublier le système prostitueur. « L'intelligence sexuelle est assassinée parce que la sexualité de la femme est prédéterminée : elle est forcée d'être ce que les hommes disent qu'elle est : elle n'a rien à discerner ou à construire ; elle n'a rien à découvrir excepté ce que les hommes lui feront et le prix qu'elle devra payer, qu'elle résiste ou qu'elle cède » ou pour le dire autrement « Les hommes ont construit la sexualité féminine et, ce faisant, ils ont annihilé toute chance d'intelligence sexuelle chez les femmes ».

Dans l'organisation de nos sociétés, Andrea Dworkin montre pourquoi les femmes ont « besoin de ce que les hommes ont à donner : elles ont besoin de la sollicitude matérielle des hommes, pas de leur queue mais de leur argent. La queue est l'incontournable condition préalable ; sans elle, il n'y a pas d'homme, pas d'argent, pas d'abri, pas de protection ». Et cela a aussi quelque chose à voir avec la séparation politique des sphères privée et publique et l'assignation des unes à la première et des autres à la seconde.

L'auteure nous parle de Victoria Woodhull, éditrice de la première édition traduction du Manifeste du Parti communiste aux États-Unis, sa haine de l'hypocrisie des femmes mariées, de l'état de prostitution, de l'avilissement des épouses et des putains, et des hommes « qui profitaient sexuellement et économiquement du mariage » ; ses dénonciations du viol conjugal et du coït obligatoire « comme but, signification et méthode du mariage ». Elle y opposait l'unification des femmes « dans une perception commune de leur condition commune ».

Il y a un sens politique à la sexualité, à l'appropriation sexuelle et économique du corps des femmes par les hommes. Ce n'est pas une affaire privée, de chambre à coucher… Ce n'est pas une affaire de « complémentarité » mais bien d'inégalité.

Sans oublier le mythe de l'oisiveté des femmes au foyer « Derrière l'écran de fumée de l'oisiveté idéale, il y a toujours le travail des femmes ». Et derrière la femme il y a le sexe, « la femme est le sexe ».

Pour terminer ce chapitre, je reproduis un autre fort passage qui illustre la pensée de l'auteure : « La condition sociale des femmes repose sur une prémisse simple : les femmes peuvent être baisées et porter des bébés, donc elles doivent être baisées et porter des bébés. Parfois, surto
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Attention lecture choc !! Découverte de Dworkin pour moi, j'ai été attirée par le titre déjà très cash, cherchant des réponses à mes interrogations personnelles. Les femmes de droite, essai écrit en 1983, apporte effectivement des éléments pour réfléchir à la question du féminisme et de l'antiféminisme comme objet de clivage politique, toujours brûlante.

Il s'agit d'un texte difficile à lire, pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'il nous plonge dans un contexte très étranger : la culture politique américaine - amérikaine comme le singe l'autrice, la période des années 70 80. Grand nombre de références citées ne sont pas familières aux lecteur.ices français.es.

Ensuite parce que le style de Dworkin est violent, cru, comme porté irrésistiblement par l'intention de partager sa colère, de choquer et faire bouger le lecteur. Dworkin rapporte également de nombreux témoignages issus de son expérience personnelle. le registre est plus celui d'une conférence, d'une forme de prédication féministe, que de l'essai argumenté.

Enfin pour une raison pratique : ce texte traduit et diffusé par une maison d'édition canadienne m'a semblé mis en page de façon très compacte, rendant la lecture fatigante (trop de texte dense sur la page).

Les écrits d'Andrea Dworkin ont fait l'objet de traductions et rééditions en France ces dernières années et j'aimerais en lire plus tant cette lecture m'a marquée, intellectuellement, mais aussi intimement. Son aspect outrancier m'a semblé désespérément juste. L'analyse des mécanismes de protection qui poussent certaines femmes à la haine du féminisme n'est pas un sujet souvent abordé. L'hypocrisie de la "révolution sexuelle" des années 70, non plus.

Le caractère central de la domination sexuelle, alimenté par l'objectivation de la femme, son injonction à la disponibilité sexuelle, à la baise et à la procréation, ne peut que faire réfléchir. Dans un des développements, où l'autrice imagine un futur cauchemardesque, on retrouve l'univers du roman dystopique à succès Handmaid's tale, la servante écarlate, publié quelques années plus tard, en 1985.

Ce n'est pas en tout cas une lecture à conseiller à quelqu'un qui serait vierge de toute culture et conviction féministe. Mieux vaut être déjà très sensibilisé à la question des violences faites aux femmes notamment à l'emprise de la sexualité dans les rapports de pouvoir imposés aux femmes. C'est sûrement une lecture très difficile pour un homme.

Le propos d'Andrea Dworkin est très clairvoyant quoique vieux de 40 ans, pour prendre du recul sur ce qui se joue toujours dans les années 2020. Pornographie devenue une quasi norme, clivages entre wokisme et identitarisme, sous cache sexe religieux, le féminisme post me too est une nouvelle doxa progressiste portée par la gauche et combattue par la droite. Après la lecture des Femmes de droite on comprend un peu mieux certaines racines du phénomène actuel.

Je mets à jour cette critique en février 2024 après avoir écouté plusieurs émissions sur le mouvement des tradwives. La lecture de ce livre de Dworkin, qui évoque directement les positions de Phyllis Shlafly, militante antiféministe de l'époque, permet de comprendre l'archéologie de ce mouvement qui prend une nouvelle ampleur grâce aux réseaux sociaux.
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Je suis très mitigée sur Andrea Dworkin. J'admire son érudition, je comprends la nécessité du pamphlet et du brûlot, et j'entends et partage sa colère, venue de ce foyer ardent commun à tant de femmes.

Il m'arrive aussi de la trouver absurde, manichéenne, parfois essentialiste à l'extrême. J'ai l'impression qu'elle force le trait pour faire passer un message que l'on a compris bien en amont, dans un style qui semble dire "si vous n'êtes pas d'accord avec moi c'est que vous êtes l'ennemi(e)". Venant de plumes aguerries, ce genre de rhétorique me parvient souvent comme un constat d'échec.

Ces réserves étant posées, je suis heureuse que "Les femmes de droite" ait fini par voir le jour en langue française. Ici la démarche est remarquable : Dworkin engage une réflexion frontale, profonde et provocatrice sur les inconvénients et les "avantages" pour une femme de se plier aux injonctions du patriarcat. Dworkin se place de l'autre côté du spectre pour une étude critique mais non dénuée d'empathie, le tout porté par un travail de recherche et d'analyse exemplaire et souvent très convaincant. Quelle que soit la place qu'occupent les femmes dans la société, elles doivent négocier avec la réalité et y laisser des plumes, et la démonstration faite dans ces pages est globalement éloquente.

Quelques remarques néanmoins. Au moment où j'écris ces lignes, soit plusieurs décennies après la parution de l'ouvrage, le sujet traité est plus pertinent que jamais, mais il a bien sûr suivi des développements particuliers. Il va de soi que la question de la "droite" américaine s'est redéfinie, depuis Bush Jr et évidemment plus encore depuis Trump. Très insidueusement, au moins depuis Reagan, cette droite a trouvé une façon de se rendre immédiatement attractive auprès de certaines femmes parfois éloignées des structure d'assujetissement au mari ou à la structure familiale. le temps n'a fait que renforcer cette tendance et il me paraît clair que beaucoup d'Américaines aujourd'hui sont proactivement conservatrices, pour des raisons plus subtiles qu'une stricte adhésion aux codes du patriarcat ou une peur de ce dernier.

De même, les données sociologiques, les théories contemporaines du genre et du féminisme ont largement évolué depuis l'époque d'Andrea Dworkin, avec des approches intersectionnelles qui tiennent compte d'autres formes complexes de discrimination et de privilèges.

Dernière réflexion personnelle à ce sujet, l'accent mis par Dworkin sur l'impératif sexuel masculin m'apparaît comme un aspect daté de son oeuvre. J'aurais tendance à trouver cela désormais réducteur et je pense qu'il y aurait plus à chercher du côté de la notion plus globale de pouvoir (qui inclut la sexualité, mais pas seulement, loin de là) pour observer les dérèglements qui nous entourent.
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On retrouve l'acidité et la vision très sombre de Dworkin dans ce livre où elle aborde la vision des femmes de droite, loin de les percevoir comme leurrées, trompées, manipulées, elle leur attribue au contraire une très grande lucidité désillusionnée.
Pour Dworkin, les femmes de droites, anti-féministes, savent qu'elle n'obtiendront jamais l'égalité et préfèrent souffrir le moins possible et avoir la position la plus sûre et valorisée possible.
Plutôt subir un seul mari, qu'une horde d'hommes, plutôt mariée que prostituée. Plutôt enfermée à la maison à s'occuper des enfants et valorisée partiellement en tant que mère, qu'honnie complètement à la rue.

On peut noter que ce livre des années 70-80 est étonnamment d'actualité et que Dorwin avait étonnant analysé si précocement, les dérives en cours et à venir. Cette lucidité est impressionnante à remarquer.
Dans sa vision, il est parfois facile de se perdre, car elle passe du sexisme, de la misogynie, au racisme, à l'antisémitisme et passe d'une sujet à l'autre avec aisance car elle tisse des liens entre ses divers discriminations. Comme je le fais aussi, je suis ce fil logique des catégorisations sociales avec des valeurs attribuées aux groupes, mais je ne sais pas si la logique est si intelligible pour la plupart des gens.

Dworkin nous envoie un message sans concession, dur, tranchant comme la pierre. du féminisme radical, pur et dur, sans fioriture. Je l'ai trouvé bon. À alterner avec des lectures plus légères pour ne pas perdre espoir.
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Andrea Dworkin est passionnée et très intelligente. Dans ce livre, il offre une description incisive et empathique des femmes qui s'opposent aux luttes féministes. Elle rend compte de leurs arguments en les prenant au sérieux, et y répond avec le même soin.
Le tout est un portrait saisissant et poignant de ces femmes et de leur façon de gérer la situation.
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Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
Il existe deux modèles qui décrivent essentiellement la façon dont les femmes sont socialement contrôlées et sexuellement utilisées : le modèle du bordel et celui de la ferme.

Le modèle du bordel est lié à la prostitution, au sens strict, des femmes rassemblées aux fins d’être utilisées pour le sexe par des hommes, des femmes dont la fonction est explicitement non reproductive, presque anti-reproductive ; des animaux sexuels en rut ou qui feignent de l’être, s’affichant pour le sexe, qui se pavanent et posent pour le sexe.

Le modèle de la ferme est lié à la maternité, aux femmes en tant que classe ensemencées par le mâle et moissonnées ; des femmes utilisées pour les fruits qu’elles portent, comme des arbres ; des femmes allant de la vache primée à la chienne pelée, de la jument pur-sang à la triste bête de somme.
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Les femmes de droite ont examiné le monde; elles trouvent que c'est un endroit dangereux. Elles voient que le travail les expose à davantage de danger de la part de plus d'hommes ; il accroît le risque d'exploitation sexuelle. Elles voient ridiculisées la créativité et l'originalité de leurs semblables ; elles voient des femmes expulsées du cercle de la civilisation masculine parce qu'elles ont des idées, des plans, des visions, des ambitions. Elles voient que le mariage traditionnel signifie se vendre à un homme, plutôt qu'à des centaines : c'est le marché le plus avantageux. Elles voient que les trottoirs sont glacials et que les femmes qui s'y retrouvent sont fatiguées, malades et meurtries. Elles voient que l'argent qu'elles-mêmes peuvent gagner au travail ne les rendra pas indépendantes des hommes, qu'elles devront encore jouer les jeux sexuels de leurs semblables: au foyer et aussi au travail. Elles ne voient pas comment elles pourraient faire pour que leur corps soit véritablement le leur et pour survivre dans le monde des hommes. Elles savent également que la gauche n'a rien de mieux à offrir: les hommes de gauche veulent eux aussi des épouses et des putains ; les hommes de gauche estiment trop les putains et pas assez les épouses. Les femmes de droite n'ont pas tort.
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Les filles de la gauche contre-culturelle avaient tort: pas à propos des droits civiques ou de la guerre du Vietnam ou de l'impérialisme amérikain, mais à propos du sexe et des hommes. Le silence des mères dissimulait sans doute un savoir réel ,brutal, dépourvu de sentimentalisme sur les hommes et sur le coït, et la bruyante sexualité des filles dissimulait une ignorance romantique.
Les temps ont changé. Le silence a été rompu -ou du moins, certains pans du silence. Les femmes de droite qui défendent la famille traditionnelle occupent la place publique: elles parlent fort et elles sont nombreuses. Elles dénoncent tout spécialement l'avortenment légal, qu'elles abhorrent; et ce qu'elles en disent reflète ce qu'elles savent au sujet du sexe. Elles savent des choses terribles. Elles dénoncent systématiquement l'avortement parce qu'il est selon elles inextricablement lié à l'avilissement sexuel des femmes. Il serait naïf de penser qu'elles ont simplement raté le train des années soixante: elles ont tiré des leçons de ce qu'elles ont vu. Elles ont vu le cynisme des hommes utilisant l'avortement pour baiser plus facilement les femmes - d'abord l'utilisation politique de cet enjeu puis, après la légalisation, le recours concret à l'intervention médicale. Quand l'avortement a été légalisé, elles ont vu un mouvement social de masse visant à garantir aux hommes, à leurs conditions, l'accès sexuel à toutes les femmes - soit le déferlement de la pornographie; et oui, elles relient ces deux enjeux, et pas en raison de quelque hystérie. L'avortement, disent-elles, prospère dans une société pornographique ; la pornographie prospère dans ce qu'elles appellent une société de l'avortement. Ce qu'elles veulent dire, c'est que les deux réduisent les femmes à la baise.
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Si Dworkin comprend les "femmes de droite", c’est qu’elle partage avec elles un pessimisme radical, en tout cas en apparence. C’est ce qui rend son message si difficile à entendre par les femmes qui ne sont pas "de droite" ; par celles qui ne sont pas résignées au statu quo, et luttent pour un changement qu’elles croient possible, et parce qu‘elles le croient possible. L’intimité sexuelle est censée être en dehors du social ; non seulement elles la croient exempte des rapports de force hors chambre à coucher, mais elles croient que c’est là qu’elles ont une chance de rattraper leur désavantage vis-à-vis des hommes ; l’amour est toujours présenté comme le pouvoir des femmes, comme l’antidote à la domination
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L'antiféminisme qui s'appuie sur la domination masculine naturelle soutient aussi que c'est naturellement que les hommes dominent le gouvernement, la politique, l'économie, la culture, l'État et la politique militaire, et que les hommes affirment naturellement leur domination en ayant entre les mains toutes les institutions sociales et politiques. Une femme-alibi ici ou là n'empêche en rien les clubs de pouvoir presque exclusivement masculins d'écraser efficacement tout espoir de véritable autorité ou influence pour les femmes. Une femme à la Cour suprême, une autre au Sénat, une première ministre, une cheffe d'État occasionnelle constituent moins des modèles qu'une rebuffade pour les femmes économiquement démoralisées, qui sont censées accepter ces alibis comme exenples de ce qu'elles pourraient être elles aussi si seulement elles étaient différentes - meilleures, plus intelligentes, plus riches, plus jolies, pas si empotées. Les femmes-alibis doivent multiplier les précautions pour ne pas offenser la conception masculine de la féminité, mais leur visibilité a inévitablement cet effet. Elles s'en tiennent donc au discours convenu sur la féminité, tout en supportant les critiques, puisque de toute évidence, elles ne sont pas au foyer en train de se faire baiser. La femme qui n'est pas une femme-alibi subit surtout de leur part une certaine condescendance, qu'elle ressent de façon aigüe et répétée puisqu'on désigne toujours ces femmes pour lui prouver que sa situation n'est pas le fait d'une société qui l'exclut.
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Videos de Andrea Dworkin (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Andrea Dworkin
Dans le webinaire trimestriel de notre revue Prostitution et Société, Harmony Devillard nous parle du premier livre de la féministe radicale états-unienne Andrea Dworkin : Woman Hating, de la misogynie. Harmony a co-traduit avec Camille Chaplain cet ouvrage magistral écrit en 1974. Où l'on apprend qu'en ce qui concerne les femmes, contes de fées et pornographie racontent la même histoire : une femme bonne, c'est une femme morte...
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Philosophes au cinéma

Ce film réalisé par Derek Jarman en 1993 retrace la vie d'un philosophe autrichien né à Vienne en 1889 et mort à Cambridge en 1951. Quel est son nom?

Ludwig Wittgenstein
Stephen Zweig
Martin Heidegger

8 questions
152 lecteurs ont répondu
Thèmes : philosophie , philosophes , sociologie , culture générale , cinema , adapté au cinéma , adaptation , littératureCréer un quiz sur ce livre

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