Ce tome constitue le début d'une des séries qui ont servi à relancer l'univers Valiant partagé à partir de zéro. Il contient les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2012, écrits par
Joshua Dysart, dessinés par
Khari Evans, avec l'aide de
Lewis Larosa pour les épisodes 2 & 3, et de
Matthew Clark pour les épisodes 4 & 5. La mise en couleurs a été réalisée par Ian Hannin. Ce tome constitue une bonne porte d'entrée pour découvrir l'univers partagé Valiant.
En 1951, un jeune homme arrive dans une gorge encaissé du nord du Tibet. Il s'appelle Toyo Harada. Il pénètre dans un monastère où plusieurs dizaines de soldats le mettent en joue. Il finit par pouvoir accéder et parler à un vieux moine assis en position de lotus, semblant saigner en continu. de nos jours à Pittsburgh, Peter Stanchek (18 ans) pénètre dans une pharmacie et oblige le pharmacien à lui remettre des médicaments, en utilisant ses capacités télépathiques.
Toujours au temps présent, Toyo Harada est devenu le président d'une multinationale qui s'apprête à déployer des robots médicaux en Syrie. Il demande à ses équipes de localiser Peter Stanchek, parce le moine en sang l'a vu dans ses rêves. Stanchek a trouvé refuge dans un pavillon de banlieue dont les propriétaires sont en vacances, avec son pote Joe (Joseph Irons). Il se sert de ses pouvoirs pour se faire obéir de Kris Hathaway, une jeune femme qui fut son amie à l'école.
En 1992, Valiant publiait son premier comics : Harbinger, écrit par
Jim Shooter (ex éditeur en chef de Marvel) et dessiné par
David Lapham. En 2012, Valiant recommence à publier des comics, après plusieurs années d'interruption. le premier titre sort en mai 2012 : X-O Manowar. En juin 2012, c'est au tour d'Harbinger. Vu de l'extérieur, le lecteur se dit qu'il va découvrir une variation pas forcément originale des X-Men, avec un jeune mutant (le terme utilisé dans la série est celui de psiot, parce que Marvel dispose d'un droit de préemption sur le terme Mutant) qui est recruté dans une école pour surdoués par un télépathe de grande ampleur.
Dans les faits, il découvre une introduction avec un moine tibétain en 1951. Puis il passe au temps présent, dans une ambiance réaliste, à suivre 2 jeunes fugueurs dont 1 avec des dons de télépathe qu'il ne contrôle pas. de son côté, Toyo Harada est le propriétaire d'un conglomérat prospère, un capitaliste, un homme d'affaires dont l'altruisme s'exprime par des produits (les robots médicaux) à visée humanitaire. Khari Andrews,
Lewis Larosa et
Matthew Clark font un effort manifeste pour rester dans un registre réaliste. Ils réalisent des dessins descriptifs.
Le lecteur n'éprouve pas vraiment l'impression d'être placé dans une position de touriste, pour visiter le centre-ville de Pittsburgh, ou sa banlieue pavillonnaire. Toutefois, il y a assez de détails pour que ces 2 lieux fassent authentiques. Les gratte-ciels de downtown rutilent, avec leurs bureaux éclairés 24 heures sur 24, la foule est vêtue de vêtements fonctionnels et diversifiés. L'échoppe du pharmacien est encaissée dans un milieu urbain dense. Les pelouses de la banlieue s'ornent de jeux pour enfants sur le devant, d'une petite clôture autour de la piscine derrière. Les couloirs et les pièces de la Fondation Harbinger sont plus fonctionnels. Les appartements privés d'Harada disposent d'une décoration et d'un ameublement luxueux. La chambre de Faith Herbert est décorée d'objets geek, à commencer par des maquettes de Star Wars.
Evans a conçu des apparences spécifiques pour chacun des personnages, permettant facilement de les identifier, sans que leur apparence ne soit exagérée. Au cours de la lecture, la présence de plusieurs d'entre eux ressort avec force. Il y a la gentille Ingrid Hillcraft dont le lecteur voit qu'il s'agit d'une dame d'une cinquantaine d'années, posée, délicate de constitution, sans aucune velléité de confrontation physique. Il y a Kris Hathaway dont la force de caractère et sa défiance se lisent sur son visage et dans ses postures. Il y a également l'inattendue Faith Herbert dont la morphologie défie tous les critères habituels des comics, pour une représentation très honnête de son obésité (avec le goitre).
Les expressions des visages sont variées, avec parfois un petit manque de nuance. Néanmoins, l'artiste a fait un effort réel pour concevoir des expressions qui reflètent le caractère de l'individu. Ainsi Peter Stanchek a un visage assez dur et fermé, alors qu'Ingrid Hillcraft a un visage souriant et empathique pour mieux mettre en confiance ses clients (elle est psychologue). Les expressions de Faith Herbert en disent des volumes sur sa personnalité et son état d'esprit (c'en est presqu'effrayant).
Khari Evans évite de donner une apparence bon enfant à ses personnages, par les modalités de son encrage. Plutôt que d'utiliser un trait d'épaisseur variable avec des pleins et de déliés, il préfère repasser plusieurs fois au même endroit. le résultat n'est pas très agréable à l'oeil, comme si l'artiste avait eu besoin de s'y reprendre à plusieurs reprises jusqu'à réussir le contour qu'il souhaitait.
Pas facile pour un scénariste de donner envie de lire une histoire qui rappelle celle des X-Men, et qui en plus est une redite d'une version datant de 20 ans auparavant. Pourtant
Joshua Dysart parvient en 5 épisodes à raconter une histoire qui justifie son existence par rapport aux 2 modèles cités. Pour commencer, il ne rentre pas dans le moule d'une histoire de superhéros traditionnels. Il n'y a pas à proprement parler de costume de superhéros, juste les uniformes de la Fondation Harbinger. Il n'y a pas de baston avec échange de horions, mais des affrontements avec télékinésie. Il n'y a pas non plus d'altruisme impossible ou de patrouille pour lutter contre le crime.
Joshua Dysart utilise une approche plus naturaliste, dans laquelle Peter Stanchek souffre de son don, incapable de se protéger des pensées des autres, si ce n'est en s'abrutissant avec des médicaments. Il ne met pas ses capacités au service de la communauté, mais il en profite, et même en abuse. En face Toyo Harada n'est pas un père de substitution prêt à accueillir les individus persécutés. Il choisit ceux qu'il accueille et il les fait former à la maîtrise de leur pouvoir au sein de sa fondation.
En seulement 5 épisodes, le scénariste réussit à introduire la majeure partie de ses personnages de manière naturelle. Il développe plus Peter Stanchek, Joseph Irons et Faith Herbert que les autres (Charlene Dupre, Rachel Hopson, Daniel Hessler, Amanda McKee, Edward Sedgewick). Toutefois ces derniers montrent chacun leur caractère dans la manière dont ils s'expriment. Il parvient également à établir la nature des superpouvoirs, à chaque fois un pouvoir de l'esprit, la façon dont ils se manifestent la première fois, et comment se déroule le processus de recrutement. Il dévoile quelques éléments sur le passé d'Harada et sur celui de Stanchek. Au cours du récit le lecteur apprend quelques éléments de contexte sur l'organisation de la Fondation Harbinger, sur le positionnement des produits du conglomérat Harada, sur l'absence de d'informations délivrées au public concernant les psiots.
Joshua Dysart et
Khari Evans relèvent le pari délicat de lancer un nouveau comics sur une équipe de superhéros, qui présente assez de spécificités pour se démarquer de la production mensuelle et pléthorique de Marvel et DC. de ce point de vue, le pari est réussi, car Peter Stanchek ne rentre pas dans le moule des superhéros traditionnels, et il n'y a pas à proprement parler de supercriminel dont il faudrait contrecarrer le plan machiavélique du mois en cours. Ils s'écartent également du moule traditionnel par la personnalité de leur protagoniste principal (pas vraiment altruiste), des seconds rôles, et du mode d'utilisation des superpouvoirs.
Le lecteur ressort donc de ce premier tome avec la forte envie de connaître la suite du récit, même s'il connaissait déjà la version de 1992 de ces personnages. Il en ressort aussi avec l'impression d'avoir lu un prologue, que les personnages ne sont pas encore tout à fait assez développés, que le dessinateur éprouve quelques difficultés à conserver une consistance suffisante dans ses dessins en recourant régulièrement à des têtes en train de parler (mais avec un arrière-plan), et que le deuxième tome devra confirmer l'originalité de la série (c'est-à-dire prouver qu'elle ne rejoigne pas le schéma traditionnel des séries de superhéros).