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Critique de Presence


Ce tome comprend les épisodes 13 à 18 d'une série en 25 épisodes. Ces épisodes sont parus en 2009/2010, écrits par Joshua Dysart, dessinés et encrés par Pat Masioni (épisodes 13 & 14), et par Alberto Ponticelli (épisodes 15 à 18), mis en couleurs par Oscar Celestini.

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The way home (épisodes 13 & 14, illustrés par Pat Masioni) -Malgré l'aide d'Iris (une jeune adolescente également soignée suite à son embrigadement dans la LRA), Paul ne parvient pas à se sentir en confiance dans le centre d'accueil pour enfants de Gulu. Il s'enfuit et attend le Soldat Inconnu dans l'un de ses campements dans la brousse. Il réussit à lui extirper la promesse de traverser une partie de la région pour rejoindre ses parents dans un camp de déplacés internes.

Avec cette histoire, Dysart retrouve le niveau d'intensité du premier tome, en plus viscéral. le Soldat Inconnu avait épargné Paul, un jeune adolescent de l'armée rebelle, et l'avait confié aux bons soins d'un établissement spécialisé dans l'accueil et le soin de ces enfants soldats. le scénariste montre une sensibilité exceptionnelle pour à la fois faire exister Paul et Iris, mais aussi pour insérer le contexte de manière organique, sans naïveté, sans moralisme, et sans en rajouter dans le cynisme. le lecteur découvre un récit d'aventures qui dépeint de vrais individus et des situations réalistes, conformes aux événements.

Dans la postface, Dysart explique qu'il souhaitait que ces épisodes soient dessinés par un artiste originaire de la région. C'est ainsi que Pat Masioni (congolais, devenu réfugié politique en France, également dessinateur de Rwanda 1994) remplace Ponticelli. Dysart ajoute qu'il lui fallait trouver une personne dont le style graphique ne soit pas trop éloigné de celui des comics. Les dessins perdent une partie de leur aspect viscéral, et certaines cases montrent des visages avec des expressions de visage peu crédibles. Malgré tout, l'aspect visuel conserve un niveau de détails satisfaisant avec des mises en scènes construites. Par certains autres aspects, Masioni impressionne, en particulier par sa capacité de dessiner des enfants (Paul et Iris) de manière crédible, sans en faire des adultes miniatures. La naïveté qui apparaît dans quelques cases sert à transformer ces personnages en des individus fragiles, habités par leurs émotions. de ce point de vue, Masioni transcrit bien le scénario et lui ajoute une dimension émotionnelle augmentant l'implication émotionnelle du lecteur. Les dessins sont complétés par la mise en couleurs de José Villarrubia qui complète les dessins avec sa sophistication artistique habituelle.

Avec cette courte histoire, Dysart, Masioni et Villarrubia transfigurent un récit de genre pour en faire un roman transformant des images d'actualités en un témoignage vivant sur la réalité de cette guerre, mais aussi sur les aspirations de l'être humain. Indispensable.

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Épisodes 15 à 18 - En 2002, dans le nord de l'Ouganda, près de la frontière avec le Soudan. Moses Lwanga a choisi de séjourner dans le camp de déplacés internes où il a participé à un rituel d'absolution. Paul (le garçon, ex-soldat de l'armée rebelle, qu'il a conduit là) réside également dans le camp et vient lui rapporter les informations qu'il glane. La nuit dernière, le dispensaire du camp a été cambriolé, et tous les médicaments ont été volés. La saison sèche arrive, avec la recrudescence des maladies et la raréfaction de la nourriture et de l'eau. Les jeunes enfants sont les premiers touchés. Alice Oting voit son petit fils (dont elle avait la charge) mourir pendant la nuit à ses cotés. Elle accuse le médecin d'incompétence, et elle est persuadée qu'Aloyo Rose (une jeune femme dans la hutte voisine) a participé à cette mort, en lui jetant un sort. Elle l'accuse d'être une sorcière et une putain couchant avec le capitaine Christian Kamalie qui assure l'ordre militaire dans le camp. Moses Lwanga essaye de comprendre ce qui se passe, sans user de violence. Mais la situation devient intenable quand le docteur est assassiné en pleine nuit.

Le début de cette histoire prend le lecteur au dépourvu. Joshua Dysart semble avoir abandonné le conflit ougandais en lui-même en confinant son personnage principal dans un camp de déplacés internes, pour une enquête policière. Qui a volé les médicaments, et comment ? Qui a tué le médecin du camp ? En outre, Lwanga Moses semble guéri de sa schizophrénie : la personnalité du soldat inconnu est aux abonnés absents. Alberto Ponticelli semble moins à l'aise pour rendre ce camp de déplacés plausible : il n'y a que des huttes génériques (elles ont toutes exactement la même forme) en torchis, peu de détails, une absence totale de vue générale du camp. Il subsiste bien quelques scènes rappelant la difficulté de coexistence de plusieurs ethnies, et l'aggravation des conditions de vie provoquée par l'arrivée de la saison sèche.

Il n'est toutefois pas possible d'accuser Dysart de tourner le dos aux premiers épisodes de la série, puisqu'il insiste fortement pour donner une image honnête de l'animisme. C'est courageux de sa part, mais au départ le lecteur n'a le droit qu'à ces accusations de sorcelleries et de malédiction. Autant dire que ça ne correspond pas au degré de nuance du début. Il faut donc se montrer patient pour retrouver des scènes d'action dans la dernière partie de cette histoire, pour voir réapparaître d'autres facettes du conflit, et pour découvrir les coupables. La deuxième partie apporte également des éléments qui permettent de donner du sens aux actions de Lwanga Moses, de comprendre pourquoi il restait dans ce camp, et de voir émerger les enjeux réels derrière la disparition de ces médicaments. Finalement Dysart était bien resté au coeur du conflit pour en montrer une autre facette, une autre façon dont les populations locales se font piétiner. Simplement, la structure d'une enquête à la Agatha Christie n'était peut être pas la plus appropriée. En VO, le tome se termine par une postface de 3 pages de Dysart qui revient sur la spiritualité des Acholis, et qui fournit les éléments de compréhension nécessaires pour mieux apprécier l'évocation de la sorcellerie. La vision du lecteur s'en trouve transformé et son respect pour Dysart augmente d'autant devant son approche de ce thème délicat, et la façon dont il l'a traité et justifie l'apparition fantomatique d'un rhinocéros blanc.

Pour cette histoire, Ponticelli et Oscar Celestini ont opté pour une mise en couleurs qui se plaque par dessus l'encrage, atténuant ainsi la netteté des traits, à base de couleurs un peu doucereuses. Ce choix diminue fortement l'impact de ce qui est dessiné et installe une ambiance un peu cotonneuse peu opportune. Ponticelli a donc du mal à rendre la réalité du camp (en particulier les constructions trop génériques), par contre il est toujours aussi convaincant pour les individus. À part Lwanga et quelques soldats, il est visible que les réfugiés souffrent de mal nutrition (le texte n'a pas besoin d'insister sur ce point). Cette pertinence des images ne joue pas sur le misérabilisme, mais elle devient très dérangeante quand Paul observe Aloyo nue dans sa case. Ponticelli désamorce tout érotisme devant ce corps en souffrance, mal nourri. Il adapte chaque mise en scène à la nature de ce qui se passe, calme, contemplative et soucieuse des décors pour les dialogues, rapides, brutales et nerveuses pour les scènes d'action.

À l'instar de Dysart, Ponticelli fait également preuve d'un grand respect pour les individus qu'il dessine, prenant bien soin de préserver leur dignité. Les 2 auteurs mettent en scène des personnes aux convictions différentes, sans jamais les ridiculiser (Ponticelli ne transforme pas Alice en vieille folle). Cela ne signifie pas qu'il s'astreint à un style académique. En fait il joue même avec les préconceptions du lecteur, par exemple pour le personnage de cet enfant buté à qui il manque une main et qui se trimballe avec une hache. Mis en parallèle du rhinocéros, Ponticelli insère discrètement une forme de réalisme teinté de magie plausible.

La première partie de cette histoire donne l'impression au lecteur que Dysart et Ponticelli ont perdu le fil de leur propos et se repose sur une enquête artificielle, avec un élément folklorique (la croyance dans les esprits). Il y a comme une forme de hiatus trop important par rapport aux intentions des 2 premiers tomes. Puis il perçoit le dessein des auteurs, et la nature de leur propos, tout aussi ambitieux que précédemment, et sans redite. Dysart réussit à parler d'animisme sans condescendance ni moquerie ou supériorité intellectuelle nauséabonde, Ponticelli sait dessiner ces êtres humains en souffrance, sans les transformer en spectacle.
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