Magistral, tout simplement. Un des plus grands textes du vingtième siècle pour moi. Je reste persuadé que s'il avait vécu un peu plus, Noël X. Ebony aurait fini par remporter le prix Nobel de littérature. Tout est réussi dans ce recueil, pas une seule fausse note ; la transgression y est délicieuse et le propos élégant sans verser dans la grandiloquence. J'ai aimé le parfum de mélancolie qui plane dans Récit de voyage, ma section favorite de Déjà Vu.
Un classique trop méconnu des littératures africaines et francophones.
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j'avais coutume de me pencher tel le héron sur l'eau fangeuse
où l'on m'a condamné à puiser ma pitance
ce jour-là l'eau m'a renvoyé mon image
disloquée dispersée
entre mes chairs où la vie s'ébat sans cause
guerroyant contre les cicatrices que l'on m'a faites au sang
je marchais dans une allée de piccadilly en quête d'un peu
d'étonnements
tâtonnant sans fin sur mon nom crucifié
et j'ai dit oui
à la jungle qui tente encor de couvrir en moi la voix des
cuisinières et des doctoresses car c'est là où l'on a immolé
la vie au prétendu nom de la vie
le vent qui danse la samba des martyrs
est l'espoir de nos lendemains
un baobab a versé des larmes de baobab sur mon front des jours sans fin
et à l'orée de ma fièvre
l'ombre des gazelles m'a ébloui quand je l'ai approchée
mais personne dans mon tourment
n'a pris l'histoire à contre-pied
le portrait des siècles a déchiré violemment l'hymen des nations
et le fleuve dans nos cœurs attendris a débordé de son lit
une colère large et immense s'est élevée au firmament de nos
impatiences
aujourd'hui le clairon de feu a dévalé les monts de la puissance
l'espace égrène ses mies de pain jamais mâchées
et je crache nos intestins séchés au soleil des privations
et le cri des vagues écumantes de nos mères suturées
se déverse sur le pont des bataillons nouveaux
j'entends le silence
ainsi les années ont passé
depuis que tes photos
ces images qui donnent sur des mers torrides
ont jauni
le temps a jauni depuis que tu passas tendrement
la main à mon cou
en ces temps-là tu riais de mes rires
mais tu ne sais pas
tu ne sais pas que je riais peureusement
de te savoir en transit pour d'autres baisers
oui
te souviens-tu des rouges-gorges qui nous moquaient
quand enlacés sous les caïlcédrats froissés
nous nous promettions la vie et
dieu
la mort
les femmes viennent et
s'épanchent à l'eau qui pépite
au pied du mont noir
où je m'assieds à l'heure du soir
pour méditer un ou deux vers de
rainer maria rilke
j'en ai dormi
rêvé de ce tableau
et de mes mains nues
ces mains de cette glaise
je l'ai peint au sommet du rocher
telle une fresque ancienne
d'avant l'exode
danqira
c'est là où j'ai rêvé vivre
rêvé mourir
au bord de cette eau de ma
naissance
rivière des neuf rivières
cette eau qui ailleurs
en mes veines
plus sûrement que du sang noir
plus sûrement ô cendre acier
cette eau de mon corps
cette eau là
où est la vie d'ici
la vie d'ailleurs
l'autre vie
ainsi notre histoire est une histoire de trains d'aéroports
de stations de métro
la chute des larmes sonne le même glas
chaque jour nous amenait un soleil triste et des yeux gris
à réaumur-sébastopol l'adieu sonnait adieu peut-être ou
havre-caumartin
c'était un amour autour d'une table ronde
où nous devisions sur le violet de ton noir
face aux cris aux crocs à l'écran
je ferme les yeux
(souvent au détour d'un cri d'une vie
l'on s'étonne du chemin parcouru
mais les bretelles de notre voyage
nous réservent d'autres indécisions)