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Imagé, fort et émouvant l'auteure scénariste et metteur en scène envoûte avec ce récit aux influences cinématographiques et dresse un sidérant portrait de femme et d'un pays, la Turquie, à travers une ode au théâtre classique et aux films anciens. Après des années de silence mutuel la mère d'Hülya (la narratrice qui vit en France) Esra Zaman grande icône du cinéma turc, « Trésor National » vivant, la recontacte pour une dernière mise en scène extravagante, celle de sa propre mort. Âgée et malade elle demande à sa fille d'écrire un éloge funèbre pour son « show mortuaire » dont elle a déjà réglé tous les détails.
Son appel réactive la mémoire d'Hülya qui se remémore aussitôt son passé et leur relation tourmentée. Refusant d'abord d'écrire cette oraison c'est finalement un roman qu'elle écrira sur ce destin exceptionnel et sur son « mal de mère » sous forme de monologue. En quête de vérité, elle la raconte entre « moteur » et « cut » jusqu'au « clap de fin » à travers ses grands rôles, navets ou succès, pour tenter de la comprendre « Moi, je veux ma version du Trésor. Pas celui qui est le National ». le récit s'ouvre sur trois coups de théâtre qui font écho à trois coups d'état turcs ayant jalonné son parcours et scellé son destin en trois actes pour un lever de rideau sur un destin exceptionnel dans le moyen-orient des années 60 à 80. Un des putschs coïncide avec la disparition de son père photoreporter. Alors que le sombre amant de sa mère semble avoir joué un rôle trouble dans cette tragédie Hëlya se rebelle. Esra Zaman, personnage aussi flamboyant et fourmillant que sa « ville-monde » l'éclatante Istanbul qui lui ressemble, exaspère autant qu'elle attire, agace autant qu'elle touche.
Mère absente, éprise de 2 hommes, trop absorbée par la gloire elle perd sa fille qui s'éloigne « Je suis comme beaucoup d'ados : c'est physique, je ne te supporte pas. Se construire contre sa mère n'est en rien original, ce qui l'est plus, c'est d'être obligée de montrer publiquement son admiration pour la sienne ».
Elle la rejette au point d'effacer toutes traces d'elle, refusant « tout héritage émotionnel », de renier ses origines et de modifier son prénom.
« Tu m'as bâtie sur des mensonges ».
La raison cachée de ce rejet maternel se dévoile peu à peu et nous tient en haleine. Ce roman sera celui de la résilience et de la réconciliation. Alors qu'elle enquête sur son passé une amie de sa mère lui confie un sac empli d'affaires de ses parents : affiches de cinéma, coupures de presse, lettres … chaque objet lui permet de se souvenir et de raccorder les plans dispersés de la pellicule du film de sa vie pour en reconstituer la trame et en éclaircir les derniers mystères dans une Istanbul aux troubles politiques récurrents. Une intrigue policière sous jacente où se mêlent amours interdites et services secrets entretient le suspense.
Un trésor à lire, vraiment.
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Le Trésor National c'est Esra Zaman, la plus grande icône de tous les temps de Yeşilçam, le Hollywood turc, mère de la narratrice, Hülya. Tout débute quand Esra demande à sa fille de lui rédiger un éloge pour sa propre cérémonie funéraire –qu'elle s'apprête à mettre en scène au Théâtre de la Ville d'Istanbul. Vu que les deux ont coupé les ponts depuis longtemps, et que Hülya désormais devenu Julya, " la française " habite Paris depuis des décennies, cette dernière s'indigne et en un premier temps entreprend de refuser, et puis finalement l'idée lui plait, l'occasion à jamais de reprendre sa revanche sur une mère qui s'est souciée majoritairement de sa carrière de star et de son image publique au détriment de sa fille. Une mère perdue dans ses divers rôles, "Ces femmes, lorsqu'elles poussaient en toi, me léguaient à chaque fois un amas de sentiments impossibles à démêler pour la petite fille que j'étais. Je voyais bien que tu te transformais, je t'observais devenir cette autre et je ne savais pas comment t'aimer." Pourtant la vengeance n'en sera pas une........

Hülya ou Julya , est probablement l'alter-ego de l'écrivaine turque, scénariste et dramaturge, qui elle aussi vit depuis trente cinq ans à Paris. Elle aussi comme Esra Zaman initia à quatre ans à jouer à Yeşilçam et sur les plateaux du Théâtre de la Ville......Ce long monologue adressé à la mère de fiction est l'occasion pour elle de nous parler de son pays natal la Turquie, dont on sent la forte nostalgie bien qu'elle insiste sur le fait qu'elle est bien à sa place en France ( l'un n'empêche pas l'autre). Elle parcourt l'histoire de la jeune république turque jusqu'à nos jours, à travers l'histoire d'Esra qui lui a envoyé "le sac de papa". Ce sac déballe des photos et souvenirs, déployant un film de la Turquie politique et sociale des années 30 jusqu'à nos jours. Elle reprend les évènements clés de l'histoire politique du pays , les superposants à la vie sociale et professionnelle de sa mère, une femme émancipée ( qui sont beaucoup plus nombreuses dans ce pays que l'on ne le pense, aussi bien au passé qu'au présent* ). Les femmes sont un thème cher à cette écrivaine et dramaturge que je viens de découvrir et qui m'a impressionnée vu son parcours . C'est son premier roman donc, écrit directement en français, moi qui ne lit pas de théâtre, mais adore le voir sur scène, je vais vite me procurer ses pièces.

Un roman intéressant et riche sur une relation compliquée mère-fille ("Tu as passé ta vie à raconter des histoires pour ne pas voir la tienne"), sur les plateaux de cinéma et théâtres turcs, un milieu que l'écrivaine connaît bien et surtout un livre sur la Turquie, plus précisément İstanbul, une ville mythique qui dépasse même l'imagination d'Italo Calvino ( Les villes invisibles). Une histoire sur fond des coups d'état de la Junte militaire , celui du 15 juillet 2016 et des 19 dernières années du règne de l'AKP. le tout pimenté d'une petite énigme qui va faire chemin comme un caillou dans la chaussure jusqu'à la fin. Nostalgie, nostalgie.......Un livre très bien écrit, que je conseille vivement vu l'originalité de sa construction et son sujet.

".......une nostalgie collective, celle de « l'ancien monde » ... , en opposition à ce que les néo-islamistes appellent « la nouvelle Turquie."
"Ce sont les rêveurs qui changent le monde, les autres n'en ont pas le temps"(Camus)

*A ce sujet conseille l'article du Monde du 26 février 2021, disponible sur internet, "Turquie : trois femmes sur la route d'Erdogan, Meral Aksener, dirigeante du Bon Parti (nationaliste) ; Sebnem Korur Fincanci, figure de la société civile ; Canan Kaftancioglu, représentante du Parti républicain du peuple (centre gauche) pour İstanbul . Des opposantes de différents horizons défient le dirigeant islamo-conservateur, tenant du modèle patriarcal. Et ces femmes sont directement dans l'arène, actuellement......



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Trésor national se présente comme  une longue lettre passionnée, oscillant entre amour et haine: celle d'une fille à sa mère, de Hülya à Esra.

 La grande Esra Zaman,  est âgée, elle va mourir, brouillée avec sa fille Hülya qui vit, travaille et écrit en France comme l'auteure, qui sans doute a dû se projeter dans cette narratrice exilée.

La mère prépare, de son vivant, ses propres funérailles, et entend confier l' éloge funèbre à sa fille, opérant ainsi un rapprochement contraint et une forme d'absolution des fautes et malentendus passés, malgré la distance de rigueur: Hülya étant considérée comme personna non grata par la dictature d'Erdogan ne peut se déplacer à Istamboul.

 Téléphones, mails et documents vont donc remplacer la dernière entrevue entre mère et fille et permettre à la jeune femme de se laisser reprendre par une espèce de tendresse mêlée d'exaspération pour son monstre sacré de mère... tout en maintenant une distance géographique qui l'assure d'une distance critique!

L'éloge funèbre devient un roman, la lettre privée  une fresque épique.

Esra est  une vraie diva, une "star" du Hollywood turc, Yeşilçam, élue " Trésor National"  en Turquie, avec toute l'ambiguïté de cet adjectif dans un pays en proie aux tentations nationalistes depuis Mustapha Kemal, nationalisme dont le dernier régime en date  a fait sa marque de fabrique...

En passant du théâtre au cinéma, de  la tragédie classique  à la sitcom, du drame à la comédie de boulevard , Esra Zaman a incarné toutes les facettes de l'art scénique,  sans renoncer à  son aura d'artiste populaire.

Elle n'a pas craint non plus, dans sa vie privée, d'incarner le scandale et la bohème,  mais sans jamais passer le cap de la subversion, de l'opposition politique frontale. 

Scandaleuse, mais juste ce qu'il faut, émancipée mais dans les limites de son personnage, elle aurait traversé presque sans encombres régimes dictatoriaux, censure politique et mesures de répression, s'il n'y avait l'ombre portée sur sa vie par la disparition de son mari, le bel  Ishak, le père de Hülya..et sans le rôle trouble joué dans cette disparition par son amant attitré, un homme très proche du pouvoir. Mais aussi l'ami de toujours, le frère ennemi  d'Ishak...

L'ombre de la noire Clytemnestre plane sur  Esra,  la solaire.
Nouvelle  Electre, Hülya tente de faire la clarté sur la vie de sa mère, et de choisir entre le pardon ou la vengeance, en puisant dans le sac d'Ishak, d'où sortent comme d'une urne antique, des lettres, des témoignages, des traces des drames passés qu'Esra, fine mouche, a su rassembler et envoyer à sa fille, dans l'espoir de dissiper tous les malentendus et les secrets enfouis.

Cette intrigue privée prend des dimensions mythiques-la Grèce n'est pas loin!- et permet de faire défiler, en toile de fond, la fresque de la grande Histoire turque, agitée de coups d'états, tandis que se débattent quantité de silhouettes attachantes qui brièvement s'affrontent à la tourmente historique ou sont emportées par elle.

Un roman passionnant,  plein de souffle et de vitalité, qui se lit d'une traite.
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Alors qu'Esra Zaman, la plus grande actrice turque (fictive) de tous les temps, « Trésor National » du peuple turc, se meurt sur son lit d'hôpital, en plein coup d'Etat de Juillet 2016, elle demande à sa fille, qu'elle n'a pas vue depuis des années, d'écrire un discours pour ses grandioses funérailles. Une histoire un peu folle, mais qui nous entraîne immédiatement dans un incroyable tourbillon : prise au jeu, Hülya (ou Julya) cherche à reconstituer la vie de sa mère, cet être fantasque à part, dont le destin a été si intimement lié à celui de son pays. Dès le premier chapitre, ce sont trois coups d'Etat qui nous sont racontés, trois moments-clés de l'histoire de la Turquie et de la vie de cette femme impossible à saisir, Esra Zaman, actrice, amante, et mère ensuite.

C'est un récit d'une puissante intimité, puisque tout au long du texte, Hülya s'adresse à sa mère, cherchant peut-être à lui faire prendre conscience du rôle-clé qu'elle a joué dans les traumatismes de son enfance : la perte de son père, l'insupportable ignorance dans laquelle l'a plongée sa disparition, les doutes sur l'influence de l'amant de son père, le feu des projecteurs auxquels elle n'a jamais pu échapper, jusqu'à son départ définitif d'Istanbul. C'est étrangement tout autant un procès d'intention qu'une lettre d'amour à sa mère que la narratrice écrit sous nos yeux, au gré de ses découvertes et des souvenirs qu'elle relate. On sent sa profonde admiration pour sa mère, sa fascination pour cette femme à nulle autre pareil, et son envie irrépressible de continuer à la renier, après toutes ces années passées loin d'elle, à construire une vie diamétralement opposée à la sienne.

Les détails que nous donne Sedef Ecer rendent cette lecture profondément déroutante : tout paraît si vrai, chaque phrase est assortie d'une petite anecdote, d'une réflexion personnelle criante de sincérité, comment croire que l'auteure a tout inventé ? Largement inspiré de son enfance sur les plateaux d' « Istanbullywood, ce texte n'en est pas moins une fiction, qui nous plonge au coeur de l'âge d'or du cinéma turc, dans une société bien éloignée de celle qu'on retrouve aujourd'hui en Turquie, marquée par les influences croisées de l'Orient et de l'Occident, férue de culture française et anglaise, délurée et chaotique. C'est une immersion dans l'incroyable histoire de ce pays qui a connu mille revirements, et un voyage magnifique dans une des plus belles villes du monde. Vous l'aurez compris, c'est un livre qui m'a bouleversée et emportée entièrement – un coup de coeur !
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Elle est d'un ancien monde, un monde qui n'est plus qu'un musée pour nous autres qui ne l'avons pas connu; un monde fait d'extrêmes aussi bien dans les jouissances et les plaisirs que dans les idées et les combats. Nous sommes dans les années 50, 60, 70 et elle, c'est Esra Zaman, une diva turque sulfureuse, capricieuse, exubérante et libre, follement et dangereusement libre car sa liberté s'exprime dans un pays, la Turquie, qui a dû mal à la penser ; la faute à ses règles sociales qui, comme ailleurs, figent les femmes dans un statut imposé, la faute à ses névroses politiques qui privent régulièrement ses citoyens de leurs droits fondamentaux. Et faut-il, pour être libre dans cette Turquie « malade », être comme Esra Zaman, c'est à dire totalement déjantée, au dessus de tout, au dessus de la réalité ? Faut-il, pour vivre et non survivre, s'enfermer dans les rêves et les chimères, épouser la légèreté des strasses et paillettes pour fuir la gravité du monde réel miné par la pauvreté et la répression? Sans doute mais au risque d'être totalement antipathique et détestable car Esra Zaman est une femme que l'on n'a pas envie d'aimer. Insaisissable, impénétrable, elle fricote avec des tortionnaires mais fréquente leurs victimes. A-t-elle une conscience politique? Laquelle est-ce? Peut-on s'en priver dans un pays où tout est/devient politique? Par son inconsistance, Esra Zaman en devient abjecte. Et elle m'a fait penser à toutes ces célébrités qui fricotent avec le pouvoir turc, peu importe la nature du gouvernement et la quantité de sang qu'il fait couler. Ils se sont attablés avec Kenan Evren (à la tête du coup d'État militaire de 1980), ils s'attablent aujourd'hui avec Recep Tayyip Erdogan. Sont-ils obligés ou sont-ils simplement écervelés ?

Sedef Ecer signe ici un bon roman. Bien écrit, bien mené, il tient en haleine, nourrit le suspens. On veut savoir, en effet, ce qu'a fait Esra Zaman pour mériter la colère de sa fille. On veut savoir le crime qui a été commis. On veut connaître le dénouement, le fin mot de l'histoire. On croit deviner mais on tombe à côté. La fin, une déception, laisse à désirer mais pourquoi pas. Bouillon de cultures, ce roman est plein de références culturelles, artistiques. C'est intelligent car jamais pédant.

Mais si le roman a ses qualités, indéniables, il a ses défauts. Il m'a semblé, en lisant Sedef Ecer, qu'elle ne parvenait pas, elle non plus, comme Elif Safak dans certains de ses romans, à sortir des discours éculés, notamment en ce qui concerne les Kurdes. Je précise: sous sa plume, les révoltes kurdes, initiées par quelques tribus au début du Xxème siècle, sont menées pour « renverser le gouvernement laïc » afin de « restaurer la charia ». le discours, largement répandu en Turquie, est d'un mensonge patent car il n'est pas vrai que les révoltes kurdes aient été menées principalement par opposition à la laicité à la turca. Sinon la révolte de Koçgiri (Dersim), par exemple, c'était quoi ? Quant à Firat, personnage d'origine kurde qui se profile dans le roman, il semble, comme dans les romans d'Elif Safak, sans consistance. C'est un homme né en colère, anti-système, anticapitaliste mais on n'en connaît pas la raison. Pourtant, elle est largement connue. Des lecteurs kurdes, en tout cas. Mais les autres, qu'en sauront-ils ?

C'est mon bémol dans ce roman. Il évoque l'histoire politique de la Turquie mais grossièrement, sans jamais expliquer ni raconter la complexité de ce pays. L'auteure évoque le massacre de Sivas sans jamais le nommer, ni l'expliquer ; parle du massacre de la place Taksim sans jamais vraiment le situer ; n'évoque jamais la Question kurde qui n'existe pas dans son roman. Elle y parle à la place de conflits entre extrême droite/extrême gauche ; entre conservateurs et laïcards. Et les Kurdes, dans tout cela ? On ne peut pas quand on évoque, comme elle le fait, l'État profond en Turquie faire l'impasse sur ce qui se passe en territoire kurde car c'est là qu'il déverse ses puanteurs, c'est de là qu'il puisse sa force et sa richesse ; c'est en raison de son rapport néfaste avec les Kurdes que l'Etat turc se retrouve pourri jusqu'à la moelle. Sedef Ecer n'en dit mot, son rapport à l'histoire politique turque manque de profondeur et de consistance. Et je m'interroge: pourquoi parler de l'histoire politique si c'est pour rester en superficie et faire, du coup, dans les clichés ? La Turquie est complexe et mérite, de ce fait, qu'on l'aborde sans trembler ni hésiter. Dommage donc qu'elle n'ait pas été au bout de la démarche. Mais sans doute son roman aurait pris une tournure qu'elle ne voulait pas initialement lui donner.


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Le récit fictif ou non de la mère par la fille, c'est presque un classique en littérature. Mais rares sont les textes qui réussissent l'exercice. Trésor national est l'un d'eux. le personnage d'Hülya raconte Esra Zaman, actrice sulfureuse, Trésor national et mère. Dans ce texte à la plume claire, intime et maîtrisée, la narratrice retrace la vie de sa mère, à travers ses rôles, ses relations humaines et sa façon d'être mère. Tantôt incarnant le modèle turc au point d'être érigée en tant que fierté, tantôt défiant la bienséance, en jouant nue dans un film. Mais Esra Zaman, c'est aussi celle qui a aimé un homme qui voulait tout montrer pour sauver, et un autre, aux mains sales. Cette dualité est à l'image de la Turquie, tiraillée entre islamo-nationalisme et gauche progressiste. Si l'on devine le contexte politique au fil de la carrière de l'actrice, nous n'en avons pas tous les détails. Les événements, marqués dans le temps, s'effacent devant le personnage principal qui endosse le rôle de miroir de ses citoyens : engagés et tiraillés. Une belle réussite.
Vous l'avez lu ? Vous en avez l'intention ?
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Sedef Ecer est une dramaturge franco-turque ; parmi son oeuvre remarquable écrite en langue française, j'ai admiré inconditionnellement deux pièces, caractérisées par cet esprit humaniste typique de la littérature migrante fait de communication interculturelle, de repérage des ponts entre cultures, de leurs similitudes autant que de leurs pierres d'achoppement : À la périphérie, et E-passeur. Trésor national, paru à grand bruit en janvier 2021, est son premier roman.
Il contient plusieurs ingrédients, chacun desquels peut être interrogé – comme il est souvent pertinent de le faire dans un premier roman de littérature migrante – sous le prisme autobiographique ou autofictionnel, dont l'auteur souvent se défend. Mais aussi sous le prisme du besoin de montrer patte blanche à la culture d'adoption. Et il faut respecter ces réserves.
D'abord, le texte se présente comme une lettre ouverte d'une narratrice dans la force de l'âge, solidement établie en France au point d'avoir francisé son prénom de Hülya en Julya, adressée à sa mère mourante avec laquelle elle a depuis longtemps coupé les ponts, laquelle lui demande de rédiger son éloge mortuaire dans le cadre de la cérémonie de funérailles très spectaculaire qu'elle est en train d'organiser dans les moindres détails pompeux. En effet, cette mère, Esra Zaman, est une icône du cinéma turc de Yeşilçam et, bien que l'insigne de Trésor national qui intitule le roman n'existe pas en Turquie, certaines actrices à la carrière semblable dont est inspirée celle de l'héroïne, ont pu s'élever au rang de star-emblème de la nation. Après hésitation et réception du support matériel des objets contenus dans un sac envoyé par la mère et qui lui-même revêt une importance sentimentale pour la fille, grâce aussi à l'intermédiation des fidèles amies maternelles, celle-ci s'acquittera de la tâche, en reconstituant, année par année, la carrière artistique et la biographie de sa mère à travers les rôles évoqués par ces objets et ses images. Par cette reconstitution, on peut apercevoir une histoire du cinéma turc de la seconde moitié du XXe siècle. En réalité, l'histoire commence plus tôt, car la grand-mère de la narratrice est présentée comme la première comédienne musulmane de Turquie, dont Esra est l'héritière naturelle et fière.
En parallèle, le deuxième ingrédient du roman, c'est la nature très conflictuelle des rapports entre Hülya-Julya et Esra. Au-delà du stéréotype de la diva accaparée par sa carrière et ses amours, donc d'une mère distraite, sans doute même une mère malgré soi, le grief que la fille nourrit contre sa mère est propre à la tragédie classique : un triangle amoureux s'est formé entre l'actrice, son mari qui est le père de la narratrice et un amant que celle-ci tient pour responsable de la séquestration politique et de l'assassinat de son père. La mère aurait fait en sorte de ne pas s'apercevoir qu'elle est la maîtresse de l'assassin du père de son enfant. Et la maturation de ce soupçon est la cause de la rupture entre mère et fille et de l'émigration en France de celle-ci, de son assimilation par éradication de l'héritage maternel. Les deux personnages masculins représentent des stéréotypes que l'on connaît bien désormais, même par les quelques auteurs turcs traduits en français : l'homme issu de la bourgeoisie urbaine (de plus minoritaire, ici juive), laïque et progressiste – le père, Ishak – et celui qui est issu de la classe populaire, rurale anatolienne, le « fils de concierge », revanchard, conservateur et hyper-nationaliste, mêlé par barbouzerie à « l'État profond » et aux multiples coups d'État militaires de Turquie – l'amant, Ismaïl.
Le troisième ingrédient du roman est donc socio-politique. le rythme de la narration est scandé par « Les trois coups [d'État] comme au théâtre » : celui de 1960 qui a provoqué la rencontre des parents de la narratrice, celui de 1971 qui a provoqué la disparition de son père, celui de 1980 qui coïncide avec la prise de conscience de la fille du rôle de l'amant dans ce drame familial et politique. En effet, au cours de la reconstitution de la carrière maternelle, il apparaît que le milieu artistique est naturellement affecté par les répressions politiques : les amis des parents, dont un avocat défenseur des droits humains, plusieurs militants de gauche, une trans fidèle amie subissent aussi différents préjudices voire l'emprisonnement et la torture, et le carriérisme de l'actrice, peut-être son rôle d'icône nationale, elle le paie au prix fort d'une volontaire cécité parmi d'autres compromissions.
La conclusion amère que la narratrice tire ce cette dialectique entre l'activité artistique de la mère et les circonstances politiques est que la société turque dans son ensemble choisit toujours l'amnésie de sa nature à la fois de bourreau (des Arméniens jadis, des humanistes et progressistes depuis l'après-guerre) et de victime du politique. Cette cécité-amnésie est incarnée autant par sa grand-mère que par sa mère, la solution adoptée par la narratrice est l'exil, en attendant que la génération suivante, celle de la propre fille de Julya abandonne complètement la « malédiction » de la lignée maternelle des arts du théâtre, en héritant de son père la passion pour la botanique et en particulier pour le lotus, « fleur de l'oubli ».
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Je n'ai pas encore fini de lire tous les romans de la rentrée littéraire de septembre que j'avais repérés, que nous voilà en janvier, abordant les sorties de cette rentrée d'hiver. Et je commence par un joli roman qui une fois n'est pas coutume sur le blog nous emmène en Turquie. Trésor National sort le 12 janvier, son auteure Sedef Ecer est une femme de lettres turque, qui s'est essayée à diverses forme d'écritures, articles, billets d'humeurs, chroniques aussi bien que « micro-nouvelles » ou encore recueils de mails, scenarii de longs métrages, ou encore documentaires, aussi bien en turc qu'en français. Elle est désormais romancière et compte quelques textes dramatiques à son actif. Trésor National est le premier roman qu'elle ait écrit, en français, et elle a mis au service de cette belle fiction – elle affirme dans une brève postface que ses personnages relèvent de la fiction pure – ses talents de comédienne autant que d'écrivaine.
Dès le début, les choses sont claires. On rentre dans la tragédie, sa dimension mythique, d'une famille turque. Avec la voix narrative qui fait office de choeur, de coryphée. Electre qui raconte Clytemnestre, sa mère. Trois coups d'état, trois actes, les jalons sont posés, à peine la pièce commence, que cela s'annonce d'or et déjà éclatant, flamboyant. à l'image de ce trésor national, cette mère qui occupe le rôle principal du récit de la narratrice, dépossédée depuis longtemps de sa génitrice, qui appartient à tous, sauf à elle. Ce qui me ravit encore plus, c'est la perspective de ce récit quasi-totalement sous l'égide de figures féminines, qu'elle soit narrative, sujet ou même témoins ou interlocutrices. Plusieurs choses brillantes dans ce roman : l'histoire et la personnalité de cette femme-reine, hors-du-commun, cette « Sultane » pas loin de tenir la place de notre BB à nous, icône incontestable de la scène dramatique turque de cette seconde partie de XXe siècle. La fille reconstruit pièce après pièce de l'histoire l'icône qu'était sa mère, cette actrice qui a vécu ses plus grands rôles sur scène, délaissant celui de mère car personne ne fait vraiment le poids face à Iphigénie ou Clytemnestre.

Parce qu'inutile de dire que la narratrice de là où elle vit en France revient sur l'histoire de sa mère, du couple formé par ses parents, car la relation mère-fille, de problématique et conflictuelle, est devenue inexistante. J'ai trouvé la recherche de la vérité de Julya extrêmement bien et finement agencée, cette jeune fille écrasée par la personnalité de sa mère – comment faire le poids face à ce Trésor National – elle s'est construite en opposition à elle, et l'âge de la maturité venant, aidé par les années et les kilomètres de séparation, c'est une sorte d'apaisement qu'elle recherche. La vérité sur la disparition de son père, journaliste reporter, qui se fraie doucement le chemin à travers le récit de sa fille apporte à ce roman une pointe de suspens et de mystère bienvenue. Les choses ne s'avèrent pas être comme ce que l'enfant qu'elle était voyait et ressentait, l'âge et les témoignages de l'entourage apportent des lumières nouvelles sur l'histoire plutôt déroutantes.

Et puis observer la transformation de Julya, anciennement Hülya, qui a abandonné sa peau de jeune fille turque à travers son exil en France, qui a rejeté sa culture autant qu'elle a pu, se transformant en une autre, aidée de son nom marital bien français. Une ambiguïté de celle qui dénonce la vie factice de sa mère, qui vit dans les mensonges, alors qu'elle-même renie son identité. En adoptant tous les codes de ce qu'elle pense être la française pendant des années, ce reniement s'est finalement retourné contre elle la poussant à un retour aux sources. Car finalement, son histoire, comme celle de sa mère est rythmée par les coups d'état du pays, qui à chaque fois, imposent une nouvelle façon de vivre, qui lui permet en tout dernier lieu de reconstruire un fragile pont avec sa mère.

De nombreux passages en rapport à l'histoire turque, sur laquelle j'ai peu de repères, interviennent évidemment très souvent, qui marque en outre l'histoire de la famille et de la mère, elle en structure d'ailleurs le récit de à travers les trois coups d'état. J'ai particulièrement apprécié cet aspect-là du roman, comme souvent j'apprécie les digressions historiques de pays que je connais peu, d'autant que l'histoire turque est particulièrement dense et riches en influences étrangères. C'est d'ailleurs un trait que la narratrice souligne quelquefois, Istanbul est une ville à deux pieds entre le continent européen et le continent asiatique. Une ville finalement très ressemblante à l'identité de Julya, mi-turque mi-française.

Comment ne pas aimer ce roman, bourré de qualités, qui nous conte la personnalité de cette divinité, vénérée et adorée par un pays tout entier, de cette famille, qui subit la malédiction d'un pays mu par de multiples influences. Je me suis laissée gagnée avec plaisir par l'effervescence du retour en arrière de Julya, son passé, celui témoin d'un bonheur de vivre dans une Turquie libre et tolérante qui n'existe aujourd'hui guère plus que dans les mémoires. C'est tout autant les retrouvailles avec un pays chéri, qui ne lui concède plus le droit d'y retourner, elle désormais instituée come ennemie politique. C'est, à mon avis, l'un des beaux romans de cette rentrée d'hiver, une belle lecture qui va contribuer à nous aider à passer le cap de cette nouvelle année.





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Repéré grâce à l'émission littéraire du samedi après-midi sur France Inter, La Librairie Francophone (tous les samedis à 14h00… ou en podcast !), j'ai eu envie de lire « Trésor National » de Sedef Ecer en écoutant l'émission. Je dois le reconnaître Sedef Ecer m'était jusque-là totalement inconnue malgré un impressionnant parcours professionnel dans le monde des arts et des lettres.

Née à Istanbul, romancière, auteure dramatique et scénariste Sedef Ecer pratique plusieurs formes d'écriture en turc et en français. Ses textes ont été mis en scène, en lecture ou en ondes, ont été étudiés dans le programme de collèges, lycées, des départements de théâtre des universités (Columbia University, Queens College, la Sorbonne, Université de Péloponnèse… Chroniqueuse en langue turque, elle a publié plus de 500 articles. Elle est la traductrice de Charlotte Delbo, Montesquieu et Saint Exupéry en turc. Comédienne depuis l'âge de trois ans, elle a joué dans une vingtaine de longs-métrages et une vingtaine de spectacles en Turquie et en France. Voilà pour l'auteure !

« Trésor National » est l'histoire d'un rapport compliqué entre une mère et une fille. L'une, Esra, la maman, a été une icône du cinéma et du théâtre en Turquie, l'autre, Hülya, la fille, a quitté Istanbul depuis l'âge de ses 16 ans et vit à Paris où elle est scénariste pour des fictions télévisuelles. Elle a profité de sa naturalisation française pour transformer son prénom en Julya, cherchant quelque peu à rompre avec un passé compliqué.

‘' -Tu lis toujours l'avenir dans le marc de café ?
- Non. On ne trouve pas de bon café turc à Paris.
- Dommage. Si tu lisais, tu le saurais.
- Je saurais quoi ?
- Que c'est pour bientôt. ‘'

L'histoire commence avec une demande d'Esra à sa fille. La grande Esra Zaman, reconnue par la culture turque comme « Trésor National », est âgée. Elle va mourir, alors qu'elle est brouillée avec sa fille. La mère prépare, de son vivant, ses propres funérailles, et entend confier l'éloge funèbre à Hûlya, opérant ainsi un rapprochement contraint et une forme d'absolution des fautes et malentendus passés.

Et la magie de l'astuce opère. D'abord farouchement hostile au projet, Hülya finit par accepter. Étant considérée comme persona non grata par le régime d'Erdogan, elle ne peut se rendre au chevet de sa mère pour parler avec elle, échanger, pardonner…

" Tu as passé ta vie à raconter des histoires pour ne pas voir la tienne"

Hülya remplacera ce voyage par des échanges téléphoniques, des mails avec sa mère et ses proches, et surtout Nilüfer, l'amie intime qui connaît tous les secrets. Peu à peu la jeune femme se laisse reprendre par une espèce de tendresse mêlée d'exaspération pour son monstre sacré de mère...

Car il y la disparition mystérieuse, énigmatique d'Ishak, le père, l'amant maudit Ismail, la vie tumultueuse parfois scandaleuse de sa mère, les chefs d'oeuvres et les ratés… Et ce sac plein de souvenirs qui arrive à Paris, comme l'ultime témoignage de vie d'une diva qui s'éteint, mais aussi d'une mère à sa fille.

Écrit sous forme d'un long monologue à sa mère, le récit est l'occasion de retracer année après année la vie et la carrière d'Esra, tour à tour drôle, sulfureuse, moderne, pathétique parfois. Et on découvre alors une partie de l'histoire du cinéma turc de la seconde moitié du XX° siècle.

Ce monologue c'est aussi une porte ouverte sur l'histoire sociale et politique de la Turquie du XX° siècle. Une Turquie qui s'émancipe avec Kemal Atatürk mais qui a tendance à oublier ses génocides. Une république laïque qui subit 3 coups d'état, et se replie sur elle-même avec l'arrivée de Recep Tayiyp Erdogan, laissant l'islam s'infiltrer peu à peu dans la société.

Le livre nous conduit peu à peu au pardon, à l'oubli, à l'oubli du Lotophage, le « mangeur de leur de lotus », plante dont la consommation a la propriété de faire oublier à ceux qui en mangent qui ils sont et d'où ils viennent… Hülya-Jülya préfère le pardon, l'oubli du passé comme pour mieux se tourner vers demain.

« Trésor National » est à lire aussi au second degré, car l'histoire personnelle de Sedef Ecer est proche de celles de ses personnages. Comme Esra elle a été une jeune actrice connue du cinéma turc, comme Hülya, elle a fui son pays pour s'installer en France et est devenue scénariste. Ce livre semble mélanger la réalité à la fiction, sans doute pour Sedef Ecer la possibilité, le besoin d'un retour aux sources.

Bien construit, agréable à lire, le livre nous emmène peu à peu dans une autre vie, un autre monde, qui pet semble lointain, oriental, et pourtant si contemporain.

Laissez-vous embarquer par la sultane Esra Zaman, qui si elle n'est qu'un personnage de roman semble par le talent de l'auteure est une véritable actrice dont on retrace la vie ;

Bonne Lecture

Pascal François

Trésor national - Sedef Ecer – éditions JC Lattès – 01/2021 – 360 pages
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Une plongée dans la Turquie des années 50 à nos jours par le prisme de la vie d'Ezra Zaman, actrice iconique érigée au rang de "trésor national" par tout un pays. Une vie sous les feux de la rampe, excessive et transgressive, que sa fille Hiulya tente de mettre par écrit à la demande de sa mère mourante qui envisage ses funérailles - médiatique - en grande pompe. La grande Ezra Zaman compte bien en effet quitter la scène comme elle a vécu : avec panache!

Très bien écrit, ce petit roman n'en est pas moins flamboyant, à l'image de son héroïne que l'on adore détester. Égoïste et fantasque, Ezra n'en demeure pas moins une véritable héroïne, une femme forte et indépendante qui a mené sa carrière d'actrice au gré des régimes politiques et des coups d'état sans jamais renier sur sa liberté et son désir d'émancipation. Une véritable source d'inspiration !
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