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EAN : 9782707302540
256 pages
Editions de Minuit (01/03/1979)
3.79/5   57 notes
Résumé :
Une île fort exotique, une fille qui s’ennuie, un inventeur, des tueurs, des mercenaires et un bateau, bien sûr. Et puis, après une explosion, quatre rescapés qui s’en vont, sans peur ni reproche, pour le pôle Nord.

Chacun sait que le méridien de Greenwich se prolonge, de l’autre côté du globe, par une ligne imaginaire, de part et d’autre de laquelle cohabitent, à tout moment, une journée avec la journée du lendemain.

« C’est un scandal... >Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique

Flambant neuf sur l'étagère de la médiathèque, il est pour moi. Ce n'est pourtant pas le dernier Echenoz, mais le tout premier édité en 1979. J'ai toujours eu bonne entente avec cet auteur-là, comme je l'explique dans mon billet sur 14. Un écrivain qui, pour vous décrire une salle de café par grand froid, vous note l'orteil qui se tortille dans une chaussette. Une écriture nette et « claire », un regard de biais. "Echenesque", l'ai-je qualifié, il aurait mieux fallu, peut-être, "échenozien" pour reprendre l'adjectif usé par les (vrais) critiques.

Après une centaine de pages, trop de choses échappent à la norme : accumulation de personnages et d'épisodes sans lien apparent. Difficulté de distinguer un fil central, dilué tant et plus dans une flopée de scènes le plus souvent violentes, incongrues. Comment y voir clair — car il faudra encore venir à bout des 250 pages restantes — sinon en effectuant quelques recherches sur la Toile ? Et là, un article[1] du tchèque Petr Dytrt (Université Masaryk de Brno) portant précisément sur le Méridien de Greenwich. L'illumination avec découverte de procédés d'auto-réflexion du texte et de mises en abyme dont Échenoz est prodigue. La lecture se trouve éclairée, on lit autrement, un cran au-dessus, au second degré, avec une petite jubilation tenant autant à la satisfaction d'avoir résolu l'énigme qu'à la recherche ludique des pirouettes formelles et sémantiques de l'auteur. On avait compris depuis longtemps que Echenoz faisait dans l'ironie et les jeux parodiques sur les procédés littéraires modernes, mais on était loin d'en saisir toutes les subtilités. Et sous ces lumières nouvelles, il conviendrait, peut-être, de rouvrir ses livres déjà lus.

Qu'est-ce que l'auto-représentation ou auto-réflexion textuelle ? Sans entrer dans les détails (qui introduisent des variantes dénotatives et connotatives), il s'agit de parties de texte qui portent sur le texte lui-même. On connaît cela depuis Diderot, Cervantes ou Gide, mais certainement pas aussi intensivement que chez Jean Echenoz. Ainsi, lorsque le narrateur montre le bout du nez, comme par exemple dans "...elle déplaçait rapidement les yeux […] très rapidement vraiment", l"s trois derniers mots se situent hors de l'énoncé principal mais porte sur l'énoncé principal. Voilà pourquoi il est dit que le texte se retourne sur lui-même, se réfléchit. Plus loin, quand on lit, lors de la description d'une machine incarnant le projet scientifique du coeur de l'intrigue, qu'elle est composée d' "...éléments hétérogènes qui ne semblaient pas tous achevés, certains ne paraissaient exister qu'à l'état de schémas, de prototypes", les mots portent bien naturellement sur l'appareil fabriqué dans la fiction, mais aussi sur la structure du texte telle qu'elle apparaît au lecteur, qui a en effet devant lui un ensemble d'éléments hétérogènes, des chapitres et événements disparates. le lecteur est rassuré qui comprend alors que l'auteur sait où il le mène. le message est double, de sorte qu'en intégrant ces indications, la lecture prend une dimension nouvelle et chaque paragraphe peut être suspecté de porter autant sur la fiction que sur la manière dont celle-ci est relatée et structurée.

Autre procédé, la mise en abyme est particulièrement utilisée dans le roman : un protagoniste, le savant Byron Caine, supposé travailler à élaborer une machine révolutionnaire, passe son temps à l'assemblage d'un puzzle. Ce jeu qui consiste à constituer une image à partir d'une certaine quantité de fragments, si on la transpose à la matière du texte narratif, envisage la lecture du livre comme l'assemblage d'un puzzle. de plus, le tableau de ce dernier représente dans la fiction une galerie d'autres tableaux et signale ainsi, par auto-réflexion, que le texte présente des mises en abyme. Au cours du récit, en effet, le personnage Paul raconte à Vera les épisodes de trois lanciers du Bengale, histoire dans l'histoire. Et on se préoccupera autant de son issue que de celle du récit central, car la description et le sort des personnages du récit imbriqué sont transposables à ceux des protagonistes de l'action principale. "Ainsi les personnages fonctionnent comme des signes annonciateurs de liens possibles et permettent l'articulation et l'enchaînement entre les pièces du puzzle en l'histoire du Méridien de Greenwich dont l'image complète n'apparaît qu'à l'avant-dernier chapitre où tous les personnages trouvent leur place ainsi que leur fonction à l'échelle du roman et non seulement dans le cadre de leur propre piste narrative." [1].

Au plan de l'intertextualité, de grands mythes littéraires irriguent la fiction, on pense à celui de Robinson (via Le Clézio et Tournier). de même l'univers romanesque trouve un nouveau sens par des références implicites, des emprunts à la peinture, à la musique et surtout au cinéma.

"En fait il n'est pas de page chez Jean Échenoz qui ne contienne au moins une référence qui ne propose un bref clin d'oeil détournant de l' "action", qui n'ouvre fugitivement sur une piste renvoyant à l'archéologie du texte, à un foisonnement sous-jacent" : ainsi débute un autre article[2] de Petr Dytrt, qui résume bien ce qu'il faut voir dans les romans de Echenoz si on veut en tirer la quintessence. Je limite ici, par souci de clarté, les nombreux autres repères que proposent les deux articles sus-mentionnés de Dytrt qui m'ont permis de comprendre et formuler ce qui précède.

Outre le caractère ludique de ces procédés, quel buts se proposent-ils ? Un troisième article critique [3] évalue le bien-fondé de la thèse de Petr Dytrt, relativise l'intention de parodie critique du roman moderne, et de la modernité en général, qui conduit à qualifier Echenoz d'auteur post-moderne [4]. La lecture ambitieuse du professeur tchèque de littérature y voit en effet le bilan de ce qu'il reste des grands concepts culturels marquants de la culture occidentale. Transformer les romans de l'auteur français en romans à thèse [à propos des esthétiques antérieures] est cependant présomptueux, car, et je cite ici la conclusion de Laurence Comut dans l'article en question, "Echenoz entretient un rapport très désinvolte avec la théorie, et ne cesse d'afficher sa liberté créatrice, son goût de la fantaisie, aussi bien dans la composition de ses romans que dans son inventivité verbale".

Mis à part tout cela, que nous raconte cet épais roman ? La trame fictionnelle passe au second plan à cause de ce qui est décrit plus haut, mais le romanesque est trempé dans le dernier tiers. L'enjeu réside dans les plans du projet Prestidge, avec lesquels s'est enfui un collaborateur d'un laboratoire de recherche. Poussé à réaliser une machine sur une île au large du Pacifique, le chercheur attire les convoitises de mercenaires, ce qui conduit à des actions et crimes impliquant tueurs professionnels et bandes armées, puis à un assaut final dans une déflagration gigantesque où certains sont miraculeusement épargnés. En réalité, il s'agit d'un roman sur le thème du faux. À commencer par l'île, me semble-t-il, géographiquement incompatible avec le méridien de Greenwich qui suit une ligne verticale sur l'Atlantique sud. le projet Prestidge est un prétexte, il est d'ailleurs remplacé à la fin par un autre projet semblable [comme si le roman pouvait recommencer pareillement], tout aussi illusoire, destiné à détourner l'attention des personnes susceptibles de le convoiter et de les faire s'entre-tuer. La multitude des pistes du roman semble être dépourvue de bien-fondé, comme s'il ne s'agissait que d'un simple jeu avec les personnages et la narration du roman. Les plans tant convoités ne devaient d'ailleurs être qu'une copie des vrais plans et, second degré dans le faux, Caine, le chercheur, les remplace par les vrais plans. On finit par se perdre dans le système de la fausseté, puisque même le faux devient faux, ce qui accentue la dimension parodique, caricaturale du roman.

Divertissant, exubérant dans les procédés mis en oeuvre, un farce aussi sérieuse que géniale, soigneusement écrite, comme toujours. J'ai vraiment pris plaisir à cela. Alors, à celles et ceux qui n'apprécient pas l'auteur, essayez-le peut-être avec le bon mode d'emploi ?

[1] La tradition du narcissisme littéraire continue ? Petr Dytrt [17-10-2003]
[2] Une esquisse du jeu citationnel dans les romans de Jean Echenoz - Petr Dytrt [17-10-2003]
[3] Jean Echenoz, auteur postmoderne ? - Laurence Comut [Octobre 2009]
[4] Sens et portée du mot postmoderne, variables de l'Amérique à l'Europe et selon l'époque, sont bien expliqués dans l'article [3].

Lien : http://www.christianwery.be/..
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Poursuite de la lecture de l'oeuvre d'Echenoz, avec ce Méridien de Greenwich né la même année que moi. J'ai eu du mal à entrer dans le récit et je n'ai pu faire autrement que de noter, à part, sur papier blanc, la liste des nombreux intervenants qui se succèdent puis reviennent ponctuellement. Finalement, on n'y a pas compris grand chose, tout au moins à la finalité de l'histoire. Mais on a pris un certain plaisir malgré tout, passé les quelques premières dizaines de pages légèrement désarçonnantes...
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Un roman d'espionnage assez bizarre, où des personnages mystérieux se côtoient, à Paris puis sur une île inhabitée perdue au milieu du Pacifique et traversée en son milieu par le fameux méridien de Greenwich, là où le jour se replie brusquement sur le lendemain. Comme le veut la tradition dans ce genre littéraire, il est difficile de savoir qui fait quoi et pourquoi, seul le dénouement final levant quelque peu le voile sur cette histoire de vrais faux brevets, pour une invention géniale dont tout le monde se contrefiche. Heureusement, l'intérêt de ce roman, très agréable à lire, réside dans le maniement de la langue, fluide et agrémentée de nombreuses trouvailles linguistiques. L'histoire, assez obscure, n'est que prétexte à jongler avec la logique, les changements d'échelle et de perspective, dans une vision quasi cinématographique d'un réel entièrement recomposé. Bref, il n'est question ici que de littérature, mais l'exercice est brillant et ravira l'amateur de belles lettres. Un plaisir dont on ne se lasse pas…
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On sent là la jeunesse de l'écriture, l'auteur n'a pas encore trouvé sa redoutable concision. Son premier roman est alambiqué, parcimonieux, et se dévoile par morceaux opaques et mesurés. le puzzle finalement reconstitué laisse un goût de cinéma hollywoodien raillé.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
p.100/Byron Caine regardait sa machine. Cette accumulation d'objets divers agglutinés sur un cylindre choquait à première vue par son apparence désolante d'objet inachevé. Mais cet inachèvement était si flagrant, si insistant, si parfait en tant qu'inachèvement, que l'on pouvait penser qu'il constituait le principe même de la machine, qu'il en était la fin en soi ; et, dans ces conditions, la perfection de son inachèvement rendant l'objet achevé puisque inachevé, on pouvait le supposer fini, prêt à fonctionner, fonctionnant même peut-être déjà ; on pouvait considérer que dès lors toute amélioration que l'on apporterait à la machine ne saurait plus consister qu'en un perfectionnement de son inachèvement même. Quoiqu'il en fût, il était très difficile de déterminer sa fonction.
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Et ils firent l'éloge du placide platane, arbre domestique, voué à l'ornementation des routes nationales et des places publiques, équivalent végétal de la vache, elle-même vouée à la décoration des champs, arbre dont on dispose à volonté, que l'on intègre à l'ordre humain aussi facilement qu'un chien ou qu'une poule. À preuve de sa docilité, et comme de son abdication, le platane ne forme pas de bandes comme les autres arbres, plus sauvages. (...) le platane était un gros arbre neutre et soumis, un castrat branchu. Sans doute d'ailleurs était-il mal vu par les autres essences ; il devait faire figure de mouton, de collaborateur, de jaune.
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Ce fut comme si on lui avait tapé sur l'intellect avec une massue;sa conscience ébranlée par le choc enregistra un bref magma sensoriel et confus de cris et de silence emmêlés,de froid et de chaleur extrêmes coexistant incompréhensiblement,bref,l'émotion.
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Indolent et familier, inverse du baobab – ou sans chercher si loin, du simple cyprès- il était plus que tout autre démuni de dimension tragique, sauf quand une automobile s’écrasait contre son tronc, seule occasion de drame pour le platane, mais qui accentuait plus encore son statut d’arbre humain à l’extrême, socialisé jusque dans l’accident
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Il devait être à la campagne. Il reconnaissait le fond sonore ininterrompu de la campagne, où les babils d'oiseaux, les frissons des feuillages et l'entrechoc des branches se croisaient aux cris d'animaux domestiques et aux bourdons d'insectes pour tisser une trame de bruits, légère et tenace à la fois, trouée de temps en temps par un silence qui, dans un tel contexte prenait une allure de bruit. Ces silences ruraux étaient tous différents, qui déterminaient la durée de ce silence, mais, plus encore, sa saveur particulière, sa densité, son style.
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Mathieu Lindon Une archive - éditions P.O.L où Mathieu Lindon tente de dire de quoi et comment est composé son livre "Une archive", et où il est notamment question de son père Jérôme Lindon et des éditions de Minuit, des relations entre un père et un fils et entre un fils et un père, de Samuel Beckett, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Marguerite Duras et de Robert Pinget, de vie familiale et de vie professionnelle, de l'engagement de Jérôme Lindon et de ses combats, de la Résistance, de la guerre d'Algérie et des Palestiniens, du Prix Unique du livre, des éditeurs et des libraires, d'être seul contre tous parfois, du Nouveau Roman et de Nathalie Sarraute, d'Hervé Guibert et d'Eugène Savitzkaya, de Jean Echenoz et de Jean-Phillipe Toussaint, de Pierre-Sébastien Heudaux et de la revue Minuit, d'Irène Lindon et de André Lindon, d'écrire et de publier, de Paul Otchakovsky-Laurens et des éditions P.O.L, à l'occasion de la parution de "Une archive", de Mathieu Lindon aux éditions P.O.L, à Paris le 12 janvier 2023.

"Je voudrais raconter les éditions de Minuit telles que je les voyais enfant. Et aussi mon père, Jérôme Lindon, comme je le voyais et l'aimais. Y a-t-il des archives pour ça ? Et comment être une archive de l'enfant que j'ai été ?"
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« C’est un scandale », dit Caine, « c’est la preuve que l’on n’est jamais arrivé à concilier le temps et l’espace.»

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