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"Vous êtes Paul Salvador et vous cherchez quelqu'un". Puisque Monsieur Echenoz l'ordonne, je m'empresse. Je biffe derechef mes nom et prénom sur ma carte d'identité. Voilà, c'est fait! J'ai corrigé. Désormais, je m'appelle Paul Salvador. Je m'en vais rechercher quelqu'un mais pas n'importe qui: une grande blonde. Et pas par oisiveté ou pour frimer; pour la série télévisée que je projette. Etoile filante lestée de deux 45T et d'une condamnation pour meurtre, Gloire Abgrall alias Gloria Stella fera un joli effet dans le panel doré que je m'épuise à organiser (blondes froides, chaudes, oxygénées, peroxydées…) sans y parvenir jamais. Mu par la promesse d'un Audimat explosif, je lance mes enquêteurs sur les traces de Gloire Abgrall. Fantasque en diable avec son ange gardien raté (homoncule peu ragoutant d'une trentaine de centimètres, non ailé, costumé), désinvolte comme à l'accoutumée, démiurge du style, Echenoz vient titiller Hitchcok pour mieux l'abandonner dans une cabine de téléphérique et surprendre son lecteur (non pas suspendre) par la non-chute de son roman paradoxalement flanqué d'une héroïne maniaque de la chute. Car s'il ne faut pas trop pousser mémé dans les orties, Gloire pousse de falaise en pont, de cage d'escalier en phare (les empêcheurs de vivre tranquillement). En toute impunité. Tellement impunie que les rebondissements rebondissent entre avions, ennui, insomnies, meurtres anodins. Rien ne manque. Et surtout pas l'humour délectable de cet écrivain qu'il faudrait inventer s'il n'existait par lui-même et la grâce des Editions de Minuit. Quand mes yeux s'emberlificotent dans ce genre de considérations aussi oiseuses que lumineuses: "Le temps avait changé (pluie fine) et Donatienne aussi s'était changée. Cela n'était pas tout de suite perceptible mais, son imperméable tombé, ce qu'elle portait se révéla plus exigu que la veille encore, si court et décolleté que ces adjectifs tendaient cette fois à se confondre, envisageaient de s'installer et vivre à deux dans la même entrée du premier dictionnaire venu", j'arbore le sourire niais de la lectrice comblée. Rebaptisée ou pas Paul Salvador. Bien sûr, après avoir parcouru le globe, arbitré les querelles de Gloire et de Béliard (vous savez l'homoncule qui se perche sur l'épaule), assisté à quelques chutes non accidentelles et trafics de drogue et césium, l'on pourrait se dire "Tout ça pour ça". Mais justement, ce formidable pied de nez à l'intrigue signe tout le talent d'Echenoz. + Lire la suite |