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Citations sur Ravel (56)

"C'est qu'on ne peut pas faire tout en même temps, n'est-ce pas, c'est toujours la même chose, on ne peut pas s'endormir en surveillant le sommeil."
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Cet objet sans espoir [le Boléro] connaît un triomphe qui stupéfie tout le monde à commencer par son auteur. Il est vrai qu'à la fin d'une des premières exécutions, une vieille dame dans la salle crie au fou, mais Ravel hoche la tête : En voilà au moins une qui a compris, dit-il juste à son frère. De cette réussite, il finira par s'inquiéter. Qu'un projet si pessimiste recueille un accueil populaire, bientôt universel et pour longtemps, au point de devenir un des refrains du monde, il y a de quoi se poser des questions, mais surtout de mettre les choses au point. A ceux qui s'aventurent à lui demander ce qu'il tient pour son chef d'œuvre : C'est le Boléro, voyons, répond-il aussitôt, malheureusement il est vide de musique.
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Bref Ravel joue mal, mais enfin bon, il joue. Il est, il sait qu'il est le contraire d'un virtuose mais, comme personne n'y entend rien, il s'en sort tout à fait bien.
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D'un geste familier comme s'il avait toujours été près d'elle, Ravel éteint la lampe de chevet puis, lui qui cherche toujours le sommeil jusqu'à l'aube pour finir par n'en décrocher qu'un d'occasion, de seconde main, de qualité médiocre voire n'en trouver aucun, il est à peine dix heures qu'il s'endort comme une pierre dans un puits.
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(...) le surlendemain voulant jouer sa Sonatine à l'ambassade de Madrid, il enchaîne directement l'exposition à la coda du final en sautant le mouvement du menuet. On peut penser ce qu'on veut de cet incident. On peut croire à un trou de mémoire. On peut supposer que ça le fatigue, de rejouer, éternellement cette chose vieille de plus de vingt ans. On peut encore imaginer que, devant un auditoire trop inattentif, il préfère expédier cette exécution. Mais on peut se dire aussi que, pour la première fois en public, quelque chose ne colle plus.
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p. 107
Tout va peut-être un peu mieux mais il voit bien aussi que la forme de son écriture se dégrade de plus en plus, qu'elle perd son élégance pour devenir hésitante, maladroite, en route vers l'illisible. Comme ces temps-ci les surréalistes s'évertuent à s'agiter, ils ont l'idée d'inviter du beau monde au siège du Minotaure pour se livrer à l'une de leurs solennelles facéties: prendre cette fois des empreintes de mains célèbres et les faire commenter par un expert. Il y a là des personnalités assez diverses, de Duchamp à Huxley et de Gide à Saint Exupéry. Bien que Breton se méfie pas mal de la musique, à moins sans doute qu'il n'y entende rien, il a tenu à ce que Ravel participe à cet examen, seul compositeur sélectionné. Ravel, qui a l'air rétabli, est très content de participer à ce phénomène. Il arrive en souriant, toujours très bien coiffé, costume anthracite croisé, l'oeil alerte et le pas vif, assez ému de se retrouver devant les surréalistes qui l’intéressent peut-être plus qu'il ne le laisse paraître et se prête volontiers à l'opération: l'expert pose les mains de Ravel sur une plaque de noir de fumée puis sur du papier blanc et le tour est joué.
Cependant ce n'est pas tout à fait terminé, chaque sujet doit ensuite signer sa propre empreinte, or quand vient le tour de Ravel et qu'on lui tend un porte-plume il a un mouvement de recul. Je ne peux pas, dit-il simplement, je ne peux pas signer. Mon frère vous enverra ma signature demain. Puis se tournant vers Valentine Hugo qui l'accompagne: Allons-nous en, Valentine, partons vite. Sorti en silence sous une pluie battante, Ravel monte à la hâte dans le taxi qui s'éloigne. Valentine reste sur le trottoir. Les surréalistes se regardent. Quant à l'expert, c'est une experte, Mme le Dr Lotte Wolff. On a gardé son commentaire. Il est complètement idiot.
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En 14 il avait vraiment voulu s'engager, bien qu'on l'eût exempté de toutes espèce d'obligation militaire, lui représentant sans tact qu'on le trouvait trop frêle. Rentré chez lui désappointé puis croyant saisir une idée convaincante − car désirant vivement être nommé, allez savoir pourquoi, bombardier en aéro −, il était retourné voir les recruteurs en faisant valoir que, justement, son peu de poids le désignait comme personne pour être enrôlé dans l'aviation. Bien que cela parût logique, ils n'avaient pas été sensibles à l'argument et n'avaient rien voulu savoir. Trop léger, disaient-ils, trop léger, il vous manque au moins deux kilos. Mais comme il insistait sans relâche, à force de huit mois de démarches ils avaient fini par le prendre, levant les yeux au ciel en haussant les épaules, et ne trouvant rien de mieux que de l'incorporer sans rire comme conducteur au service des convois automobiles, section poids lourds, bien entendu. C'est ainsi qu'un jour on avait pu voir un énorme camion militaire descendre les Champs-Élysées, contenant une petite forme en capote bleue trop grande agrippée tant bien que mal à un volant trop gros, surmulot sur un éléphant.
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Il y a en tout cas une fabrique qu'en ce moment Ravel aime bien regarder, sur le chemin du Vésinet, juste après le pont de Rueil, elle lui donne des idées. Voilà: il est en train de composer quelque chose qui relève du travail à la chaîne.
Chaîne et répétition, la composition s'achève en octobre après un mois de travail seulement, troublé par un splendide rhume cueilli, pendant une tournée en Espagne, sous les cocotiers de Malaga.
Il sait très bien ce qu'il a fait, il n'y pas de forme à proprement parler, pas de développement ni de modulation, juste du rythme et de l'arrangement. Bref c'est une chose qui s'autodétruit, une partition sans musique, une fabrique orchestrale sans objet, un suicide dont l'arme est le seul élargissement du son. Phrase ressassée, chose sans espoir et dont on ne peut rien attendre, voilà au moins, dit-il, un morceau que les orchestres du dimanche n'auront pas le front d'inscrire à leur programme. Mais tout cela n'a pas d'importance, c'est seulement fait pour être dansé. Ce seront la chorégraphie, la lumière et le décor qui feront supporter les redites de cette phrase.
Après qu'il a fini, un jour qu'il passe avec son frère près de la fabrique du Vésinet: Tu vois, lui dit Ravel, c'est là, l'usine du "Boléro".
Or ça ne se passe pas du tout comme prévu. La première fois que c'est dansé, ça déconcerte un peu mais ça marche. Mais c'est ensuite au concert que ça marche terriblement. Ça marche extraordinairement. Cet objet sans espoir connaît un triomphe qui stupéfie tout le monde à commencer par son auteur. Il est vrai qu'à la fin d'une des premières exécutions, une vieille dame dans la salle crie au fou, mais Ravel hoche la tête: En voilà une qui a compris, dit-il juste à son frère.
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C'est peu dire que Ravel est gêné, presque un peu contrarié. D'ordinaire, au concert, il sort fumer une cigarette quand c'est au tour de ses œuvres d'être exécutée. Il n'aime pas être là quand on le joue. Mais pas moyen de se défiler, c'est de bon cœur qu'on a voulu lui faire une petite surprise, il s'efforce de sourire en maugréant intérieurement. D'autant plus que sa nouvelle sonate, ils ne l'exécutent pas, juge-t-il, très bien.
Et quand au bout d'un bon quart d'heure ils ont achevé le dernier mouvement, "Perpetuum mobile", se pose maintenant un autre problème: applaudir ou pas: car applaudir son œuvre est aussi déplaisant que ne pas applaudir les interprètes. Dans le doute il se lève en battant ostensiblement les mains vers les deux contractuels, puis serre les leurs avec chaleur avant de saluer en même temps qu'eux sous les acclamations de toute la première classe du "France".
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On ne sache pas qu'il ait amoureusement aimé, homme ou femme, quiconque. On sait seulement que lorsqu'il s'est enhardi un jour à proposer le mariage à une amie, celle-ci s'est mise à rire très fort en s'exclamant devant tout le monde qu'il était fou. On sait que lorsqu'il a essayé avec Hélène, lui demandant de façon détournée si ça ne lui plairait pas de vivre à la campagne, elle a aussi décliné cette proposition, quoique avec plus de douceur. Mais quand une troisième, aussi grande et importante qu'il est petit et mince, lui a fait à rebours la même offre, on sait encore que c'est lui qui s'est mis à rire aux larmes.
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