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3,82

sur 719 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Jean Echenoz raconte les dix dernières années de la vie de Maurice Ravel, et il le fait d'une façon très originale.
Nous sommes bien loin du récit classique, linéaire et exhaustif : l'auteur a choisi de présenter de petites anecdotes, de petits détails qui, bien disposés tels les morceaux d'une mosaïque, dressent un portrait singulier du compositeur.
Misanthrope, capricieux, exigeant, autocentré, Ravel paraît d'abord peu sympathique.
Puis ses fragilités que l'on découvre petit à petit le rendent plus humain, plus digne d'intérêt et même de compassion lorsque l'on suit sa lente déchéance physique et mentale.

Au début du roman, le musicien est vraiment agaçant. Il est terriblement têtu, hautain, et râle sans arrêt. Il agit parfois comme un enfant qui veut que l'on cède à ses moindres désirs, comme cette fois où il refuse de monter sur scène parce qu'il n'a pas ses souliers vernis !
Mais entre les lignes apparaissent des circonstances atténuantes : avec cette attitude désagréable, Ravel s'est sans doute forgé une carapace pour masquer ses failles. Il est insomniaque, manque d'assurance, souffre de fatigue chronique, et craint que ses compositions ne soient pas reconnues.
Habituelles angoisses des grands artistes ?
Toujours est-il qu'au fil des pages on s'attache à cet être fragile et tourmenté. On éprouve de l'empathie pour cet homme qui décline sous nos yeux. L'auteur également : initialement impertinent voire moqueur, le récit se fait plus tendre pour nous raconter une fin de vie assez triste.

Tel un réalisateur, Jean Echenoz nous embarque dans un oeuvre très cinématographique : nous sommes la caméra qu'il dirige et qui filme les scènes qu'il a choisies.
Le résultat est un petit livre plein d'humour et de fantaisie, bien loin des biographies conventionnelles et parfois fastidieuses.
Tout le talent de l'écrivain est là : avoir fait des dix dernières années de la vie du grand musicien un vrai roman dont je me suis délectée.

Une dernière remarque : Ravel, ce n'est pas que le Boléro, loin de là ! Un petit tour sur internet vous fera découvrir des merveilles. Musique de chambre, musique orchestrale, oeuvres pour piano : le choix est vaste, n'hésitez pas.
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"Quelque chose ne colle plus" constate avec effroi le célèbre compositeur Maurice Ravel, pourtant au faite de sa gloire, dont les neurones se déconnectent peu à peu.
Comme Jean d'Ormesson dans La conversation, qui analyse le moment clef où Bonaparte décide de devenir empereur, Jean Echenoz accomplit le trajet en sens inverse et étudie l'impact déstabilisant un grand homme (Ravel en l' occurrence, compositeur de génie) le poussant un jour à dire "c'est vraiment tragique ce qui m'arrive" alors que le cerveau embrumé, il ne peut plus écrire, ni composer, oublie tout et s'enlise dans un ennui neurasthénique.
1927. Plus que (ou encore!) dix ans à vivre. Ravel l'ignore. Il embarque sur le France (ce géant mis en parallèle qui dans 9 ans chutera) via l'Amérique du nord pour une tournée mondiale sous un délire d'applaudissements (en particulier à New-York)où le public l'ovationne debout durant une demi-heure!
Jean Echenoz, au style brillant et concis, comme dans 14, campe peu à peu le décor de cette tragédie. Un portrait d'homme obsessionnel "sec,mais chic", de quincagénaire célibataire, asocial,"tiré à quatre épingles vingt-quatre heures sur vingt-quatre",humiliant, dont le cadre de vie précis supporte mal les arrangements surtout lorsqu'ils viennent d'un interprète aux rajouts (pour lui) incongrus.
De paresse en désinvolture, de dédain en je-m'en-foutisme, est-ce à ce moment précis que la chute commence? Où était-elle déjà là à l'état larvaire lorsqu'il composa son Boléro, captant son inspiration dans l'usine du Vésinet dont la "phrase ressassée sans espoir" dit le travail à la chaine mais dont les adaptations successives ne lui plaisent pas car elles déforment sa pensée, à savoir que son fameux Boléro "est vide de musique". Vide, vide à combler de notes....ses notes.
Ce point de vue intéressant pose le problème de l'adaptation d'une oeuvre dont a d'ailleurs parlé dernièrement Douglas Kennedy lors d'une soirée littéraire à la librairie Charlemagne de Toulon.Plus philosophe que Ravel, ou moins rigide, il a conclu à propos d'une adaptation cinématographique de l'un de ses romans: "c'est mon livre, c'est son film".
Pour en revenir à l'excellent Ravel de Jean Echenoz, les dix dernières années de vie de Ravel permettent également au lecteur de voir une période charnière (années 1930) de bouillonnement culturel et de progrés (jazz, nouvelle salle Pleyel, goûts littéraires pour du Faulkner,arrivée des Surréalistes....)
Bref, Jean Echenoz, ici encore (puisqu'il a reçu le prix Goncourt général 1999 pour Je m'en vais, le Médicis général 1983 pour Cherokee), ne faillit pas à sa réputation d'écrivain hors normes.
Ravel est édité par Les éditions de Minuit, actuellement à l'honneur au théâtre dans Nouveau Roman, car n'est-ce pas cette maison d'édition qui a lancé Nathalie Sarraute, Samuel Beckett....et tant d'autres écrivains intellectuels dits modernes).
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J'ai voulu prolonger le ravissement du Boléro d'Anne Fontaine vu hier en proie à une émotion intense, touché par la solitude et la tristesse de Ravel durant les dix dernières années de sa vie.
Après les images, les mots justes - juste les mots - de Jean Echenoz, condensé d'une décennie, allongé des arabesques de l'écrivain, sertissant le réel dans un écrin de phrases légères et de traits évocateurs. Sa description du Boléro, pages 78 et 79 est magistrale.
Il est parlé de Ravel à la troisième personne, en observateur attentif d'une lente plongée dans la prison du cerveau. La musique est toujours là mais elle ne sort plus.
C'est vrai, j'espérais percer un peu l'énigme Ravel, muet sur sa vie privée, parti sans aucune image filmée, ni aucun enregistrement de sa voix.
Echenoz, comme d'autres avant lui, semble avoir puisé aux mêmes sources historiques, probablement la somme de Marcel Marnat, publiée en 1986, aujourd'hui indisponible.
La patte d'un grand écrivain marque la différence avec les biographies convergentes; elle donne du relief aux faits, les enrobe d'un contexte intime inventé, sème l'humour sous la tragédie, imagine l'état d'âme du compositeur, reclus en lui-même, lucide sur ses déficiences cérébrales, prêt à laisser la vie se détacher de lui.
Grâce à un romancier et à une cinéaste, je "vois" mieux qui est Ravel.
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Jean Echenoz, dont on ne se lasse pas de la musique des mots quel que soit le sujet abordé, devait un jour écrire sur cet art. C'est chose faite avec ce court roman nous contant, sur un ton enlevé, n'hésitant pas à frayer avec le français de la rue, la dernière décennie de Maurice Ravel, immense musicien dont tout un chacun connait au moins le fameux "Boléro". Dix années fécondes, au cours desquelles Ravel, au faîte de sa gloire, adulé dans le monde entier bien que fuyant l'intelligentsia parisienne, va composer quelques-unes de ses partitions les plus célèbres avant de perdre petit à petit ses facultés, atteint selon l'auteur d'une atrophie cérébrale que l'on aurait aujourd'hui probablement diagnostiquée comme maladie d'Alzheimer. On se laisse porter par l'écriture fluide de ce merveilleux écrivain, admirable conteur d'histoires, dans sa quête de la vérité intime d'un artiste dont on ne connaît en fait que très peu de chose. Ses problèmes de sommeil, sa neurasthénie, ses envies et ses dégouts, ses amitiés, son goût pour le beau joint à un irrépressible besoin de choquer, nous semblent maintenant familiers. Merci, Jean Echenoz, pour ce délicieux moment passé dans l'intimité d'un grand artiste.
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Toujours avec une écriture simple, directe, allant à l'essentiel, l'excellent romancier Jean Echenoz nous fait vivre les dix dernières années de Maurice Ravel (1875 – 1937), immense musicien, compositeur génial d'un Boléro qui trotte toujours dans un coin de notre tête.
L'auteur nous place, dès les premières lignes, dans l'intimité de cet homme, en 1928, à Montfort-l'Amaury où il habite, où il se prépare hâtivement à partir pour l'Amérique, sur le paquebot France. Une suite lui a été réservée sur le bateau et on le reconnaît car il est, comme Stravinsky, au faîte de sa célébrité : « Il est un homme sec mais chic, tiré à quatre épingles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. »
S'il est très élégant, il emmène dans ses bagages « soixante chemises, vingt paires de chaussures, soixante-quinze cravates, vingt-cinq pyjamas… » mais aussi une petite valise pleine de Gauloises car il fume beaucoup, beaucoup trop.
L'auteur nous fait partager sa vie à bord, la lecture, le cinéma, la piscine, le salon de coiffure et la nuit du 31 décembre avec le repas à la table du commandant… Au passage, Ravel a raconté sa guerre de 14, lui qui voulait s'engager mais qui avait été refoulé parce que trop frêle. Après dix-huit mois de démarches, il avait été enfin enrôlé comme conducteur au service des convois, section poids lourds. Ainsi, en 1916, il roulait près de Verdun.
Lorsqu'il donne un petit concert, deux jours avant l'arrivée à New York, l'auteur écrit : « Ce ne sont pas vraiment des mains de pianiste et d'ailleurs il ne possède pas une grande technique, on voit bien qu'il n'est pas exercé, il joue raidement en accrochant tout le temps. »
Lui qui n'a « aucune oreille pour les langues étrangères à l'exception du basque.» va se produire dans vingt-cinq villes, d'est en ouest, du nord au sud des États-Unis.
Revenu en France, il retrouve régulièrement son Pays basque natal puis compose son fameux Boléro après un mois de travail, suite à une demande de la danseuse russe, Ida Rubinstein. Il refuse la Légion d'Honneur. Sa rencontre avec Paul Wittgenstein, pianiste prisonnier de Russes, déporté en Sibérie, revenu sans son bras droit, motive Ravel pour écrire un Concerto pour la main gauche.
Hélas, sa santé décline vite même s'il repart en tournée avec Marguerite Longau piano et lui au pupitre. Un grave accident en taxi n'arrange rien. Son écriture se dégrade. Il ne reconnaît plus ses oeuvres et, après avoir été opéré par un neurochirurgien, il meurt dix jours après, à 62 ans, sans laisser de testament ni aucune image filmée et pas le moindre enregistrement de sa voix.


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Génie concis et plein d'humour recherche écrivain même profil pour courte biographie !
Au sortir de ce livre magnifique et bouleversant, difficile de ne pas être frappé par les correspondances entre le génie de Ravel et l'incroyable talent d'Echenoz. L'un comme l'autre ont le don de créer des oeuvres brèves, marquantes et reconnaissables entre toutes, pleine d'humour et de profondeur, et pourtant, tout à la fois, gentiment parodiques. Echenoz, je trouve, c'est énormément de choses à la fois. Un écrivain moderne (d'où les éditions de Minuit), un style reconnaissable et pourtant capable de tout, de digressions rappelant l'épisode du scribe dans Mission Cléopatre (rappelez-vous Edouard Baer...), mais aussi de phrases longues et classiques, d'un vocabulaire très riche et précis et tout d'un coup d'une vulgarité qui claque.
Et puis ici, en 122 pages, on a une superbe biographie dans laquelle de minuscules détails en disent tellement long, mais aussi le portrait d'une époque. Quel charme que ce chapitre par exemple qui voit Ravel dans un paquebot à destination de New York...
Incroyable talent d'Echenoz qui parvient à montrer la genèse de certaines oeuvres (Boléro bien sur mais aussi l'étonnant concerto pour la main gauche) de manière si simple, si limpide.
Et puis certains passages sont réellement bouleversants, comme celui on l'on découvre un Ravel minuscule se battant littéralement pour aller au front en 14-18, avec un grand courage physique, ou celui de sa fin, horrible.
On a rarement l'occasion d'utiliser mieux les deux heures nécessaires à la lecture de ce, osons le mot, chef d'oeuvre !
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On sait peu de choses de Maurice Ravel, mais ce peu Echenoz lui donne vie, nous plongeant dans les dernières années de la vie de ce compositeur de génie, qui ne dévoile rien de son inspiration, cachant soigneusement ses partitions à ses visiteurs, et semble prêter plus d'attention à ses chaussures vernies et à ses pochettes qu'à ses admirateurs. Mais gare à celui qui prend trop de liberté dans l'interprétation de ses oeuvres ! le discours indirect libre nous entraîne sur les pas du musicien tout en gardant nos distances. Plus le lecteur essaie d'approcher l'artiste, plus il devient insaisissable, nous échappant comme il s'échappe à lui-même à la fin de sa vie. le livre s'achève sur la tragédie d'une opération inutile et un mystère. On n'aura pas vraiment su qui était Ravel. C'est dans sa musique qu'il faut désormais le chercher.
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Compositeur talentueux, mondialement et universellement connu pour son "Boléro", Maurice Ravel est décédé en 1937 de troubles cérébraux. Jean Echenoz raconte les dix dernières années du musicien, de façon romancée, et dresse le portrait d'un personnage public qui fait des tournées, de nombreux concerts, fraie avec de nombreuses personnalités, mais aussi d'un solitaire à qui on ne connait aucune vie sentimentale, qui va perdre petit à petit toutes ses facultés cognitives. Un personnage mystérieux, qui n'a laissé pour seules traces que son immense oeuvre musicale mais très peu de photos et aucun enregistrement de sa voix.


Ce récit commence lorsque Ravel s'apprête à partir pour une tournée de quatre mois aux les Etats-Unis. Ce sont les fastes des premières classes à bord du transatlantique Le France, du pont duquel le compositeur contemple la mer, "dans l'idée d'en extraire une ligne mélodique, un rythme, un leitmotiv, pourquoi pas." On peut être un grand compositeur sans pour autant être un grand musicien : la veille de son arrivée, il donne un petit concert et exécute son Prélude en La mineur : "il ne possède pas une grande technique, on voit bien qu'il n'est pas exercé, il joue rapidement en accrochant tout le temps. […] Bref il joue mal mais enfin bon, il joue. Il est, il sait qu'il est le contraire d'un virtuose mais, comme personne n'y entend rien, il s'en sort tout à fait bien." C'est donc un étrange personnage que ce Ravel présenté par Echenoz, avec élégance et un humour parfois ravageur, qui voyage avec un escadron de valises contenant une soixantaine de chemises, vingt paires de chaussures, soixante-quinze cravates et vingt-cinq pyjamas, n'a jamais vraiment travaillé le piano qui demandait trop d'efforts physiques, ou s'énerve quand Paul Wittgenstein enjolive la partition de son Concerto pour la main gauche ; de son Boléro, inspiré du travail à la chaîne, il s'étonnait de son succès, et a dit d'une spectatrice criant au fou à la fin du concert qu'elle au moins avait tout compris. C'est un personnage touchant aussi que ce petit homme à la carrure de jockey, à qui l'on ne connaît aucune relation amoureuse et qui a toujours vécu seul, qui assiste impuissant à sa lente et inexorable déchéance, incapable de reconnaître ses oeuvres en concert, qui dit à sa fidèle pianiste Marguerite Long que c'est quand même terrible ce qui lui arrive.

Lien : http://usine-a-paroles.fr/le..
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Le style, le vrai ! Dans "Ravel", publié six ans avant, on trouve les prémices de l'écriture quasi parfaite de "14", le livre qui m'a fait connaître l'auteur et donné envie d'explorer son oeuvre plus avant. Un vrai bonheur de se laisser porter par la prose légère et précise de Jean Echenoz, comme une évidence.
Même épaisseur, cent-vingt pages, un format qui lui convient à merveille. Cent-vingt pages sur les traces de Maurice Ravel, ou plutôt de sa dernière décennie. Cent-vingt pages pour faire revivre l'ambiance de la période de l'entre-deux guerres, si riche sur le plan artistique, si propice à l'innovation et à l'exploration. le lecteur entre dans l'intimité de Ravel de la meilleure façon qui soit, par l'intermédiaire d'un incipit après lequel il est impossible de lâcher le livre : "On s'en veut quelquefois de sortir de son bain". le célèbre compositeur est en plein préparatifs pour un voyage de plusieurs mois.A travers ce périple, de la traversée sur le paquebot France aux multiples déplacements du Nord au Sud et d'Est en Ouest de ce vaste terrain qu'est l'Amérique, et d'autres voyages encore, en Angleterre, en Autriche, émerge le portrait d'un artiste reconnu, adulé, applaudi bien au-delà de son propre pays. Un peu capricieux, sûr de son art, un peu précieux...
Lien : http://motspourmots.over-blo..
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Jean Echenoz nous fait partager les derniers moments de notoriété mais aussi d'intimité de Maurice Ravel : sa demeure avec son petit jardin, son amour pour l'élégance de ses tenues vestimentaires, son cercle de connaissances et d'amis, sa tournée triomphale aux Etats-Unis et sa lente déchéance psychique, quelques événements marquants de son existence.
Jusqu'au bout l'auteur montre son attachement à la vie, la préoccupation régulière de son entourage proche face à son état de santé avec une recherche permanente de solutions pour l'améliorer.
J'ai aimé le choix de l'écrivain de présenter davantage l'homme que l'artiste - compositeur.
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