"Quelque chose ne colle plus" constate avec effroi le célèbre compositeur Maurice
Ravel, pourtant au faite de sa gloire, dont les neurones se déconnectent peu à peu.
Comme Jean d'Ormesson dans
La conversation, qui analyse le moment clef où
Bonaparte décide de devenir empereur,
Jean Echenoz accomplit le trajet en sens inverse et étudie l'impact déstabilisant un grand homme (
Ravel en l' occurrence, compositeur de génie) le poussant un jour à dire "c'est vraiment tragique ce qui m'arrive" alors que le cerveau embrumé, il ne peut plus écrire, ni composer, oublie tout et s'enlise dans un ennui neurasthénique.
1927. Plus que (ou encore!) dix ans à vivre.
Ravel l'ignore. Il embarque sur le France (ce géant mis en parallèle qui dans 9 ans chutera) via l'Amérique du nord pour une tournée mondiale sous un délire d'applaudissements (en particulier à New-York)où le public l'ovationne debout durant une demi-heure!
Jean Echenoz, au style brillant et concis, comme dans 14, campe peu à peu le décor de cette tragédie. Un portrait d'homme obsessionnel "sec,mais chic", de quincagénaire célibataire, asocial,"tiré à quatre épingles vingt-quatre heures sur vingt-quatre",humiliant, dont le cadre de vie précis supporte mal les arrangements surtout lorsqu'ils viennent d'un interprète aux rajouts (pour lui) incongrus.
De paresse en désinvolture, de dédain en je-m'en-foutisme, est-ce à ce moment précis que
la chute commence? Où était-elle déjà là à l'état larvaire lorsqu'il composa son Boléro, captant son inspiration dans l'usine du Vésinet dont la "phrase ressassée sans espoir" dit le travail à
la chaine mais dont les adaptations successives ne lui plaisent
pas car elles déforment sa pensée, à savoir que son fameux Boléro "est vide de musique". Vide, vide à combler de notes....ses notes.
Ce point de vue intéressant pose le problème de l'adaptation d'une oeuvre dont a d'ailleurs parlé dernièrement
Douglas Kennedy lors d'une soirée littéraire à la librairie Charlemagne de Toulon.Plus philosophe que
Ravel, ou moins rigide, i
l a conclu à propos d'une adaptation cinématographique de l'un de ses romans: "c'est mon livre, c'est son film".
Pour en revenir à l'excellent
Ravel de
Jean Echenoz, les dix dernières années de vie de
Ravel permettent également au lecteur de voir une période charnière (années 1930) de bouillonnement culturel et de progrés (jazz, nouvelle salle Pleyel, goûts littéraires pour du
Faulkner,arrivée des Surréalistes....)
Bref,
Jean Echenoz,
ici encore (puisqu'il a reçu le prix Goncourt général 1999 pour
Je m'en vais, le Méd
icis général 1983 pour
Cherokee), ne faillit
pas à sa réputation d'écrivain hors normes.
Ravel est édité par Les éditions de Minuit, actuellement à l'honneur au
théâtre dans Nouveau Roman, car n'est-ce
pas cette maison d'édition qui a lancé
Nathalie Sarraute,
Samuel Beckett....et tant d'autres écrivains intellectuels dits modernes).