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EAN : 9782707345875
240 pages
Editions de Minuit (03/01/2020)
3.36/5   572 notes
Résumé :
La carrière de Gérard Fulmard n'a pas assez retenu l'attention du public. Peut-être était-il temps qu'on en dresse les grandes lignes. Après des expériences diverses et peu couronnées de succès, Fulmard s'est retrouvé enrôlé au titre d'homme de main dans un parti politique mineur où s'aiguisent, comme partout, les complots et les passions. Autant dire qu'il a mis les pieds dans un drame. Et croire, comme il l'a fait, qu'il est tombé là par hasard, c'est oublier que ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (125) Voir plus Ajouter une critique
3,36

sur 572 notes

Une lecture éphémère.
Je me dépêche d'écrire ce billet sur le dernier roman de Jean Echenoz car j'ai peur qu'une seule nuit de sommeil suffise à me faire oublier des pans entiers de cette histoire. Les récits de cet auteur me font toujours le même effet : un plaisir fugace de lecture, un joli château de sable abandonné à marée basse, une intrigue dont le souvenir ne dépasse pas l'espérance de vie d'un insecte.
Minute Papillon ! Tu parles d'un auteur Goncourisé, encensé par la critique et publié aux Editions de Minuit. Ce n'est pas un almanach abandonné dans une boîte à livres recouverte de graffitis à la qualité artistique douteuse.
J'ai conscience de tout cela mais si les bons mots et le ton détaché de l'auteur enrichissent ma collection de citations amusantes, cette prose ne franchit jamais l'emballage des personnages et me laisse en rade d'émotions.
Je m'en veux un peu car j'apprécie d'ordinaire les romanciers qui ne se complaisent pas dans la psychologie positive et qui évitent les tons trop partisans et moralisateurs. Jean Echenoz colle à ce portrait-robot mais j'ai l'impression qu'il filme plus qu'il n'écrit ses personnages et je suis resté une nouvelle fois spectateur de cette histoire.
Côté scénario, Gérard Fulmard, ancien steward passé par le hublot, s'improvise détective privé avec la conviction d'un paresseux neurasthénique. Il est embauché par un parti politique miné par des magouilles, les luttes de pouvoir et dont une des responsables vient de se faire enlever. Ce mouvement à l'idéologie poreuse semble néanmoins pencher très à droite de l'échiquier politique. Les échecs, Fulmard les collectionne comme d'autres les timbres et il parvient sans trop de difficultés à tâcher le sale boulot qui lui est confié.
Les passages les plus réussis concernent l'évocation burlesque des évènements qui ont animé la rue Erlanger où vit le héros. Il faut reconnaître à l'auteur cette capacité à introduire dans ses intrigues des épisodes improbables. Jean Echenoz n'est pas un homme de statistiques ou de probabilités, c'est un fantaisiste, et il n'hésite pas incruster dans son histoire un requin mangeur d'hommes ou la chute d'un satellite russe. En revanche, le lecteur et Gérard Fulmard restent en orbite face aux évènements et j'ai trouvé que la description des officines politique se limitait à une visite guidée de lieux communs, une sorte de florilège sans philtre du Canard enchaîné.
Pour ce roman, difficile de compter les étoiles quand on observe une comète.
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Féroce et jubilatoire, cette vie de Gérard Fulmard, montre que l'on peut être un consultant apte à tout et donc bon à rien, avoir la chance de se dispenser de loyer grâce à la chute providentielle d'un engin spatial soviétique sur un centre commercial d'Auteuil qui satellise son propriétaire puis se recycler, à l'insu de son plein gré, dans le service d'ordre d'un parti politique.

Mouvement difficile à identifier ce FPI. Certes le mandat à Belfort fait penser au « Ché », (Chevénement) seul homme politique contemporain à être ressuscité, mais, en même temps, la suite évoqué davantage « l'andouille de Vire » (Strirn) qui payait des figurants pour remplir ses meetings, et, à vrai dire, il est à craindre que chaque parti soit envisageable depuis que les convictions ont disparu.

Quoi qu'il en soit toute ressemblance serait purement fortuite, dirait l'auteur, et le scénario, qui tient du pastiche littéraire, a le mérite de nous balader dans le Paris huppé de la rue Erlanger, de nous en livrer ses mystères et de nous peindre subtilement et cruellement la vanité de notre époque. La « scène de crime » à Auteuil nous vaut notamment une mémorable et savoureuse parodie des chaines d'information en continu.

Faisant penser à Modiano, les instantanés et les failles (le Bic en panne), les personnages tel le docteur Bardot, ces pages broient du noir avec humour, ironie, et talent, car l'auteur écrit avec une variété de styles, un luxe de vocabulaire, un rythme haletant qui font oublier la minceur de l'intrigue et le vide des personnages.

Cette source effervescente de bonne humeur, pouvant être mise dans toutes les mains, nous révèle un anti héros totalement méconnu dans un contexte de décadence que nous ne connaissons que trop.
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L'anti-héros est tendance. Gérard Fulmard, avec son nom qui, à une lettre près, évoque un oiseau de mer gris et terne s'inscrit sans conteste dans ce club peu envié des losers, des perdants, souvent assortis d'une propension à se construire des châteaux en Espagne.

La scène inaugurale ne manque pas d'originalité, de l'inédit à ce jour, mais tout à fait plausible, compte tenu de la colonisation de l'espace qui entoure notre planète par d'innombrables déchets technologiques. Gérard Fulmard y voit un point positif : son propriétaire est décédé, un peu de répit pour régler son loyer…

Ce que l'on sait de sa vie passée, peu de choses, hormis qu'il fut steward, licencié pour faute.
Ne rêvons pas sur son physique, les années ont peu à peu étoffé une silhouette qui fût peut être un jour longiligne. « Je ressemble à n'importe qui en moins bien ». Au moins de ce point de vue, il ne s'illusionne pas .

Il habitue une rue triste, seul. Et décide donc de reprendre le contrôle de son destin : il crée sa propre entreprise, aussi peu spécialisée que possible : le Cabinet Fulmard Assistance, au sein duquel il se promeut détective.

De fil en aiguille, le suivi psychiatrique dont il bénéficie, (sans choix personnel, puisque c'est une injonction suite aux débordements de conduite en plein vol) l'amène à fréquenter de drôles de personnages. Et à découvrir les manoeuvres tactiques d'un petit parti politique, peu influant par le nombre mais remarquable par ses excès.

Gérard Fulmard, anchois au milieu des requins…

C'est presqu'un roman d'espionnage que nous propose là Jean Echenoz, toujours dans ce style particulier, fait de sobriété et de précision; toujours en décalage avec le propos.

Malgré le peu d'empathie que suscite le personnage, il est difficile de ne pas avoir envie de savoir ce qui va lui arriver. le milieu politique décrit ne fait pas rêver non plus, mais malgré tout, le roman se parcourt avec plaisir. D'autant que l'humour, assez grinçant, agrémente cette partition d'une symphonie lugubre.

Inconditionnelle de l'auteur, j'ai apprécié cet opus, mêmes ce n'est pas mon préféré.
Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Bienvenue en Echenozie !

Cette fois, l'auteur s'empare du genre polar, mais à sa manière, très personnelle , rien que pour le plaisir d'en détourner les codes. Il y a bien un détective privé, une disparition mystérieuse qui pourrait s'avérer un meurtre, et un marigot d'hommes et femmes politiques prêts à toutes les combines pour s'emparer du pouvoir interne au sein de leur parti.

Clairement passe ton tour si tu veux un polar conventionnel "suspense – rebondissements – dénouement surprenant". La trame enquête est une célébration de la cassure, de l'ellipse et de la digression. Cet art du zigzag totalement maitrisé – et souvent jubilatoire – te fait côtoyer pendant quelques pages un boulon géant issu d'un satellite soviétique obsolète qui s'écrase sur Paris, un Mike Brant défenestré et même un cannibale japonais ... autant de détails ou d'informations que le lecteur appréhende sans trop savoir comment les classer dans la hiérarchie des péripéties. C'est son style qui embarque le lecteur dans une intrigue complètement farfelue - ou pas, on peut ne pas adhérer au style Echenoz.

Car oui, Echenoz est un styliste de haute volée, un formidable fabriquant de phrases. Chacune est un bonheur. Chaque phrase possède sa propre histoire, avec ses changements de registre de langue ou d'échelle, avec son art prononcé de la ponctuation pour cadencer les ruptures narratives internes . Les mots fondent dans la bouche comme des gourmandises.

Et quel humour ! Tout est cocasserie, on rit beaucoup. Notamment dans la présentation des nombreux personnages, qui donne lieu à une galerie de portraits truculents, à commencer par celui de Gérard Fulmard, le narrateur, antihéros désoeuvré et dérisoire, improvisé détective privé : « je ressemble à n'importe qui en moins bien. Taille au-dessous de la moyenne et poids au-dessus, physionomie sans grâce, études bornées à un brevet, vie sociale et revenus proche de rien, famille réduite à plus personne, je dispose de fort peu d'atouts, peu d'avantages ni de moyens. Encore heureux que j'aie pu rependre ces deux pièces et demie après le décès de ma mère, elles étaient locativement les siennes et je n'ai pas changé les meubles. »

J'ai adoré les noms attribués aux personnages ainsi que leurs descriptions
, Luigi Pannone, Nicole Tourneur, Cédric Ballestertous, Guillaume Flax, Francis Delahouère ( assistant de Joël Chanelle «  aspect sphéroïdal voisin de celui-ci mais en version effilochée, imprécise, mal rangée. Sa cravate dépasse derrière le col de sa chemise, ses cheveux sont rétifs et ses vêtements, même neufs, paraissent élimés aux extrémités, il ressemble au portrait de Chanelle exécuté par un enfant psychotique. » ), les frères Apollodore et Ermosthène Nguyen, Dorothée Lopez ( «  ce genre de femmes un peu mûres qu'on doit croiser dans des soirées dont je me fais une idée lointaine et qui, coupe de champagne en main, voix de fumeuse et bas fumés, décolleté abyssal et rouge à lèvres extraterritorial, doivent laisser distraitement glisser une bretelle de leur robe en citant Plekhanov du bout de leur grosse langue rose et, en pareil cas, le mécanisme est immanquable : je dois regarder ailleurs sinon je bande. »

Un roman délicieux et drolatique à savourer pour ses extraordinaires qualités d'écriture. Le souvenir en sera sans doute fugace, mais peu importe, le plaisir est là.

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Viré de son emploi de steward, Gérard Fulmard décide de se promulguer détective privé. Sans aucune expérience, il se retrouve embarqué dans une drôle d'affaire et, à son corps défendant, devient homme de mains d'un parti politique, dans des circonstances qui ne vont cesser de lui échapper.


Quel délice que ce roman qui s'amuse à détourner les codes du polar pour nous servir une histoire riche en rebondissements burlesques, centrée sur un anti-héros bien peu armé pour affronter les pièges d'un monde politique dangereusement marécageux, et rédigée dans un style jubilatoire et sans pareil : chaque phrase est une friandise, tant le choix des mots et des formules est ciselé, le tout sur un ton où transperce la délectation de nous surprendre et de nous faire sourire. Entre l'intrigue pleine de fantaisie dont on se demande avec curiosité quelle en sera l'issue, et l'irrésistible jeu de l'écriture, aussi drôle que virtuose, l'on parvient à l'excipit avec le regret d'en avoir déjà terminé avec ce pur moment de plaisir littéraire. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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critiques presse (6)
LaCroix
23 janvier 2020
Dans son dernier roman, Jean Echenoz propose une œuvre pleine de rebondissements, portée par l’art de la narration et des personnages dans lequel excelle l’écrivain.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Culturebox
23 janvier 2020
L'écriture est riche. Echenoz se balade dans le style comme un sportif de haut niveau. De l'encyclopédie commentée au roman noir stylisé, en passant par le burlesque bien maîtrisé, Echenoz ose tout, semant ici et là des clins d'œil sous forme d'adresses directes au lecteur, le faisant se sentir délicieusement complice.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LeSoir
13 janvier 2020
« Vie de Gérard Fulmard » est un roman réjouissant par tous les aspects. On y retrouve un écrivain en très grande forme.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Bibliobs
03 janvier 2020
Dans « Vie de Gérard Fulmard », l’auteur de « Ravel » invente le polar marabout (bout d’ficelle, selle de cheval….) afin d’établir, à sa manière, burlesque, que les officines politiques sont des cloaques, et le pire devant nous.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeMonde
02 janvier 2020
Prenez un détective privé, une tragédie classique, quelques faits divers, liez d’une phrase minutieuse et désinvolte, servez. Le nouveau roman de Jean Echenoz est un délice.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Telerama
02 janvier 2020
Un homme loin d’être perspicace raconte son quotidien de pantouflard, bouleversé par des événements rocambolesques. D’une précision virtuose.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (60) Voir plus Ajouter une citation
On a repassé la parole aux experts qui ont commencé à se disputer entre eux, leurs échanges étant rythmiquement coupés par des séquences à vif : interviews de témoins - j'ai reconnu l'une des filles qui tiennent l’accueil au centre commercial -, réaction du ministère de l'Intérieur, souvenirs d'astronautes, premiers pronostics des sondeurs d'opinion. Point sur la situation à Auteuil effectué tous les quarts d'heure par un stagiaire sur fond de ruines fumantes, pendant qu'un autre battait la semelle devant le seuil de l'ambassade de Russie. Puis le plateau s'est renouvelé : on a fait venir, tant qu'on y était, des philosophes, des hommes d'Eglise et des tenants du millénium, il y a même eu un druide évhémériste en tenue vociférant que c'était toujours pareil, qu'il s'était tué à prédire un désastre et qu'on n'avait pas voulu l’écouter.

Le tout se trouvait évidemment scandé par des spots marchands de toute espèce - croisières de rêve, détergent phénoménal, monte-escalier mirobolant -, les annonceurs ayant triplé leur prix à l'occasion de cette affaire et, comme cela traînait, je suis passé de chaîne en chaîne jusqu'à tomber sur un documentaire à ma convenance. Or celui-ci, d'abord innocemment animalier, mais qui évoquait l'extinction à moyenne échéance des éléphants d'Asie comme d'Afrique, anticipait ensuite celle de l'ensemble des animaux, de moins en moins grosse taille et à plus ou moins long terme. Comme il tendait à se conclure encore sur le thème général des catastrophes, devant celles-ci je me suis lassé puis rassoupi.
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Alors qu’elle lisait ce poème devant un magnétophone, tournant le dos à l’étudiant japonais, celui-ci avait saisi une carabine 22 LR achetée la semaine précédente et tué Renée Hartevelt d’une seule balle dans la nuque. Cela fait, l’ayant plus ou moins pénétrée post mortem– ce point ne serait jamais vraiment élucidé –, il avait découpé les plus tendres parties de son corps, en avait entreposé sept kilos dans le réfrigérateur et, deux jours durant, en avait préparé la plupart selon différents modes de cuisson pour s’en nourrir, l’accompagnant à l’occasion de petits pois. Au cours de ces journées, à trente-neuf reprises, il avait également photographié l’évolution du processus – plans généraux du corps, gros plans sur les organes prélevés, présentation des plats, etc. Dans la matinée du samedi 13 juin, faute de congélateur et pour les raisons qu’on imagine quand il fait chaud, l’étudiant japonais avait dû se résoudre à se défaire de Renée Hartevelt. Ayant débité ce qui restait d’elle en gros morceaux, il avait emballé le tout dans deux valises – tête et tronc dans l’une, bras et jambes dans l’autre qu’il avait chargées sur un diable avant de commander un taxi puis de quitter son studio du premier étage en traînant laborieusement sa charge. C’est après l’arrivée de ce taxi que ma mère, revenant cette fois-ci de ses courses, avait remarqué ce jeune homme aidé par le chauffeur à caser ses valises dans le coffre devant son immeuble, au n o 10 de la rue Erlanger. p. 147
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INCIPIT
J’en étais là de mes réflexions quand la catastrophe s’est produite.
Je sais bien qu’on en a déjà beaucoup parlé, qu’elle a fait éclore de nombreux témoignages, donné lieu à toute sorte de commentaires et d’analyses, que son ampleur et sa singularité l’ont érigée en classique des faits divers de notre temps. Je sais qu’il est inutile et peut-être lassant de revenir sur cette affaire mais je me dois de mentionner l’un de ses contrecoups car il me touche de près, même s’il n’en est qu’une conséquence mineure.
Propulsé à une vitesse de trente mètres par seconde, un boulon géant – format de sèche-cheveux ou de fer à repasser – est entré en force par la fenêtre d’un appartement, au cinquième étage d’un immeuble de standing, désagrégeant ses vitres en ébréchant son embrasure et, en bout de course, son point d’impact a été le propriétaire de cet appartement, un nommé Robert D’Ortho dont le boulon a ravagé la région sternale et provoqué la mort subite.
D’autres boulons s’en sont tenus à des dommages matériels, l’un défonçant une antenne parabolique, l’autre éventrant le portail d’une résidence située face à l’entrée du centre commercial. Épars, on en trouverait encore pas mal, plus tard, de ces boulons, au fil des investigations menées par des agents porteurs de combinaisons blanches, cagoulés et gantés. Mais ce ne seraient là qu’effets secondaires, épiphénomènes du désastre majeur qui vient de frapper la grande surface elle-même.
L’état de cet hypermarché, de fait, est désespérant. Depuis les débris de sa toiture effondrée s’élève une brume de poussière lourde qu’ajourent les hésitantes flammèches d’un incendie naissant. Dentelé, crénelé, ce qui reste de ses murs porteurs laisse voir à nu leur poutraison métallique griffue, deux d’entre eux se penchent l’un vers l’autre en rupture d’équilibre au-dessus de la zone de choc. La verrerie de ses façades, d’ordinaire constellée d’annonces promotionnelles, offres aguicheuses et slogans arrogants, se retrouve zébrée de pied en cap et disloquée aux angles. Dressés devant l’accueil, trois lampadaires se sont affaissés en s’embrassant, entortillant leurs têtes d’où pendillent les ampoules à vapeur de sodium, disjointes de leur douille.
Quelques voitures, sur le parking attenant, ont été renversées sous la puissance du souffle, d’autres bossuées par des heurts de matières et, sous leurs essuie-glaces en parenthèses tordues, l’ensemble des pare-brise fait à présent défaut.
Même si, par chance, le sinistre s’est produit en tout début de matinée, peu après l’ouverture de la grande surface où l’affluence est encore faible, à première vue les dégâts humains ne devraient pas être bénins : avant toute estimation précise, et pendant que s’organisent les recherches dans le secteur catastrophé, le bilan menace d’émouvoir le public. On a tôt fait de boucler le quartier dans lequel se concentrent les forces de l’ordre et les ambulanciers, les démineurs à tout hasard mais l’armée pas encore, et l’on s’est empressé de mettre en place une cellule d’aide psychologique. Les efforts des sauveteurs se concentrant d’abord sur la zone, on ne trouvera qu’après-demain, dans sa périphérie, le corps troué à domicile de Robert D’Ortho. Et, j’y reviens, c’est là le point qui me concerne car ce D’Ortho étant propriétaire entre autres biens des deux pièces et demie où je réside, son décès devrait me permettre de surseoir – ne serait-ce que momentanément – au versement de mon loyer mensuel.
Cet événement s’est donc déroulé non loin de chez moi qui, vivant à trois rues de là, connais bien le centre commercial où souvent je m’approvisionne. Il était dans les neuf heures et demie, comme d’habitude à ce moment-là je somnolais en essayant de réfléchir à ce que j’allais pouvoir faire de ma journée quand le fracas du phénomène m’a distrait. J’ai d’abord cru pouvoir le négliger puis mes tentatives de penser ont été contrariées par les sirènes d’alarme, les piaillants véhicules de police et de secours ainsi que les exclamations, appels et cris du tout-venant. Mais la curiosité n’étant pas mon plus sombre travers, cela ne m’a guère donné envie d’en savoir plus dans l’immédiat.
Ce contrairement à la foule qui s’est aussitôt mouvementée sur les lieux : certains fuyant la scène quand d’autres l’accouraient voir, on s’y est bousculé, parfois trop brusquement, jusqu’à ce que les agents de l’autorité viennent y mettre du leur, pas plus eux que les autres ne comprenant d’ailleurs ce qui venait de se produire. Tout, au vu et au son, dénotant certes une explosion, l’idée d’une bombe et donc d’un attentat mais aussi celle d’une fuite de gaz se sont mises à fleurir : le peuple s’égarait entre sidération, commentaires spontanés et développements contradictoires. Si la thèse terroriste a tenu d’abord le haut de l’opinion, la rumeur d’une chute inopinée de météorite s’est ensuite insinuée dans les esprits: de telles choses se produisent et les exemples abondent. Il a fallu attendre que les médias s’en mêlent et nous annoncent enfin que, revenu des espaces infinis, c’était un gros fragment de satellite soviétique obsolète qui venait d’écraser le centre commercial d’Auteuil. Comme il en tombe sur Terre à peu près tous les jours. Sans que nul ne le remarque hormis les spécialistes.
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En me devêtant j'ai observé que l'une de mes chaussettes, la gauche, était trouée autour du gros orteil.
Or que faire en pareille conjoncture ? Eh bien dans ce cas, plusieurs options et sous-options se présentent. On peut jeter les deux chaussettes et se priver ainsi de celle qui n'est pas trouée, ce qui est dommage. On peut aussi ne jeter que la trouée - ou la recycler comme chiffon - et conserver l'intacte en vue d'un réassortiment. Il s'agira d'attendre alors qu'une autre chaussette se trouve dans une autre paire, de récupérer l'intacte et, par l'adjonction de l'intacte ancienne, reconstituer une paire en état de marche. C'est plus économique mais ce n'est pas moins aléatoire : cela suppose que l'état d'usure des deux chaussettes intactes soit analogue et qu'en même temps celles-ci soient de même longueur, couleur et matière - coton, laine, fil d'Ecosse, soie, cachemire ou lin, - cela dit en toute hypothèse car pour ma part je me cantonne été comme hiver à la viscose.
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Louise Tourneur nage vraiment très bien, sans zigzaguer ni se balancer gauchement de droite à gauche, ni procéder en force, travers classiques lorsqu'on s'aventure dans ce style, sans plier les jambes ni trop émerger les épaules. Elle sait orienter ses forces motrices et ses appuis, ses bras la tractent littéralement sans aller se perdre en profondeur, ses mains s'extraient de l'eau par le pouce comme il convient pour y plonger par l'auriculaire. Ses voies aériennes sont dégagées, ses yeux fixent le ciel couvert et sa tête, gouvernail de son corps, demeure parfaitement immobile.
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Mathieu Lindon Une archive - éditions P.O.L où Mathieu Lindon tente de dire de quoi et comment est composé son livre "Une archive", et où il est notamment question de son père Jérôme Lindon et des éditions de Minuit, des relations entre un père et un fils et entre un fils et un père, de Samuel Beckett, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Marguerite Duras et de Robert Pinget, de vie familiale et de vie professionnelle, de l'engagement de Jérôme Lindon et de ses combats, de la Résistance, de la guerre d'Algérie et des Palestiniens, du Prix Unique du livre, des éditeurs et des libraires, d'être seul contre tous parfois, du Nouveau Roman et de Nathalie Sarraute, d'Hervé Guibert et d'Eugène Savitzkaya, de Jean Echenoz et de Jean-Phillipe Toussaint, de Pierre-Sébastien Heudaux et de la revue Minuit, d'Irène Lindon et de André Lindon, d'écrire et de publier, de Paul Otchakovsky-Laurens et des éditions P.O.L, à l'occasion de la parution de "Une archive", de Mathieu Lindon aux éditions P.O.L, à Paris le 12 janvier 2023.

"Je voudrais raconter les éditions de Minuit telles que je les voyais enfant. Et aussi mon père, Jérôme Lindon, comme je le voyais et l'aimais. Y a-t-il des archives pour ça ? Et comment être une archive de l'enfant que j'ai été ?"
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