« J'ai écrit ce roman parce que l'envie m'est venue (...) J'avais envie d'empoisonner un moine. Je crois qu'un roman peut naître d'une idée de ce genre, le reste est chair que l'on ajoute, chemin faisant.»
L'un des intérêts principaux que je trouve dans un livre est la démarche de l'écrivain. J'aime ces postfaces dans lesquelles les auteurs donnent les tenants et les aboutissants du livre. Je consulte régulièrement leurs interviews parus ou enregistrés à la sortie des livres… Bref, la démarche d'écrivain me passionne !
Aussi, lorsque j'ai découvert qu'
Umberto Eco avait écrit cette apostille à son roman le plus célèbre (et, accessoirement, coup de coeur de mes lectures des années 80'), je me suis précipitée et n'ai pas été déçue !
Tout, tout, vous saurez tout :
- sur le titre : « un titre doit embrouiller les idées, non les embrigader »
- sur la démarche préliminaire à l'écriture du livre : « Je pense que pour raconter, il faut avant tout se construire un monde, le plus meublé possible, jusque dans les plus petits détails… Il faut construire le monde, les mots viennent ensuite, presque tout seuls… Il faut se créer des contraintes pour pouvoir inventer en toute liberté. »
- sur la démarche du lecteur : « Entrer dans un roman, c'est comme faire une excursion en montagne : il faut opter pour un souffle, prendre un pas, sinon on s'arrête tout de suite »
- sur la notion de roman, « machine pour générer des interprétations » et de ‘'grand roman'' : « Un grand roman, c'est celui où l'auteur sait toujours à quel moment accélérer, freiner, comment doser ces coups de frein ou d'accélérateur dans le cadre d'un rythme de fond qui reste constant. »
- sur la valeur d'un livre ayant rencontré l'approbation du public, le succés ayant longtemps attribué une valeur négative au livre : « Je crois pourtant qu'il est différent de dire ‘'si un roman donne au lecteur ce qu'il attendait, il reçoit son approbation'' et ‘'si un roman reçoit l'approbation du lecteur c'est parce qu'il lui donne ce qu'il attendait'' »
Le paragraphe précédent n'est qu'un amuse-bouche… Cette apostille est beaucoup plus que ces quelques citations. Vous y découvrirez également pourquoi ce roman se situe au XIVe siècle (et non de nos jours comme prévu initialement par
U. Eco), pourquoi un roman historique et une intrigue policière, d'où vient l'idée d'une bibliothèque-labyrinthe, ce qui a présidé au choix des noms des personnages, etc… ; et, plus largement, art expérimental et art de masse, moderne et postmoderne.
PS – Cet opuscule ne manque pas d'humour ; j'en veux pour preuve ce passage : « J'avais envie d'empoisonner un moine (…) J'ai demandé à une ami biologiste de m'indiquer un remède qui ait des propriétés déterminées (être absorbé par voie cutanée, en manipulant quelque chose). J'ai aussitôt détruit la lettre où celui-ci me répondait qu'il ne connaissait pas de poison correspondant à ce que je cherchais ; ce sont là des documents qui, lus dans un autre contexte, pourraient vous conduire tout droit en prison. »