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Critique de christianebrody


Je ne sais comment aborder ce billet concernant ce livre dense, polyphonique, volontairement labyrinthique, riche en informations sur une période dont j'ignorais tout car peu ou pas abordée lors de ma scolarité. Je tenterai de faire du mieux possible sachant que le mieux n'est jamais assez bien. D'un autre côté, je ne suis qu'une amatrice pas une professionnelle donc le ressenti ne sera que le produit d'une dilettante animée d'une certaine curiosité. Rien de plus.

Nombre d'entre vous l'ont soit déjà lu soit se sont contentés des critiques acerbes de certains internautes et avaient passé votre chemin… dommage! car ce livre, à mon humble avis, n'est en aucun cas un appel à la haine mais une dénonciation des rouages sur laquelle elle se base, se nourrit et se répand à travers toutes les couches de la société. L'auteur met en exergue la bêtise humaine relayée aussi bien par le pouvoir en place que par les différents médias toutes tendances confondues. Je ne pense pas révéler un grand secret en disant que le Cimetière de Prague évoque l'un des plus grand faux jamais écrit lequel a inspiré la politique d'un certain Adolf H. à savoir Les Protocoles des Sages de Sion. Ce pamphlet résolument antisémite et antimaçonnique commandé par l'Okhrana ( le service secret impérial) paraît en Russie en 1905 dans l'ouvrage le Grand dans le Petit de Sergueï Nilus qui fait un excellent travail de marketing en lui conférant une légitimité historique et romanesque. Une décision qui rapporte, l'ouvrage sera immédiatement traduit en plusieurs langues, largement diffusé et les révélations de la falsification du document en 1921 par le London Times ne contribueront pas à le discréditer. C'est, paraît-il, l'oeuvre la plus répandue dans le monde après la Bible.

Le livre embrasse plusieurs directions outre celle de la genèse des Protocoles, il nous balade à travers un siècle riche en évènements qu'ils soient d'ordre scientifique, médicale, sociale, philosophique ou politique. Roman gargantuesque de par la profusion des détails que l'on finit par s'y perdre, Umberto Eco dresse un portrait d'une Europe désunie, en proie à de perpétuels bouleversements politiques, si proche de la paranoïa qu'elle abrite, dans les plus hautes instances du pouvoir, une armée d'espions, de contre-espions, d'agents doubles capables de prévenir, contenir voire instiguer les complots. du Piémont à la Sicile jusqu'en France, l'Europe est en ébullition: de l'unité du Royaume d'Italie menée par Garibaldi, en passant par la guerre franco-prussienne de 1870, la Commune de Paris jusqu'à l'affaire Dreyfus, 70 ans d'histoire compressés dans un peu plus de 500 page!

Pour se faire, l'auteur choisit de présenter ces évènements sous la forme d'un journal intime tenu entre 1897-98 par Simon Simonini, un habile faussaire réfugié à Paris et de les publier à la manière des romans feuilleton du XIX siècle en y incluant des iconographies de l'époque. Inquiété par d'étonnants trous de mémoire et par la présence invisible d'un intrus dans son appartement et dans son journal, le capitaine Simonini mène une enquête acharnée pour démêler le vrai du faux et confondre cet abbé Dalla Piccola qui s'immisce dans son existence. Suivant les conseils d'un jeune docteur, un certain Froïde, il se raconte.

Né en 1830 au Piémont, d'une mère française trop tôt disparue et d'un italien anticlérical parti rejoindre les carbonari, il sera élevé par son réactionnaire de grand-père, antijudaïque et antimaçon convaincu, partisan de la théorie du complot de la domination du monde par les juifs. Il développera très jeune un goût prononcé pour les romans de Alexandre Dumas ou Eugène Sue; le juif errant restera sa principale source d'inspiration pour la gestation de ses Protocoles. A leur mort, Simonini spolié de tous ses biens entre au service d'un notaire peu scrupuleux auprès de qui il maîtrisera l'art de la contre-façon d'actes notariés, de forger de fausses confessions, un domaine dans lequel il excelle tant qu'il attire les services secrets piémonts lesquels lui proposent d'aller surveiller les activités de Garibaldi en Sicile: l'expédition des Mille vaudra à Simonini son bannissement sur Paris. Réfugié en France, il poursuit ses activités en se mettant au service des jésuites, des franc-maçons, des différents services secrets français ou étrangers, des juifs… C'est un cynique, un corrompu, un misanthrope un peu lent à la comprenette bref un gros con malfaisant qui dans le cadre de ses missions rencontrera ceux qui nourriront ses deux seules ambitions: son amour de la cuisine et parfaire l'oeuvre de sa vie, les fameux protocoles, son legs pour l'humanité. Si pour l'instant la contre-façon, le trafic d'hosties et les services rendus à la patrie lui offrent une certaine aisance, rester un simple mouchard ne lui rapporte rien d'où sa décision de devenir un espion international et trouver parmi sa clientèle un éventuel acheteur pour ce pamphlet qu'il peaufine depuis des années. Des rencontres décisives, il en fera comme celles de Maurice Joly, avocat du barreau de Paris, journaliste et écrivain dont le Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, un livre à charge contre Napoléon III qui lui vaudra un séjour en prison. Simonini le plagiera sans vergogne. Léo Taxil, écrivain français anticlérical et antimaçon, fondateur de la Librairie anticléricale et auteur d'un canular qui lui vaudra la condamnation du pape et des évêques de France. Associé à Carl Hacks/ Docteur Bataille, ils prétendent dénoncer l'omniprésence des loges dans le culte satanique, une révélation qui aboutira à un Congrès antimaçonnique à Trente. Edouard Drumont, journaliste, écrivain, fondateur du journal La Libre parole, notoirement antidreyfusard, nationaliste, antisémite et créateur de la Ligue nationale antisémique de France. L'abbé Boullan, prêtre français condamné pour satanisme, escroquerie, outrage à la pudeur, un hérétique qui érigea la fornication en pratique liturgique. L'officier Esterhazy, affecté au bureau des renseignements sur les troupes ennemies, un espion à la solde des Allemands, auteur du bordereau de l'affaire Dreyfus qui sera unanimement acquitté lors d'un conseil de guerre. le capitaine Simonini fréquentera aussi les salons les plus en vue de l'époque comme il sera amené à frayer avec une fange plus dangereuse de la population, les révolutionnaires extrémistes tendance terroriste.

En sus de cet exposé sur le caractère délictueux de la mystification du faux promu au rang de dogme, Umberto Eco nous régale avec sa description de Paris, de la place Maubert principalement. Un coupe-gorge où grouillent voleurs à la sauvette, tueurs à la petite semaine, estaminets qui font office de lupanars ou repères à terroristes, restaurants qui se fournissent dans poubelles, etc. Beaucoup de mal à imaginer que la Ville Lumière ressemblait à cela il y a peine deux siècles! Pour les amateurs de bonne chaire, les pages culinaires qui émaillent ce livre vous feront saliver.

C'est un très bon livre, souvent drôle, servi avec toute la maestria propre aux talents de conteur de Mr. Eco, vertigineux par son rythme, l'avalanche de personnages, de retournements de situations, le livre d'un siècle celui du XIX. Il décortique une époque, une société à travers un personnage atteint de monomanies et procure beaucoup de joie au lecteur. Après pour les mous du bulbe qui y voient une incitation à la haine voire une complicité de l'auteur, je n'ai pas souvenir que Mr. Eco ait écrit pour des imbéciles et pour paraphraser Oscar Wilde : » Dire d'un livre qu'il est moral ou immoral n'a pas de sens. Un livre est bien ou mal écrit – c'est tout »; et celui-ci est de la balle!
Lien : http://www.immobiletrips.com..
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