Un roman noir comme je les adore ! Avec l'Histoires et des histoires.
1962 - 2022 : que se passait-il en Algérie il y a 60 ans ?
Le lecteur fait la connaissance du lieutenant Michel Térien du 12ème RCP alors qu'il combat dans les Aurès en avril 1961. Une guerre qui ne dit pas son nom, il faut dire maintien de l'ordre, il n'y a pas d'ennemis mais des suspects. Pourtant les combats font rage et le récit de
Vincent Ejarque les retranscrit avec beaucoup de véracité. C'est le début du roman. Puis brutalement il y a le putsch des généraux en avril 1961. Politiques et militaires ne se comprennent plus, les promesses ne sont pas tenues. Les fiascos vont dés lors se succéder.
Le coup d'état des militaires est un échec cuisant mais les meneurs restent sur leurs positions comme le rappelle un premier encart retranscrivant la déposition d'un officier devant le Haut Tribunal militaire. J'ai beaucoup apprécié cette forme de présentation rapide et précise du contexte algérien. Les documents en encart reviennent périodiquement renforcer l'intérêt historique du récit de l'auteur. le personnage fictif se nomme Térien et de suite j'ai senti qu'il allait se fondre dans
L Histoire pour nous faire vivre une reconstitution détaillée et rigoureuse .
Le lecteur retrouve Térien à Alger en décembre 1961. Jusqu'en mai 1962, nous allons le suivre, il a quitté l'armée qui a regagné les casernes le temps des pourparlers de Paix entre le gouvernement français et le FLN. Il fallait bien défendre les colons européens, alors l'OAS s'est considérablement renforcée avec des putschistes entrés dans la clandestinité et des civils fanatiques. Michel Térien devenu Jacques Lopez côtoie des personnages sinistrement célèbres comme le docteur
Jean-Claude Pérez,
Jean-Jacques Susini, Jo Rizza, Josué "Jésus" Giner et les anciens militaires Roger Degueldre et
Yves Godard fondateurs du bras armé de l'OAS, les commandos Delta chargés d'opérations armées ponctuelles, c'est à dire des exécutions. Térien est du mauvais côté de la barrière, c'est un Delta mais l'auteur a su lui donner un rôle qui le rend plutôt sympathique au lecteur.
La reconstitution des faits historiques par
Vincent Ejarque est précise. Dans ce contexte Alger est un personnage à part entière, une ville ouverte sur une des plus belles baie au monde, construite sur une succession de collines qui constituent autant de quartiers chics ou plus modestes et parfois bidonvilles conséquences de l'exode rurale, fiefs FLN cimentés par la misère. Bal El-Oued est un quartier européen gagné à la cause de l'OAS. Alger n'est pas seulement la ville des attentas et de la pression policière et militaire, c'est aussi la ville de la mixité sociale, culturelle et religieuse.
La position du gouvernement est loin d'être homogène. Mais elle est invariablement violente. Il faut liquider l'OAS. La traque de la gendarmerie est implacable et orchestrée par le colonel Debrosse avec la torture comme moyen d'action et Térien manque y laisser la vie. Il y a aussi une lutte clandestine contre l'OAS et les Delta, c'est l'époque des barbouzes. Les services secrets ( le SDECE tout particulièrement ) agit en sous-main. Il en résulte une constante escalade de la violence. Pendant ce temps les négociations entre la France et le FLN se poursuivent. Pour la France il faut au moins garder quelques bases militaires et surtout le Sahara pour les essais nucléaires. Les Pieds-noirs ne pourront rien garder, une seule perspective s'offre à eux, l'exode. Pour les Harkis, la répression s'annonce implacable. Les accords d'Evian sont signés le 18 mars 1962 avec un cessez-le-feu applicable dés le lendemain. le 26 mars 1962 une manifestation de personnes favorables à l'Algérie française tourne à la fusillade et au massacre. Il n'y a désormais plus de place pour les Pieds-noirs en Algérie. Jusqu'à leur embarquement ils resteront sous la menace des attentas aveugles comme celui du 2 mai 1962 dans le port d'Alger.
Ce roman de
Vincent Ejarque n'est pas seulement un récit historique même si la chronologie des évènements du début de l'année 1962 rythme le récit, elle est mise en avant quand il faut et se révèle particulièrement instructive. Il y a aussi de l'action, des fusillades et des scènes de guerre. C'est un récit érudit qui parle de vins italiens, de peinture et bien sûr d'Alger où se mêle les chansons de Johnny Halliday et l'architecture de le Corbusier. Vivre à Alger, c'est une histoire d'amour comme la liaison entre Ana et Térien, d'abord insouciante puis intense, charnelle puis faite d'amour fou . Mais de tout cela il ne restera rien, tout disparaît dans un embrasement final et une fuite en abandonnant tout.
Vincent EJARQUE :
Les spectres d'Alger. Parution le 25 janvier 2022, Éditions Ramsay. ISBN 978-2-8122-0321-3.
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