Il est plus facile de faire de la résistance à la terrasse du café de Flore que dans le Chili de Pinochet à la fin des années 70. Avec Sartre et la Citroneta (La burla del tiempo), Mauricio Electorat, auteur chilien installé à Paris, met en scène de Paris à Santiago Pablo Riutort, réfugié politique qui va vivre une double épreuve: la mort de sa mère et la rencontre fortuite avec un ancien compagnon de lutte devenu délateur.
Attention, ceci n'est pas un roman de Luis Sepúlveda, dont j'apprécie d'ailleurs beaucoup les romans. Electorat ne fait pas partie de la même génération, il est plus jeune, et avec lui, le constat est noir, cynique et drôle. Pablo Riutort, nourri aux écrits des penseurs de la gauche européenne est encore un jeune étudiant lorsqu'il commence à militer sous la dictature avec des compagnons aussi enthousiastes que lui. Condamnés à être des exilés intérieurs dans leur propre pays, les étudiants, tiraillés entre leurs idéaux et la réalité du militantisme, montent une cellule sans mesurer les conséquences de leurs actes, surtout lorsqu'ils fabriquent de fausses lettres « signées » par de grands noms, afin de faire croire à la presse qu'un complot français est à l'oeuvre contre Pinochet.
Amateurs de pastiches, préparez-vous à savourer du Sartre, du Robbe-Grillet, ou du Sagan à la sauce Pebre. Sartre et la Citroneta est un roman incroyablement vivant, cru, et drôle, en dépit de la violence qu'il dépeint, de la douleur de l'exil, des compromis et de la trahison. Ce récit protéiforme qui mêle récit à la première personne, poèmes, correspondance, dans un espagnol peu académique, le parler chilien, laisse dans son sillage un parfum de cruauté et d'humour. Electorat dit le drame et la violence qui frappent toute une génération, une génération latino-américaine qui s'inspire des écrits produits par une Europe idéalisée, en total décalage avec ce qui se vit de l'autre côté de l'océan. Bref, un festival d'ironie (avec en guests Adjani et Platini) pour faire revivre les années noires du régime Pinochet. Votez Electorat!
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Pablo, le narrateur, sans doute pour une bonne part l'auteur lui-même, est un exilé chilien à Paris, après avoir fui le régime de Pinochet. Alors qu'il s'apprête à retourner au Chili pour l'enterrement de sa mère il tombe sur Nelson, une vieille connaissance : celui-là même qui l'avait dénoncé à la police. Les souvenirs reviennent au cours de la discussion qu'ils ont l'un avec l'autre. Pablo est issu de la bourgeoisie chilienne, plutôt favorable au régime. Étudiant, il milite contre la dictature. C'est cette expérience qu'il va nous conter ici pour l'essentiel, avec ses aspects cocasses et en particulier les fausses lettres d'intellectuels français sensées soutenir l'opposition au régime.
On peut rire de cette caricature. Mais, en toute franchise, quand on connaît la caractère sanglant du régime de Pinochet, et le prix payé par ses opposants, on rit plus au tableau qui est fait des partisans du régime que de celui des résistants.
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Qu'est-ce que tu as ? a demandé Claudio. Je pense à Dieu. A Dieu ? Éclat de rire de Claudio accompagné d'une tape amicale sur l'épaule, Dieu n'est pas du côté des marxistes, mon vieux. A la vérité, avant ce moment-là, je ne m'en étais pas rendu compte. Marxiste, moi ? Ça sonnait bizarrement. Dans ma famille, on était démocrate-chrétien ou radical, professeur ou avocat, on trouvait même un escroc professionnel, une matrone, un oncle qui n'avait pas très bien réussi, caissier dans un restaurant, un cousin schizophrène, mais marxiste, ce qui s'appelle marxiste, j'étais le premier le crois. Enfin si Claudio le disait, lui qui était juif, athée et fils de communistes, il devait le savoir mieux que moi.