Le monde entier me dégoûte. Et ce dégoût n'est rien comparé au mépris dont je m'accable.
Autrefois - avant la guerre! -, mener à bien la décoration de cet appartement m'avait enthousiasmé. Le rendre cent pour cent anglais... à Paris! Les antiquaires de Londres s'en sont donnés à cœur-joie. Il n'en est pas un seul qui ne m'ait honteusement exploité. Mais le résultat est là : le moindre objet est un joyau sans prix.
Quand j'étais encore un homme et que je pouvais me battre, je n'avais qu'un désir en tête : aller au front et ne plus jamais vous voir, toi et les gens de... de votre espèce. Vous me faisiez l'effet d'une bande de ratés. Je passais donc mes permissions à la campagne ou ici. Maintenant, je vous vois auréolés de gloire, et c'est moi qui suis le bon à rien. Car je suis devenu inutile, totalement, absolument inutile...
Toutes sortes de gens viennent me voir, que j'ai l'impression de mettre continuellement à nu. Qu'y a-t-il de bon en eux? de sincère en eux? Mais moi-même mis à nu, dépouillé de ma fortune, se soucierait-on encore de moi? Est-il un être au monde, un seul, qui, privé de sa défroque ou de son masque, vaille réellement quelque chose?
Les hommes seraient-ils stupides? Oui, sans l'ombre d'un doute, s'ils sont incapables de discerner les artifices déployés par les femmes! Peut-être n'ai-je pas moi-même été très malin non plus quand je faisais encore partie du troupeau des mâles qu'elles pouvaient aimer...
Il vaut mieux que j'aie affaire à quelqu'un de falot. Je pourrai ainsi exprimer à haute voix, et sans retenue, tout ce qui me passe par la tête. Je vais la payer le double de ce qu'elle gagne actuellement : deux mille francs par mois, prix de temps de guerre.