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Critique de clesbibliofeel


Le sixième roman d'Olivia Elkaim, parvient à nous raconter une histoire familiale hors normes sur trois générations, le rêve d'une terre jamais oubliée, l'Algérie, depuis les années 1950 jusqu'à maintenant. Elle n'est jamais allée au cimetière des Semboules à Antibes sur la tombe de ses grands-parents, Viviane et Marcel, depuis leur mort en 2010. Qu'à cela ne tienne, elle va leur dresser une stèle littéraire comme elle l'écrit à la fin de ce récit.

En 1958, Marcel, tailleur à Relizane, une ville entre Alger et Oran, est enlevé par un commando du FNL et ne réapparaît que trois jours plus tard. Il a dû tailler des costumes pour un chef des maquisards et s'engager à prendre comme apprenti le neveu de ce chef, Reda, en échange d'une relative protection. Sa femme Viviane, et tout son entourage, l'interroge afin de savoir ce qui s'est passé mais il garde le silence par crainte des conséquences pour lui et sa famille. A partir de ce moment, la peur s'installe dans le couple jusqu'à l'inévitable fuite vers la France, « la métropole », en 1962. Il fera partie du million de « pieds noirs » débarqués en France entre 1962 et 1965. J'ai appris ici que se trouvaient parmi eux 100 000 juifs sur les 130 000 que comptait le pays natal des grands-parents de l'autrice.

Réflexion sur le passé, la transmission, à travers une histoire bien trop grande pour des personnages modestes qui ne souhaitaient pas, ne pouvaient pas être dans un camp ou dans un autre. Olivia révèle les traumatismes de l'errance sur plusieurs générations, les incitations à s'assimiler, la tentation de nier leur origine. Les enfants de Viviane et Marcel s'appellent Jean et Pierre. Olivia, elle-même, demandera à orthographier le nom El Kaim en rattachant la particule.

J'ai aimé lire cette saga familiale dans la tourmente de la guerre d'Algérie car elle est riche d'amour et fournit matière à réflexion sur la façon dont on peut un jour ou l'autre, pour une raison d'origine, de religion, d'opinion, être rejeté de toute part. Difficile de s'assimiler, quand on est « pied noir » et juif.
Je me suis posé la question de la religion qui idéalement devrait relier les hommes, tous les hommes alors qu'elle divise et renferme trop souvent sur un groupe. Il est question ici des rites particuliers aux enterrements, avec le rabbin qui déchire la chemise au niveau du coeur et de la terre jetée dans la tombe. Je me suis dit que la religion soude une communauté grâce à ces rites mais au prix du rejet, quasi inévitable, des autres religions qui n'ont pas les mêmes pratiques.

Olivia Elkaim entremêle les souvenirs familiaux, des éléments du contexte historique et des éléments romancés quand les traces du passé sont absentes. L'écriture est vive et fluide, les pages se tournent rapidement.

J'ai vécu avec elle le désarroi des familles avant l'embarquement en juillet 1962, l'attente et les conditions sanitaires épouvantables. le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils n'ont pas vraiment été accueillis à bras ouverts alors qu'ils ont dû tout reconstruire dans ce pays inconnu.
Le personnage de Marcel est particulièrement attachant dans ce qu'on appellerait aujourd'hui sa résilience aux malheurs qui frappent sa famille : petits boulots, vie misérable pendant des années dans une sorte de cave à côté d'Angers, les déménagements, les démarches administratives entre 1974 et 1992 afin d'obtenir une indemnisation.

C'est un roman intime original et très réussi. Il est utile pour comprendre le destin individuel et familial de ceux, ils sont nombreux dans notre monde actuel, obligés de tout quitter et de réinventer une nouvelle vie dans un ailleurs où ils ne sont souvent pas les bienvenus. Et pourtant ils n'ont pas le choix !

On a là une vérité partielle mais précieuse, un récit parmi d'autres mais unique, pour raconter enfin cette guerre d'Algérie trop longtemps occultée. Cette terrible guerre coloniale pour les uns, d'indépendance pour les autres, n'est esquissée qu'à grands traits à travers le souvenir familial et quelques références peu développées. Peut-il y avoir un récit de cette sale guerre – elles sont toutes sales – ou des récits pluriels, portant des vérités, aidant à réfléchir ?

Pour ma part le tailleur de Relizane vient s'ajouter à quelques livres – curieusement j'ai plus de titres de films en tête – qui m'ont marqué, abordant ces « évènements » selon le terme employé à cette époque. Je pense d'abord à La question de René Alleg, Lettres d'un soldat de vingt ans de Jacques Higelin, Les serpents de Pierre Bourgeade, Des hommes de Laurent Mauvignier...

Et vous qu'avez-vous lu d'important sur le sujet ?
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Complétez cette chronique par une petite visite de mon site clesbibliofeel avec la composition photo à partir de la très belle couverture du livre d'Olivia Elkaim, rubrique roman contemporain. Également sur Facebook, page clesbibliofeel. Merci pour votre lecture !

Lien : https://clesbibliofeel.blog
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