Klara se revoyait, petite, dessinant un arbre généalogique pour le présenter à l'école. Ses camarades de classes confondaient leurs ascendants, se trompaient dans les dates et raturaient au stylo rouge. Ils semblaient écraser par le poids de leurs nombreux ancêtres aux patronymes bien accrochés sur les branchages. Klara, elle, était écrasee par les absents. Une fois qu'elle avait inscrit les noms de Mouna, sa grand-mère, et d'Eliette, sa mère, il n'y avait plus que des blancs. Elle avait beau interroger sa grand-mère, elle obtenait toujours la même réponse : Habibi, mon amour, tu poses trop de questions!
Maintenant, il devrait sans doute s'expliquer, mais que dire? Que dire? Il ne parlerait pas à Klara du bras coupé, de ce bras de femme mûre, tranché au coude, net...Il ne susciterait pas sa compassion. Non. Autrefois, à Berlin, il avait vu une exposition des peintures d'Otto Dix, sur les gueules cassées de la 1ere guerre mondiale. Lui, il avait une belle gueule, les femmes le lui disaient, et pas seulement ses maitresses, du reste, les hommes aussi, ses amis. Il avait une belle gueule, mais les traces de la guerre se logeaient sous sa peau. Sous sa peau : la mort, la haine, tout, ses soldats de porcelaine, ses rêves de porcelaire, brisés, tranchés net comme le bras de la Libanaise, vingt sept ans plus tôt.